Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 27 octobre 2015 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Cela fait quatre années que j’interviens au nom de mon groupe sur le budget de la défense. Depuis quatre ans, je souligne la difficulté de respecter nos engagements opérationnels en entretenant le mythe, encore présent dans le Livre blanc, d’une puissance globale qui protège, qui dissuade et qui intervient. Depuis quatre années, j’alerte sur le risque d’éviction au sein du budget de la défense, au profit de la dissuasion nucléaire et au détriment de nos forces conventionnelles.

Ce budget 2016 n’échappe pas totalement à cette critique. Certes, conformément aux orientations fixées dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire, la mission budgétaire que nous examinons est en légère hausse. Elle consacre notamment une augmentation des crédits de 600 millions d’euros et une pause dans la déflation des effectifs. Mais cette parenthèse, que le Président de la République lui-même a qualifiée d’« exceptionnelle », ne permettra pas de garantir durablement les moyens matériels conventionnels dont les soldats français ont besoin pour remplir l’ensemble de leurs missions.

Pour notre groupe, les solutions structurelles ne sont d’ailleurs pas à aller chercher à l’extérieur du budget de la défense, dans la mesure où le bouclage du budget de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales demeure très contraint et où les Français ne veulent pas d’impôts supplémentaires – on les comprend ! – après tant d’années de hausse de la fiscalité. C’est au sein même de ce budget que nous devons opérer des choix pour pérenniser les deux missions fondamentales à nos yeux que sont la protection du territoire national et la participation à des interventions internationales en cohérence avec notre diplomatie.

En la matière, le réajustement de notre arsenal nucléaire demeure à nos yeux la piste la plus crédible et la plus urgente à exploiter. En 2016, la dissuasion nucléaire coûtera encore près de 4 milliards d’euros au budget de la France, près d’un tiers des crédits alloués à l’équipement des armées. Dans les années qui viennent, cette enveloppe augmentera mécaniquement sous l’effet de la rénovation de la composante océanique et du financement du programme de simulation.

Les autorisations d’engagements détaillées dans le bleu budgétaire confirment d’ailleurs très nettement cette tendance. Pour le programme 178 « Préparation et emploi des forces », les crédits de paiement sont de 423 millions d’euros alors que les autorisations d’engagement sont d’1,73 milliard. Il en est de même pour le programme 146 « Équipement des forces » : les crédits de paiement sont de 2,9 milliards alors que les autorisations d’engagement s’élèvent à 3,720 milliards. Bref, contrairement à une idée entretenue, la part de la dissuasion nucléaire dans le budget de la défense ne baisse pas. Elle est même en hausse et la tendance risque de s’aggraver dans les années qui viennent.

En parallèle, les forces conventionnelles sont de plus en plus mises à l’épreuve et risquent de subir un déclassement capacitaire. Je prendrai un exemple précis : au printemps dernier, à la faveur de l’opération Sentinelle – je profite de l’occasion pour rappeler que la nouvelle doctrine stratégique que cette opération mériterait, monsieur le ministre, de faire l’objet d’un débat dans cet hémicycle – une extension de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 hommes a été décidée. Toutefois, les moyens en infrastructures et capacitaires exigés par cette décision n’ont pas suivi. À ce jour, pour la période 2016-2019, il manquerait 100 millions pour financer l’hébergement, 130 millions pour financer le petit équipement, 150 millions pour remonter le parc des unités et 30 millions pour l’habillement et le fonctionnement.

Ce constat est tout à fait révélateur du paradoxe que j’ai dénoncé précédemment : d’une part, nous continuons à dépenser des sommes considérables dans des programmes de dissuasion nucléaire qui ne correspondent plus à notre grille stratégique, alors que d’autre part, nous faisons l’impasse sur des capacités peu coûteuses mais indispensables pour les soldats français en opération.

En dehors de ce désaccord majeur, qui n’est pas nouveau, et qui ne doit pas nous exonérer d’une analyse objective du reste de la mission, il faut reconnaître que ce budget comporte des éléments tout à fait encourageants. C’est notamment le cas du domaine des ressources humaines, dans lequel on constate une baisse tendancielle du nombre d’officiers par rapport au nombre de militaires du rang. Ces éléments laissent présager un retour à la maîtrise de la masse salariale et un assainissement de notre modèle de ressources humaines qu’il faut saluer. Enfin, je veux souligner les décisions qui ont été prises pour favoriser l’activité opérationnelle : je pense notamment à la montée en puissance des parcs de nouvelle génération qui constituent une demande ancienne des soldats français.

À la lumière de ces éléments – un désaccord de fond sur la dissuasion nucléaire et des améliorations non négligeables dans l’équipement et le reformatage des armées – je m’abstiendrai sur ce budget.

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