Intervention de Henri Rouilleault

Réunion du 22 octobre 2015 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Henri Rouilleault :

Il faut se sortir de la tête l'idée que nous sommes le pays le plus avancé en matière sociale. Je rappelle que, suite à un recours de Force Ouvrière, la France a été condamnée par l'OIT, qui a estimé que la période d'essai de deux ans prévue dans le contrat nouvelle embauche n'était pas d'une durée raisonnable. Les partenaires sociaux puis la loi ont donc fixé une nouvelle durée pour la période d'essai, plus longue pour les cadres que pour les ouvriers. Par ailleurs, quel est l'employeur qui a longtemps usé de CDD indéfiniment renouvelables au mépris des directives européennes ? C'est l'État, dans la fonction publique, jusqu'à ce qu'il soit contraint d'appliquer les directives européennes, elles-mêmes issue de la négociation sur le contrat de travail entre les partenaires sociaux européens. Nous devons donc rester modestes et nous garder de penser que nous sommes toujours les meilleurs : n'oublions pas notamment les pays nordiques.

En ce qui concerne le principe de faveur, il a été imaginé pendant les Trente Glorieuses, époque où la croissance et l'emploi se sont formidablement développés. Mais il a commencé à montrer ses limites à partir de 1974, lorsque nous sommes entrés dans une crise économique dont, quarante ans plus tard, nous ne sommes toujours pas sortis. Les négociations ont alors eu tendance à devenir plus globales et à intégrer plusieurs sujets à la fois, dans l'optique d'accords donnant-donnant qui soient gagnant-gagnant pour l'entreprise et les salariés. Si, selon le principe de faveur, on instaure une hiérarchie immuable entre la loi, puis l'accord interprofessionnel, l'accord de branche et enfin l'accord d'entreprise, il ne sera plus possible d'inclure dans la négociation plusieurs enjeux pour parvenir à des accords donnant-donnant, c'est-à-dire gagnant-gagnant.

Il faut ici rendre hommage à Jean Auroux et à Martine Aubry, rédactrice de l'ordonnance de 1982, qui a introduit le principe de l'accord dérogatoire en matière de durée du travail. À partir de là a progressivement été admis le principe des accords dérogatoires mieux adaptés à la situation de l'entreprise, principe applicable dès lors qu'il était accompagné d'une double garantie : d'une part, le respect de l'ordre public social, ce qui englobe les normes internationales, européennes et françaises ; d'autre part, des conditions de validité renforcées, telles que définies par la loi du 20 août 2008, à partir de la position commune MEDEF-CGT-CFDT du 9 avril 2008 – texte fondamental à mes yeux parce qu'il entérine une forme de reconnaissance mutuelle entre les syndicats et le patronat. Pour être valable, un accord devra désormais avoir été signé par des organisations représentatives ayant totalisé au moins 30 % d'audience aux dernières élections professionnelles et ne pas avoir été contesté par des organisations ayant recueilli une majorité des voix. Certains sujets plus sensibles doivent par ailleurs faire, par dérogation au droit commun, l'objet d'accords majoritaires, et le rapport Combrexelle préconise l'extension du principe de l'accord majoritaire à l'ensemble des accords d'entreprise dans un premier temps, puis, dans un second temps, aux accords de branche, enfin aux accords interprofessionnels.

Parler d'un droit aussi protecteur qu'auparavant ne veut pas dire qu'il ne puisse l'être davantage, et nous pouvons encore progresser sur nombre de sujets. Je suis depuis longtemps un fervent défenseur du compte personnel de formation, tout comme je pense que nous avons encore beaucoup à faire en matière de droit des reconversions professionnelles – on peut sur cette question s'inspirer des expériences autrichienne, belge ou suédoise, qui proposent des plates-formes de mobilité bien plus efficaces que Pôle emploi. À côté de cela, l'extension de la couverture complémentaire santé ou la création du compte personnel d'activité constituent des avancées.

En voulant simplifier le droit du travail et accroître le rôle de la négociation collective, nous poursuivons deux objectifs pour partie compatibles mais pour partie contradictoires, car le droit conventionnel peut lui aussi être d'une extrême complexité. La lisibilité du droit est un objectif à valeur constitutionnelle, et tout doit être fait pour que salariés et petits patrons ne s'égarent pas dans un maquis de règles et sachent identifier le droit applicable.

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