Qu'il s'agisse des accords nationaux interprofessionnels ou du paritarisme, j'emploie souvent l'expression de « tripartisme asymétrique masqué ». En matière gestionnaire et décisionnelle, la tradition française ne connaît pas de tripartisme explicite, tant du point de vue syndical que parce que le patronat s'est toujours montré réservé à l'égard de l'intervention de l'État. Il existe donc un consensus tacite visant à ne pas institutionnaliser le tripartisme. Pourtant, la réalité est celle-ci : le jeu à trois est la règle. Elle s'applique naturellement à la négociation interprofessionnelle, plus encore depuis l'entrée en vigueur de la loi dite Larcher, puisque l'État indique les questions sur lesquelles il souhaite que porte la négociation, fixe un calendrier, fournit un document d'orientation puis suit la négociation et intervient – plus ou moins discrètement – avant d'élaborer un projet de loi de transposition plus ou moins fidèle à l'accord, qui est examiné au Parlement auprès duquel les signataires et non signataires multiplient les interventions. Autrement dit, l'accord national interprofessionnel n'est que l'un des éléments d'un processus à trois – même si l'on ne l'appelle pas tripartite pour ne blesser personne.
De même, la gestion paritaire des institutions dont nous avons parlé repose sur trois acteurs, puisqu'elles ne reçoivent de financement qu'après approbation de l'État. De ce point de vue, la prise en compte du déficit de l'assurance chômage dans les calculs de l'Union européenne ne fera qu'accroître la pression sur l'État avant qu'il agrée les conventions.
À la question qui fait quoi, il faut hélas répondre ceci : tout le monde s'occupe de tout, à niveaux de responsabilité inégaux. Les rapports sont tantôt ouverts comme dans le débat parlementaire, tantôt opaques – les négociations bilatérales officieuses s'accompagnent souvent d'interventions téléphoniques auprès des cabinets ministériels concernés. En somme, le paysage est confus. Ce système est-il efficace ? Il l'est tout à fait pour trouver des compromis ; il ne l'est guère pour susciter des réformes. Le compromis consiste à modifier les choses pas à pas, parfois au moyen de mesures intéressantes ; le tripartisme implicite interdit néanmoins d'envisager toute réforme radicale.
J'en viens aux nouvelles formes d'activité non salariée – un véritable casse-tête. Une première réponse pourrait consister à faire entrer dans le salariat toutes les activités qui sont en réalité du salariat camouflé – lequel tient aux stratégies qu'adoptent les entreprises afin que des employés salariés passent sous un autre statut, celui d'auto-entrepreneur par exemple. Il appartient aux tribunaux de requalifier ce salariat camouflé, en utilisant notamment la technique italienne de la parasubordination. Il existe pourtant d'autres formes de travail non salarié que l'on ne saurait ramener dans le giron du salariat, car elles sont le fruit d'un choix. Dans ces conditions, il faut bâtir des socles successifs de protection. Le premier est celui de la protection sociale du citoyen, avec l'universalisation de l'assurance maladie et des allocations familiales, notamment. Le deuxième est celui de la sécurisation des activités productives, quel qu'en soit le statut juridique. Le troisième concerne le salariat. À mon sens, nous nous dirigeons peu à peu vers un système de protection à trois niveaux ; toute la question est de savoir si l'on parviendra à lui donner une formulation générale, comme l'analysait Alain Supiot dans ses travaux.
Le système du paritarisme a conduit tous les syndicats – même les plus protestataires – à accepter de manière tout à fait responsable la logique de gestion. Ainsi, les syndicats non signataires n'ont jamais mené une politique d'obstruction dans les instances paritaires de gestion. Au contraire, ils se sont totalement associés aux responsabilités de gestion. Dans leur cas, le système tel qu'il est engendre presque une sorte de schizophrénie syndicale. C'est sans doute l'un des domaines dans lesquels le paritarisme a permis de modifier le comportement des acteurs en formant leur conscience gestionnaire, qu'ils approuvent ou réprouvent le contenu des accords collectifs qui règlent le fonctionnement de l'institution concernée.