Intervention de Thierry Gaiffe

Réunion du 12 décembre 2012 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Thierry Gaiffe, président de la commission défense du Comité Richelieu, président de la société Elno :

Les 4 000 PME et ETI – toute PME étant vouée à devenir une ETI – de l'industrie française de défense représentent 165 000 emplois directs, compte non tenu, bien entendu, de tous les emplois indirects générés par la défense. Pour un emploi en PME-ETI défense, il faut compter un emploi grand groupe et chacun s'accorde sur le fait que l'innovation est principalement apportée par les PME.

Nous avons subi en 2008 une crise extrêmement grave. Le Gouvernement de l'époque a immédiatement réagi via le plan de relance, qui a principalement concrétisé des projets existants plutôt que puisé dans les cartons de l'innovation. Dès lors, en 2009 et 2010, les commandes finalisées antérieurement ont permis de survivre.

Nous subissons aujourd'hui une nouvelle crise avec les coupes budgétaires qui vont avec et, bien entendu, les grands groupes ne sont pas les seuls à souffrir, les PME sous-traitantes étant souvent considérées comme la variable d'ajustement. On va tirer sur la marge de l'équipementier et reporter de la trésorerie, tous ces mécanismes étant parfaitement connus. Les dégâts qui ont frappé l'aéronautique et l'automobile risquent de se propager désormais au monde de la défense.

Cependant, la défense présente des particularités qu'il convient de garder à l'esprit. Son premier « tropisme », c'est que les cycles économiques y sont très longs : entre l'émergence d'une idée et sa réalisation dans un programme d'armement, il s'écoule 20 ans, d'où l'existence de la DGA. Il faut donc pouvoir supporter une phase de R&T de plus de deux décennies. Hors les biotechnologies, je ne connais pas d'autre secteur qui puisse se le permettre. Cependant, la recherche dans le monde de la défense a de nombreuses retombées dans l'ensemble des secteurs industriels. « Tirer sur la corde », c'est perdre tout de suite des emplois directs dans les PME, et, demain, de l'innovation et du chiffre d'affaires.

Les budgets de la défense se réduisant comme des peaux de chagrin, ce sont, du fait de la massification décidée il y a une dizaine d'années, 99,6 % de grands groupes qui remportent les marchés de défense. Les PME n'apparaissent qu'en rang un ou deux. Or lorsque le gâteau diminue, l'on a tendance à garder une plus grande part pour soi. Je redoute par conséquent que les 0,4 % concédés aux PME ne se restreignent encore si l'Etat n'intervient pas. Cela vaut pour les programmes d'armement comme pour les budgets des R&T, lesquels ne sont confiés en direct aux PME et ETI qu'à hauteur de 0,4%.

Dans ce contexte, la PME doit tout faire pour tenter de se maintenir au rang de sous-traitant du maître d'oeuvre et de conserver un carnet de commande acceptable. Las, mes collègues pourront confirmer que nos carnets de commande plongent.

Tout le monde pense alors à l'export mais, et c'est la deuxième particularité sur laquelle je souhaitais m'attarder car l'exportation dans le domaine de la défense n'est comparable à aucune autre. La première chose que vous demande l'acheteur potentiel, c'est si vous avez déjà vendu à votre propre pays, et, dans l'affirmative, à qui, quitte à devoir donner le nom du bâtiment, du véhicule considéré ou de la brigade intéressée. Sans références nationales, nul n'est besoin d'insister ! Patron d'une PME de défense depuis une quinzaine d'années, je n'ai jamais réussi à vendre à l'international sans produire un document timbré d'un beau drapeau tricolore en haut à gauche…

Si les budgets de défense continuent de baisser, les acheteurs vont s'orienter vers les produits les plus éprouvés et ceux que développent les PME auront beaucoup plus de mal à s'insérer dans les programmes. On a en effet tendance à acheter ce que l'on connaît le mieux.

Il faut donc trouver des solutions et c'est pour cela que les annonces faites par le Gouvernement il y a un peu moins d'un mois ont vraiment fait écho en nous. Nous nous sommes reconnus dans les quarante mesures annoncées par M. Le Drian. Au reste, nous sommes à l'origine de plusieurs d'entre elles, dans le cadre des travaux menés avec M. Morin à partir de 2007 pour favoriser l'accès des PME aux marchés de défense. Si nous sommes très satisfaits de ces annonces, nous redoutons un peu la lourdeur des structures et l'inertie des grands groupes. Même lorsqu'une volonté politique est clairement affirmée, il arrive qu'entre l'annonce d'une décision et son entrée dans les faits, plusieurs années se passent ou bien que la politique ou le gouvernement aient changé. Battons par conséquent le fer tant qu'il est chaud !

Sans verser dans le catastrophisme, j'appelle votre attention sur la gravité de la situation. Le Comité Richelieu examinera avec la plus grande vigilance l'évolution des choses et ne manquera pas d'en informer la représentation nationale...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion