Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 18 décembre 2012 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative :

La proposition de loi de Mme Françoise Cartron vise à créer un nouvel outil de lutte contre l'absentéisme scolaire en supprimant le dispositif mis en place après l'adoption en 2010 de la proposition de loi de M. Éric Ciotti, qui prévoit notamment des sanctions de suspension et de suppression des allocations familiales. Ce texte d'origine sénatoriale vous est présenté avant le projet de loi pour la refondation de l'école et procède de la même logique : permettre la réussite de tous et aider les élèves et les familles sans stigmatiser personne.

Si nous sommes favorables à la suppression du dispositif « Ciotti », c'est d'abord parce qu'il ne fonctionne pas. À certains égards, il est même contreproductif tant la réponse qu'il propose est inadaptée.

Pour nous, l'absentéisme est le plus souvent le symptôme d'une situation sociale difficile touchant en particulier les mères célibataires qui peinent à suivre l'éducation de leurs enfants. Il est la première étape d'un chemin qui mène au décrochage scolaire et à l'exclusion sociale.

Alors que l'égalité fait partie de la devise de notre pays et que notre système scolaire vise l'égalité entre les enfants, on constate que les résultats scolaires sont étroitement corrélés à la situation socioéconomique des parents. L'école républicaine ne parvient pas à combler ce déficit, au contraire : les écarts mesurés entre les enfants au niveau du cours préparatoire s'accroissent en cours moyen et sont encore plus élevés en classe de troisième. Au lieu de combler ou de corriger les écarts de départ, l'éducation nationale les laisse se creuser.

Le nombre d'élèves « décrocheurs » est très important : environ 150 000 par an. Ce sont les enfants des quartiers populaires qui sont frappés et il est très difficile de les ramener dans un processus d'apprentissage alors qu'ils ont eu le sentiment de ne pas avoir trouvé leur place à l'école et ne pas avoir su faire face aux exigences pour acquérir les fondamentaux.

De plus en plus d'enfants sont en souffrance à l'école et finissent par s'esquiver, par s'en aller sur la pointe des pieds. Face à cela, qu'affirme le dispositif « Ciotti » ? Que les parents sont irresponsables, qu'ils ne s'occupent pas de leurs enfants, et qu'il faut les sanctionner en menaçant de suspendre les allocations familiales s'ils ne parviennent pas à les remettre dans le droit chemin.

Cette conception repose sur une erreur d'analyse de départ. En effet, ce ne sont pas les plus jeunes, ceux que les parents doivent amener à l'école tous les jours, qui forment l'effectif principal des absentéistes et des décrocheurs : ce sont les adolescents, et même les grands adolescents de seize ans qui, étant sortis du collège, se sentent « largués ». Beaucoup sont élèves en lycée professionnel mais ne sont pas satisfaits de l'orientation qu'on leur a proposée ou qu'ils ont choisie. À seize ans, il arrive souvent que l'on ne sache pas grand-chose du métier vers lequel on se dirige !

Bref, la « loi Ciotti » est non seulement injuste, inefficace et démagogique, mais elle porte une vision de l'absentéisme sans rapport avec la réalité que les chiffres dont nous disposons font ressortir.

De plus, il laisse de côté un tiers des élèves, ceux dont les familles sont affiliées à la Mutualité sociale agricole ou ne touchent pas d'allocations familiales parce qu'elles ne comportent qu'un enfant. Dans ce dernier cas, il s'agit souvent de femmes seules élevant un enfant unique.

L'automaticité de la sanction ne permet pas non plus de faire le tri entre les familles de bonne foi et celles, extrêmement rares, où l'incurie est telle que l'on n'attache pas d'importance à l'absence et à l'échec de l'enfant à l'école.

La sanction touche des familles monoparentales, donc des femmes seules que leurs conditions de vie empêchent de surveiller et d'épauler leurs grands enfants. Au supermarché ou à l'hôpital, les mères de familles travaillent jusqu'à des heures tardives. Les familles ont dans ce cas besoin d'être aidées. Les sanctionner, a fortiori les sanctionner financièrement, n'est pas une solution !

Les chiffres de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) montrent de façon éloquente l'échec du dispositif. Sur 12 millions d'élèves, environ 300 000 sont en situation d'absentéisme. Or il n'y a eu que 619 suspensions de versement des allocations familiales sur toute l'année scolaire 2011-2012, ce qui représente une infime proportion au regard de l'ampleur du problème.

M. Éric Ciotti invoque à cet égard un effet dissuasif : la menace de suppression des allocations familiales aurait pour effet, selon lui, de pousser les parents concernés à renvoyer leurs enfants à l'école. Là encore, les chiffres lui apportent un démenti : sur les 619 suspensions, seulement 142 ont donné lieu à un reversement aux familles à la suite du retour de l'élève dans son établissement. Le taux d'échec est donc de 80 %, contre de 60 % la première année. Il est inutile d'attendre d'arriver à 95 % : on voit bien que cela ne fonctionne pas !

Nous devons néanmoins tirer les enseignements de ce qui peut fonctionner : en cas d'absentéisme, l'établissement convoque les parents et dialogue avec eux pour chercher la cause de ce comportement. Seule la discussion avec la famille et avec l'élève peut aboutir à des résultats. Ce n'est qu'en s'intéressant au jeune et à ce qu'il a voulu dire en n'allant plus à l'école que l'on arrivera à avancer.

Je remarque aussi que l'UMP s'était auparavant refusée à soutenir l'approche de la « loi Ciotti ». En 2004, M. Christian Jacob, alors ministre de la famille, avait supprimé le dispositif de suspension des allocations familiales en vigueur depuis 1959. Dans leurs circulaires de rentrée de 2009 et de 2010, MM. Xavier Darcos et Luc Chatel, alors ministres de l'éducation nationale, insistaient sur l'importance du dialogue avec l'élève et ses parents. En 2009, alors que le président Nicolas Sarkozy souhaitait intégrer la mesure de suspension dans la loi d'orientation et de programmation sur la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), les députés de la majorité de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, emmenés par leur présidente Mme Michèle Tabarot, s'y étaient opposés.

Du reste, le fait que cette mesure ait été prévue pour la LOPPSI montre que son objectif n'était pas principalement éducatif mais sécuritaire. Il fallait incriminer un comportement. C'est de mon point de vue inacceptable.

L'absentéisme est une composante du problème majeur que constitue le décrochage scolaire. Chaque année, 150 000 jeunes quittent l'école sans formation, sans diplôme et, par suite, sans emploi. C'est un échec social considérable, voire un danger pour notre pacte républicain, que de laisser tant de jeunes sans solution.

Nous mènerons une lutte résolue contre le décrochage scolaire. Le ministre de l'éducation nationale, M. Vincent Peillon, a déjà annoncé plusieurs mesures. Pour prévenir l'absentéisme, nous mettons en place différents outils tels que les classes et ateliers relais ou les micro-lycées. Il s'agit de proposer au jeune des alternatives au dispositif classique où il n'est pas heureux et n'apprend plus rien. Un accompagnement personnalisé doit leur être proposé, comme celui que met en place la Ville de Paris pour les enfants présentant des problèmes de comportement.

Il faut également être en mesure d'alerter rapidement les services sociaux lorsque l'absentéisme est avéré. Les facteurs sont divers. Les difficultés familiales nécessitent parfois des médiations. Il peut s'agir aussi de problèmes de santé qui appellent la mise en place de dispositifs pédagogiques différents. Or, on constate que les enseignants et les services sociaux hésitent aujourd'hui à « dénoncer » la famille, craignant la sanction financière pour les parents s'ils n'obtiennent pas que l'enfant retourne à l'école.

Nous souhaitons donc que la procédure qui reste prévue dans la réglementation ne soit qu'un dernier recours, après que l'on aura fait tout le nécessaire pour remettre le jeune sur de bons rails.

Enfin, en cas de conflit familial ou si les parents sont insuffisamment présents pour encadrer leurs enfants, l'internat peut constituer une solution.

Nous sommes pleinement conscients du problème de l'absentéisme mais nous considérons que la sanction financière est néfaste. En conséquence, le gouvernement soutient la proposition de loi tendant à supprimer le dispositif. Il prendra des mesures pour anticiper davantage les problèmes et pour traiter l'absentéisme comme il doit l'être, c'est-à-dire comme un symptôme qui doit amener la communauté éducative à se rassembler pour proposer des solutions adaptées à l'enfant concerné.

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