Tout en vous remerciant d'être venue faire part à notre Commission des projets du gouvernement en matière de réussite éducative, madame la ministre, je déplore que le premier acte de votre politique soit l'abrogation prématurée, sans concertation ni transparence, d'une mesure mise en place par la majorité précédente.
La proposition de loi de Mme la sénatrice Françoise Cartron, discutée et votée par le Sénat dans le cadre de l'ordre du jour réservé au groupe socialiste, a pour seul objet la suppression du dispositif de lutte contre l'absentéisme scolaire mis en place par la loi du 28 septembre 2010. Rappelons que ce texte avait été adopté pour endiguer l'augmentation des cas d'absentéisme scolaire, qui atteignent 300 000 par an. Il créait un dispositif gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner par le moyen de la suspension des allocations familiales les parents dont les enfants auraient été absents de l'école de manière répétée et non justifiée.
Les parents sont en effet les premiers éducateurs de leurs enfants. Leur responsabilisation et leur accompagnement devenaient, avec ce texte, un élément clé de la lutte contre l'absentéisme. La suppression des allocations familiales devait être perçue comme une mesure de dissuasion, une arme ultime destinée à leur faire prendre conscience de la gravité de la situation de leur enfant. En d'autres termes, cette sanction administrative se voulait plus dissuasive que punitive, en privilégiant à chaque étape un temps d'écoute et de dialogue avec les parents afin de les orienter vers des structures, réseaux et groupes de parole susceptibles de les aider. Une large liberté d'appréciation était laissée aux chefs d'établissement et aux inspecteurs d'académie pour faire face à la complexité des situations individuelles et éviter une application mécanique.
D'ailleurs, dans sa dernière étude intitulée « Aider les parents à être parents », le Conseil d'analyse stratégique évoque le développement de dispositifs recourant à la sanction ou à l'incitation financières. Il conclut que leur succès est proportionnel « à l'intensité et à la qualité des services d'accompagnement et à l'utilisation avec justesse et parcimonie des sanctions ». Tel est bien le cadre, gradué et réversible, offert par le dispositif « Ciotti ».
Permettez-moi d'en revenir aux chiffres. L'administration a recueilli 80 000 signalements qui ont donné lieu à 60 000 avertissements, puis à 22 000 seconds signalements, 1 400 demandes de suspension des allocations familiales, 619 suspensions effectives et 142 rétablissements des allocations. On le voit : sur 80 000 cas signalés, 79 858 jeunes ont retrouvé le chemin de l'école.
Pourquoi donc se priver d'un tel dispositif, si ce n'est par pure idéologie et parce qu'il s'agissait d'une des mesures emblématiques de la présidence de Nicolas Sarkozy ? Vous avez reconnu au Sénat qu'il n'y avait pas eu d'évaluation, madame la ministre. N'aurait-il pas été plus raisonnable d'attendre avant de tout détricoter ? Et qu'en est-il du rapport que l'inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) a remis en juillet au ministre et qui, fort opportunément, n'a pas été rendu public, contrairement aux dix-sept autres ? Ne concluait-il pas à l'efficacité du dispositif ? Où est la transparence à laquelle s'était engagé votre ministre de tutelle lorsqu'il déclarait en mai que les rapports de l'IGEN avaient « désormais vocation à être publiés » ? Peut-être le système est-il, pour vous, inadapté, injuste et inefficace, mais telles ne sont pas les conclusions de votre administration !
Bref, vous n'avez pas convaincu le groupe UMP. Si une évaluation chiffrée, concrète et rigoureuse du dispositif ne vous conduit pas à abandonner vos postures purement idéologiques et vos imprécisions partisanes, nous ne pourrons vous accompagner dans votre lutte – pourtant vitale pour notre jeunesse – contre l'absentéisme scolaire.