J'ai entendu beaucoup d'arguments confortant l'inefficacité du dispositif « Ciotti ». À ceux qui plaident pour lui laisser le temps de faire ses preuves, je rappelle que la suspension des allocations familiales ne date pas d'hier. Déjà, en 2004, le ministre de la famille, qui était un conservateur, avait lui-même estimé que ça ne marchait pas. M. Éric Ciotti, était revenu à la charge en 2006, avec un contrat à mettre en oeuvre par les conseils généraux qui n'a pas pris, les enseignants et les présidents des conseils généraux n'étant pas d'accord, sauf, comme par hasard, dans les Alpes-Maritimes et en Vendée, où de tels contrats ont été signés massivement. En 2010, c'est aux inspecteurs d'académie que l'on finit par confier la responsabilité d'engager le dispositif. Ceux-ci étant des éducateurs avant d'avoir des opinions politiques, ils ont beaucoup hésité à l'utiliser. Objectivement, depuis le temps qu'on voit les choses fonctionner, on ne peut que conclure à l'inefficacité de la méthode et à l'inutilité de continuer. Nous allons commencer par supprimer ce dispositif sans intérêt puis nous le remplacerons par un système sur lequel nous travaillons avec Mme Dominique Bertinotti, ministre de la famille, qui permettra de mieux épauler et encadrer les familles confrontées à de telles difficultés.
Certains d'entre vous souhaitent connaître la teneur du fameux rapport de l'IGEN qui n'aurait pas été communiqué. Des rapports non publiés, nous en avons trouvé plein les tiroirs en arrivant au ministère de l'éducation nationale, et nous en avons mis quelques-uns en ligne. Celui dont il est question est, en réalité, une note d'étape, le travail n'étant pas terminé. Dans cette note, les auteurs ont expliqué qu'ils avaient manqué de temps pour avoir des réponses suffisamment approfondies, indiquant néanmoins que beaucoup se gardaient de lancer la procédure sachant qu'elle conduirait à des situations qu'ils n'acceptaient pas. Les inspecteurs continuent leur travail, ils le mèneront à son terme sans a priori. Pour l'instant, les chiffres témoignent de résultats tout à fait dérisoires.
Les RASED sont des outils utiles dans l'aide aux enfants en difficulté, mais le dispositif a été amplement démantelé sous les gouvernements précédents. Cela est fort dommage au regard de leur démarche, qui consiste à détecter, dans la vie de l'enfant, où se situe le noeud du problème. Plutôt que de lui répéter encore et encore les mêmes explications, l'enseignant peut alors traiter particulièrement les difficultés identifiées. Après plusieurs années de démantèlement, le nombre des RASED est devenu très insuffisant, même si, dès son arrivée, Vincent Peillon a rétabli des postes. Dans le cadre de la concertation, une réflexion a été engagée sur la manière de remettre sur pied cette aide personnalisée. La loi sur la refondation de l'école pourrait aborder partiellement le problème, mais il faudrait reprendre le dispositif de manière plus approfondi, car, s'il a joué un rôle positif, il n'est pas évident qu'il puisse être remis en fonctionnement en l'état dans tous les établissements.
M. Ary Chalus a rappelé les problèmes particuliers de l'outre-mer, où les familles sont souvent pauvres et où, en outre, la pratique de la langue maternelle est susceptible de susciter des difficultés d'apprentissage. Je me rendrai prochainement en Guyane où se posent aussi des problèmes particuliers d'accès à l'école, notamment pour les enfants qui vivent sur le fleuve. Nous allons nous attaquer au traitement de l'illettrisme en Guyane.
M. Thierry Braillard a souligné, à juste titre, que la suppression de la « loi Ciotti » n'a rien à voir avec du laxisme. Nous voulons tous que les enfants aillent le plus longtemps possible à l'école et que chacun trouve sa voie, dans l'enseignement général, dans l'enseignement professionnel ou dans la formation continue, où l'on reprend en petits groupes des notions non acquises en formation initiale. Nous sommes en train de travailler avec les régions sur les deux dossiers non satisfaisants que sont le décrochage et l'orientation pour installer une sorte de continuum de la prise en charge des jeunes le plus longtemps possible. C'est d'ailleurs un objectif conforme à la stratégie Europe 2020. Tous ces jeunes sans formation, c'est un gâchis général auquel nous devons nous attacher à remédier. Du reste, dans la stratégie européenne, je n'ai pas vu que l'on préconise de suspendre les aides aux familles. C'est donc une voie dans laquelle l'Europe ne nous conseille pas de rester.
La parentalité est un sujet essentiel. Autrefois, l'école se considérait comme une forteresse où les enfants étaient à l'abri, les parents restant bien à l'extérieur. Aujourd'hui, on se rend compte que les enfants des classes moyennes ont des facilités d'apprentissage et d'évolution dans le système scolaire parce qu'il y a une cohérence entre les demandes qu'ils reçoivent de leurs parents et celles qu'ils reçoivent de l'école. Les parents des classes populaires, eux, sont souvent mal à l'aise à l'école parce qu'eux-mêmes ne sont pas suffisamment lettrés ou qu'ils ont mal vécu leur scolarité. Ils adhèrent d'ailleurs rarement aux associations de parents d'élèves, qui jouent un rôle très important dans les établissements. Il faut trouver un moyen de les impliquer dans l'école. Dans le cadre de la réflexion sur la refondation, nous avons été saisis de propositions extrêmement intéressantes, qui ont également été présentées au groupe de travail sur la pauvreté qui vient de rendre ses conclusions au Conseil économique, social et environnemental. Ce dernier préconisait de créer un lieu, dans l'école ou à proximité, où les parents pourraient se retrouver, de façon à les apprivoiser et à les aider à se sentir un peu moins mal à l'aise à l'école. Ainsi, dans une cité difficile du Mirail, à Toulouse, un appartement est réservé aux parents juste à l'entrée du collège. Là, ils peuvent venir discuter et trouver du soutien pour affronter les difficultés que tout parent peut éprouver dans l'éducation de ses enfants.
Certains dispositifs de réussite éducative mis en place dans le cadre de la politique de la ville comportent un axe de soutien aux parents extrêmement important. C'est là un aspect qu'il importe de développer. Nous avons entamé une démarche d'évaluation de tous les dispositifs de ce type en liaison avec le ministère de la ville. Nous cherchons toutes les bonnes pratiques permettant de régler des problèmes qui se posent à tout le monde et d'enclencher le rapprochement avec les parents, en vue de les généraliser. Par exemple, dans certains établissements scolaires du Mans, des cours de français sont dispensés aux parents pour que la langue ne fasse plus barrage à la discussion avec eux.
M. Yves Durand a souligné que l'absentéisme était particulièrement important dans les lycées professionnels. Il faut effectivement modifier le regard que nous portons, tout comme les jeunes, sur ces établissements qui sont trop souvent considérés comme des voies de garage, des filières de relégation. Pourtant, ce sont des endroits surprenants de qualité. J'ai récemment visité, dans le 19e arrondissement de Paris, le lycée Hector Guimard où l'on forme aux métiers de la pierre. Le bâtiment lui-même est d'une beauté remarquable et les jeunes qui y étudient sont des artistes ; ils sont capables d'intervenir dans la rénovation de monuments. Si l'on réussissait à faire comprendre à nos jeunes qu'ils vont acquérir des compétences professionnelles qui leur permettront de gagner leur vie, on changerait vraiment le regard qu'ils portent sur les établissements professionnels. De même, il faudrait arriver à y introduire un peu de mixité sociale, ne pas en faire des endroits réservés aux enfants des classes populaires, car ils préparent à des métiers qui permettent de gagner sa vie.
Comme le dit Vincent Peillon, tous les enseignants veulent la réussite des enfants. Pour ma part, je souhaite intervenir plus particulièrement sur les sujets expliquant les difficultés que certains enfants rencontrent à l'école. Parmi ceux-là, nous travaillons sur les problèmes de santé, de l'addiction à l'obésité, et sur toutes les questions liées au handicap. À cet égard, nous avons lancé, avec Mme Marie-Arlette Carlotti, un groupe de travail sur la professionnalisation des auxiliaires de vie scolaire (AVS), ces personnes qui permettent, de manière remarquable, aux enfants de vivre et d'étudier avec les autres. Il faut parvenir à systématiser ce mode de travail, en formant les enseignants pour vaincre leurs réticences et en mettant fin à la précarité du métier d'AVS. Cherchant à impulser une politique d'innovation, je constate que, ici ou là, quantité de gens font des choses extraordinaires pour remédier à l'échec scolaire. En Gironde, j'ai visité le collège Clisthène qui perdait autrefois beaucoup d'élèves car implanté dans un quartier à population très mélangée ; aujourd'hui, il applique des méthodes pédagogiques différentes et, pour les cent places qu'il propose, les candidatures sont six fois plus nombreuses. C'est bien la preuve que, même dans des quartiers dits difficiles, on peut apporter des réponses grâce à des moyens pédagogiques différents.
La lutte contre l'illettrisme devrait être une grande cause nationale, a dit quelqu'un. Cela semble important, en effet.
L'orientation, nous y travaillons avec les régions.
Nous devons aussi revoir la scolarisation en école maternelle, que le gouvernement précédent avait mise à mal, considérant que les instituteurs n'avaient pas à changer des couches. Pour notre part, nous estimons qu'un maximum d'enfants doit fréquenter l'école maternelle, c'est pourquoi il est gênant de constater qu'y vont majoritairement les enfants issus des classes moyennes. Paradoxalement, dans les zones de pauvreté, comme la Seine-Saint-Denis, les enfants sont beaucoup moins scolarisés, en particulier entre deux et trois ans. C'est pourtant eux qui y apprendraient utilement avant d'entrer à l'école primaire.
J'ai déjà dit que nous allions dresser un bilan des initiatives en matière de réussite éducative avec le ministère de la ville. Si beaucoup est entrepris dans le cadre de ces dispositifs, l'éducation nationale n'y intervient pas suffisamment comme partenaire. Elle est impliquée au niveau local mais, au niveau national, la complémentarité n'est pas suffisamment à l'oeuvre.
L'abrogation du dispositif « Ciotti » va nous conduire vers autre chose. Dire que ce dispositif ne nous convient pas est une manière non pas de renoncer à travailler sur l'échec scolaire, mais d'affirmer qu'il faut s'y prendre autrement. Tout ce qui se construit autour de la loi sur la refondation en préparation et autour des rythmes scolaires a pour but d'aider nos enfants à progresser et à se sentir mieux à l'école. Nous sommes le pays où le nombre de jours d'école est le plus bas d'Europe, où les résultats ne sont pas bons et où les enfants souffrent le plus en milieu scolaire. Cela n'est pas acceptable. La refondation doit s'attacher à développer le bien-être des enfants à l'école, afin qu'ils n'y aillent pas à reculons et acquièrent le goût d'apprendre, sans se sentir jugés ni humiliés. Leur faire prendre conscience que l'école est le moyen de réussir leur vie d'homme est la mission que nous acceptons tous de remplir, dès que nous en aurons fini avec cette mauvaise idée qu'était la « loi Ciotti ».