Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 19 décembre 2012 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet, rapporteure :

En proposant de supprimer le dispositif de suspension des allocations familiales et d'abroger le contrat de responsabilité parentale (CRP) en cas d'absentéisme scolaire, le texte adopté en première lecture par le Sénat s'inscrit dans le droit fil d'un choix effectué en 2004 par la précédente majorité. En effet, la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance avait déjà supprimé une sanction administrative du même type. La décision avait été prise sur la base d'une recommandation du délégué interministériel à la famille Luc Machard, qui avait jugé la sanction imparfaite et injuste, puisqu'elle pénalisait les familles de manière inégalitaire, au détriment des plus démunies.

L'examen de la présente proposition de loi s'inscrit dans un calendrier, puisque, dans quelques semaines, nous examinerons un grand texte sur la refondation de l'école, qui proposera des outils aux équipes éducatives et pédagogiques pour prévenir deux maux de notre système éducatif souvent corrélés : l'absentéisme et le décrochage scolaire. Dans ce contexte, maintenir à tout prix la « loi Ciotti », stigmatisante et inefficace, n'aurait aucun sens.

Actuellement, la suspension des allocations familiales ne peut intervenir qu'une fois constatée, au cours de deux mois différents dans une même année scolaire, l'absence d'un élève au moins quatre demi-journées dans le mois sans motif légitime ni excuse valable. La sanction n'intervient qu'en dernier recours, à l'issue d'un processus qui permet à la famille de faire connaître ses observations.

Ce dispositif, socialement orienté, est très peu opérationnel. Le 16 octobre 2003, M. Christian Jacob, alors ministre délégué à la famille, l'avait déjà signalé au Sénat : « Le droit en vigueur se caractérise par un dispositif administratif de suspension des prestations familiales, dont l'application s'est révélée à la fois inefficace et inéquitable ». Ne sont pas concernées les familles avec un seul enfant ou qui n'ont plus qu'un enfant à charge, lesquelles ne perçoivent pas d'allocations familiales. Ne le sont guère plus les familles aisées, pour lesquelles les prestations familiales ne représentent qu'une ressource minime. Autant dire que la « loi Ciotti » cible les familles les plus nombreuses et les plus pauvres.

C'est pourquoi, en juin 2010, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, présidé par M. Étienne Pinte, s'y est opposé. Par la suite, le 5 novembre 2010, le conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales a émis sur le projet de décret d'application de la loi un avis défavorable, exprimé notamment par les représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF).

La ministre a pointé hier soir l'inefficacité du dispositif, que confirment les chiffres du rapport. En 2010-2011, la suspension des allocations a incité l'élève à retourner à l'école dans 78 cas sur 171 et, en 2011-2012, dans 142 cas sur 649. Autrement dit, l'an dernier, le taux d'échec de la sanction est de 70 %. En outre, au plan national, le taux d'absentéisme a progressé entre 2009-2010 et 2010-2011, année de la mise en oeuvre de la « loi Ciotti ».

Celle-ci était d'emblée vouée à l'échec, car elle n'explique l'absentéisme que par une défaillance de l'autorité parentale alors que ce phénomène résulte de causes multiples. La première est l'ennui ou la souffrance d'élèves qui ne disposent pas des bases nécessaires pour maîtriser les matières générales et à qui l'on fait comprendre, au collège comme au lycée, qu'ils n'ont pas leur place dans les bonnes filières. Les autres causes sont l'orientation, la violence et le harcèlement – qui, selon M. Éric Debarbieux, que nous avons auditionné il y a quelques semaines, expliquent le comportement de 20 à 25 % des élèves absentéistes – et l'environnement social et familial. Sur ces facteurs, la loi du 28 septembre 2010 n'a qu'une faible prise.

De plus, son application se heurte à des difficultés pratiques. Le dispositif n'est pas adapté aux lycées professionnels, où le taux d'absentéisme a atteint 14,8 % en 2010-2011, contre 2,6 % dans les collèges et 6,9 % dans les lycées généraux. Dans un lycée professionnel sur dix, il a dépassé 40 % en janvier 2011. Selon les témoignages recueillis par la Mission permanente d'évaluation de la politique de prévention de la délinquance, il faudrait, pour appliquer les textes à la lettre, que les proviseurs ou leurs équipes signalent parfois aux autorités académiques l'absence de la quasi-totalité des élèves, ce qui est matériellement impossible.

La proposition de loi prévoit également de supprimer le CRP, créé par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. La loi du 28 septembre 2010 avait modifié le dispositif qui encadre le contrat en supprimant la possibilité pour les présidents de conseils généraux de demander la suspension des allocations en cas d'absentéisme scolaire. La loi « Ciotti » a rendu le CRP caduc en privant les conseils généraux de toute initiative réelle en matière d'absentéisme.

Selon le ministère des affaires sociales, seuls 38 CRP ont été signés entre 2006 et 2010, 194 en 2010 et 174 en 2011, mais l'écrasante majorité – 184 en 2010 et 165 en 2011 – l'ont été dans les Alpes-Maritimes. D'où vient ce particularisme local ? En novembre 2011, la Mission permanente d'évaluation de la politique de prévention de la délinquance, qui a examiné la situation dans ce département, a mis en avant – page 39 de son rapport – « la difficulté d'évaluer l'impact réel » des CRP, puisqu'il n'a pas été possible de formuler la moindre appréciation positive ou négative sur un grand nombre d'entre eux.

La proposition de loi, qui supprime deux dispositifs, préserve à juste titre la procédure d'avertissement et de rappel à la loi des parents d'élèves absentéistes. Le directeur administratif des services de l'éducation nationale, saisi par le chef d'établissement qui aura constaté l'absentéisme d'un élève, pourra toujours adresser un avertissement aux parents après les avoir mis en mesure de présenter leurs observations. La proposition de loi laisse également intactes les dispositions du code pénal sanctionnant les manquements à l'obligation scolaire.

En revanche, elle prévoit une nouvelle procédure d'accompagnement des parents, centrée sur l'établissement et contractualisée. Celle-ci permettra de guider les personnes responsables de l'élève, avec l'aide des membres concernés de la communauté éducative, vers le dispositif de soutien le plus approprié et de désigner un personnel d'éducation référent pour suivre les mesures mises en oeuvre.

Je vous invite à adopter sans modification la proposition de loi, afin de tourner le plus rapidement possible la page des réponses univoques apportées par la « loi Ciotti » aux questions complexes que pose l'absentéisme scolaire.

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