Monsieur le président, mes chers collègues, dans un univers médiatique en pleine mutation, France Télévisions est confrontée à un véritable défi numérique, un défi qui doit être relevé avec fermeté, énergie et imagination. C'est pour cette raison que j'ai souhaité consacrer la partie thématique de mon rapport à son projet numérique.
Il s'agit d'un véritable enjeu démocratique. Cette révolution numérique pose en effet la question de la capacité du service public de l'audiovisuel à toucher les jeunes publics et à garantir, pour les nouvelles générations, une certaine diversité de culture et d'information.
L'année 2016 sera déterminante pour l'avenir numérique de France Télévisions car elle verra la signature du prochain contrat d'objectifs et de moyens qui devra impérativement faire une place importante à cette question. Le projet stratégique, que la nouvelle présidente de France Télévisions Mme Delphine Ernotte a présenté devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel avant sa nomination, a d'ailleurs pleinement intégré cette dimension.
Nous assistons, en effet, à un véritable bouleversement des pratiques audiovisuelles en France. En 2015, l'usage de la télévision linéaire reste nettement majoritaire, 51,9 % des Français privilégient l'usage d'un téléviseur. La durée d'écoute quotidienne s'est maintenue à un niveau très élevé en 2014 : trois heures et quarante et une minutes par individu. Derrière ces chiffres se dissimule toutefois une érosion. La durée d'écoute individuelle a subi en 2013 une diminution de quatre minutes, tendance confirmée par une nouvelle diminution, de cinq minutes, en 2014. Ce recul est plus spécifiquement marqué chez les 15-24 ans : moins 19 minutes en six ans, de 2006 à 2014. On constate, par ailleurs, un vieillissement marqué des téléspectateurs des chaînes de télévision publiques et privées. L'âge moyen des téléspectateurs de France Télévisions s'établit à cinquante-huit ans en 2014.
Il est naturellement trop tôt pour tirer de ces chiffres des conclusions définitives. Ils sont néanmoins un reflet, parmi d'autres, des évolutions qui semblent à l'oeuvre et des bouleversements qui modifieront peut-être radicalement les pratiques audiovisuelles des Français.
Les Français sont de plus en plus équipés en matériels et abonnés à des services qui constituent autant de moyens d'accès aux offres de télévision numérique : 76,1 % des foyers sont dotés de trois écrans – télévision, ordinateur, tablette ou mobile ; un téléviseur sur deux est connecté à internet via les boxes des opérateurs ; le nombre de smartphones explose avec 59,3 % des Français équipés, proportion qui s'élève à 81 % chez les 15-24 ans ; les deux tiers des foyers français sont abonnés à des offres ADSL, satellite ou câble, l'ADSL étant désormais le premier mode de réception de la télévision devant le mode hertzien.
De nouvelles pratiques audiovisuelles se développent rapidement.
C'est le cas notamment de la télévision de rattrapage. En 2014, plus de quatre milliards de programmes ont été visionnés en ligne en France, soit une progression de 106 % depuis 2011. Le recensement des consommateurs des services délinéarisés montre que ceux-ci pourraient potentiellement se détourner à terme de la télévision linéaire. Selon les estimations du Centre national du cinéma et de l'image animée, la moitié du public de la télévision de rattrapage a aujourd'hui entre quinze et trente-quatre ans.
Le développement de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) constitue une autre évolution notable du paysage médiatique, comme l'illustre l'arrivée de Netflix en France en 2014. Si ces nouveaux modes de consommation restent encore relativement peu développés en France, ils sont devenus massifs aux États-Unis. À la fin de l'année 2014, 38 % des foyers américains étaient ainsi abonnés à Netflix. Cette évolution a d'autant plus d'impact sur les chaînes de télévision en France que ces nouveaux acteurs peuvent se soustraire facilement à la réglementation française, notamment en matière de concurrence, de financement de la création et d'engagement de diffusion.
Si, face à ces évolutions, France Télévisions a développé avec retard son activité numérique, ce retard est aujourd'hui en partie comblé sous l'impulsion notamment de l'ancien président Rémy Pflimlin, qui a donné un coup d'accélérateur au développement de l'offre numérique à compter de 2011.
Le Gouvernement et France Télévisions ont fait de la stratégie numérique un axe central du contrat d'objectifs et de moyens 2011-2015, confirmé et renforcé par un avenant. France Télévisions a ainsi développé une stratégie autour de cinq axes.
Le premier axe consiste à proposer des offres dites de destination multi-écrans autour de cinq thématiques recouvrant le champ des missions de service public de France Télévisions : l'information, avec francetv info ; l'offre sportive, avec francetv sport ; l'offre culturelle, avec culturebox ; la mission éducative, avec francetv éducation ; l'offre jeunesse avec Les Zouzous et Ludo. France Télévisions a mis en oeuvre dans le même temps une refonte de l'offre régionale et ultramarine.
Le deuxième axe à développer est la télévision sociale, « Social TV », et les écrans compagnons.
Le troisième axe passe par le renforcement de la présence des marques et programmes.
Le quatrième axe repose sur le développement de la télévision de rattrapage. Le service francetv pluzz est désormais distribué sur le web, les mobiles, ou les téléviseurs via les téléviseurs connectés et les fournisseurs d'accès à internet. Francetv pluzz permettait, en 2014, l'accès à environ 76 % des programmes diffusés sur les chaînes de France Télévisions entre dix-sept heures et minuit. France Télévisions a également lancé en 2012 son service payant de vidéo à la demande Pluzzvad. Ce service permet aux téléspectateurs de retrouver les programmes diffusés sur les chaînes de France Télévisions dès le huitième jour après leur diffusion, à l'issue de la période de gratuité.
Le dernier axe du projet numérique de France Télévisions est l'accompagnement du public et la promotion des innovations. Le groupe a ainsi lancé des services innovants comme Salto, qui permet de reprendre à son commencement un programme déjà en cours de diffusion, ou Maliste, qui permet de sélectionner un programme à regarder plus tard.
Cette stratégie a permis d'étendre significativement la présence numérique de France Télévisions qui se plaçait en juin dernier, avec 10,6 millions de visiteurs uniques, au premier rang des marques audiovisuelles devant MyTFl, Canal+ et 6Play. Record en la matière, 203 millions de vidéos ont été vues au mois de septembre dernier sur l'ensemble des supports, soit une progression de 85 % par rapport à septembre 2014.
Néanmoins, des progrès restent encore à accomplir pour faire connaître plus largement ces offres au grand public, notamment en matière de culture et de programmes pour la jeunesse. À titre d'exemple, l'audience du site culturebox pour les festivals de cet été est restée inférieure à celle d'Arte Concert.
Il conviendra donc d'aborder dans le prochain contrat d'objectifs et de moyens différents enjeux majeurs pour les développements numériques de France Télévisions.
Le premier enjeu est économique. Le développement du numérique par France Télévisions a généré des charges passant de 46 millions d'euros en 2011 à 78,3 millions d'euros en 2014. Les recettes nettes associées au numérique se sont élevées, quant à elles, à 22,3 millions d'euros en 2014. Un enjeu important pour France Télévisions résidera donc dans sa capacité à trouver des pistes de monétisation accrue pour les plateformes numériques, au-delà des sources actuelles de revenus. Une réflexion est en cours au sein du groupe sur un développement plus important de services payants de vidéos à la demande.
Mme Delphine Ernotte propose ainsi, dans son projet stratégique, de développer la vidéo à la demande pour les programmes dédiés à la jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou Canalplay. Les chiffres des programmes de France Télévisions les plus vus en replay tendent à montrer qu'il existe, en effet, une forte demande en matière de vidéos de rattrapage pour ce type de programmes. Le développement d'un tel service doit concilier l'impératif d'équilibre économique avec les exigences propres à une chaîne de service public.
En toute hypothèse, de tels développements resteront soumis à la capacité financière et juridique de France Télévisions à acquérir auprès des producteurs des droits d'exploitation en SVOD.
Le deuxième défi concerne la mise en cohérence d'offres multiples.
Afin d'accélérer le développement du numérique au sein du groupe, le précédent PDG de France Télévisions, M. Rémy Pflimlin, avait créé un service spécifique dédié au numérique. Ces équipes ont été, pour l'essentiel, regroupées au sein d'une entité spécifique, localisée dans un bâtiment situé à Issy-les-Moulineaux et non au siège du groupe.
Il est désormais nécessaire de diffuser ce développement numérique dans l'ensemble du groupe et de former les personnels à ces techniques numériques, à l'instar de ce qu'a fait Arte en développant la double compétence de ses agents – télévision traditionnelle et télévision numérique. Il convient donc de parvenir à une réelle hybridation du groupe et des équipes autour d'une double mission, linéaire et numérique.
Or l'offre numérique de France Télévisions apparaît aujourd'hui foisonnante et peu lisible. L'enjeu est bien, dans un univers très concurrentiel, de promouvoir une « marque » reconnue en matière d'audiovisuel public, comme y sont parvenus de grands acteurs internationaux, et de proposer une meilleure ergonomie des différentes offres numériques.
Le troisième défi consiste à promouvoir une mutualisation des projets numériques à l'échelle du service public de l'audiovisuel. J'ai en effet constaté la dispersion des moyens dans le développement numérique au sein de l'audiovisuel public. Le lancement, en septembre, d'un service de SVOD par l'INA illustre très bien le fait que la mise à niveau des acteurs de l'audiovisuel public en matière numérique intervient en ordre dispersé.
Les moyens consacrés à l'information au sein de l'audiovisuel public sont également marqués par la dispersion. Les stratégies des sociétés publiques ne sont pas coordonnées et les moyens s'additionnent au sein des trois entités concernées : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde. Or, l'audiovisuel public dispose de moyens considérables en matière d'information : les rédactions de ces sociétés totalisent environ 4 500 journalistes, au niveau national, régional et international.
Le projet de chaîne publique d'information en continu peut constituer une occasion historique de coordonner et mutualiser les moyens des différents groupes de l'audiovisuel public en matière d'information. L'objectif est de permettre à l'usager de disposer d'une analyse et d'une compréhension de l'information, le numérique étant le vecteur idéal pour permettre une réflexion et une analyse de l'actualité.
Cette nouvelle chaîne devrait être mise en place en 2016. Elle serait disponible en priorité sur les supports numériques, en particulier mobiles, et s'appuierait sur les moyens de la direction de l'information de France Télévisions, qui regroupe plus de 1 300 personnes et dispose, en 2015, d'un budget de 235,5 millions d'euros. Par ailleurs, les synergies obtenues grâce au regroupement des rédactions dans le cadre du projet « Info 2015 », dont la première phase sera réalisée début 2016, permettraient de dégager une partie des moyens financiers et humains dont aura besoin la chaîne d'information.
Une mise en commun des moyens d'autres acteurs de l'audiovisuel public, comme Radio France, l'INA et France Médias Monde, est également prévue.
Je tiens enfin à saluer la mise en place, sous l'égide de la ministre de la culture et de la communication, d'un comité stratégique de l'audiovisuel public réunissant les différents acteurs du secteur public de l'audiovisuel ; cette nouvelle structure devrait permettre de faire émerger des projets communs, de développer les mutualisations de moyens et d'assurer le pilotage et la coordination indispensables.
Lors de la première réunion de ce comité, le 21 octobre dernier, ont été abordées les questions relatives à la coordination de l'offre publique d'information, aux moyens de mieux s'adresser aux jeunes, notamment aux jeunes adultes, ainsi que la coordination des actions en faveur de la cybersécurité.
Sur l'ensemble de ces sujets, des actions communes devraient être mises en place très rapidement.