Intervention de Virginie Duby-Muller

Réunion du 27 octobre 2015 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller, rapporteure pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai choisi cette année de consacrer l'avis budgétaire sur les crédits de la mission « Livre et industries culturelles » au cinéma et de me pencher plus particulièrement sur les salles de cinéma à l'heure du numérique.

Si un secteur est représentatif de l'exception culturelle française, c'est bien celui du cinéma, notamment la filière de l'exploitation des films. La France peut s'enorgueillir de disposer d'un réseau de salles important, avec plus de 2 000 salles sur tout le territoire, y compris en zone rurale, allant de la petite salle municipale aux multiplexes, sans oublier les 1 116 salles d'art et d'essai, véritable particularité française. En Haute-Savoie, nous disposons par ailleurs d'un réseau itinérant très dense, avec Cinébus et Écran Mobile CDPC. Cela représente au total 46 salles. Le département, à travers l'assemblée des pays de Savoie, a beaucoup oeuvré pour soutenir la partie fixe des investissements, notamment en matière de numérique.

La fréquentation demeure soutenue en France : notre pays comptabilise 209 millions d'entrées en 2014 alors que le Royaume-Uni affiche 157 millions d'entrées et l'Allemagne 122 millions. Ces bons chiffres ne doivent cependant pas occulter la réalité : à l'heure du numérique, la salle de cinéma doit relever deux défis.

Premièrement, la possibilité de regarder un film en dehors de la salle proprement dite s'est accrue. À la télévision et à l'ordinateur sont venus s'ajouter des appareils nomades comme les smartphones ou les tablettes. De nouveaux modes de consommation des films se sont développés : streaming, vidéo à la demande et même « e-cinéma ». Depuis 2014, quelques films ne sont d'ailleurs proposés que sur internet.

Deuxièmement, les bobines argentiques de 35 millimètres ont été remplacées par des fichiers numériques stockés sur des serveurs et diffusés au moyen de projecteurs électroniques. Ces transformations dans la diffusion induisent des bouleversements dans l'économie du film. Les copies circulent plus rapidement et peuvent être reproduites avec facilité ; les coûts sont réduits. Toute la chaîne de distribution et de diffusion est ainsi modifiée.

Ce passage au numérique comporte des points positifs. Il permet une plus grande souplesse de programmation et une offre accrue de films, notamment en exclusivité, qui profite au cinéma français : entre 2010 et 2014, le nombre de films français diffusés a ainsi progressé de soixante et onze titres.

Le revers de la médaille de cette souplesse et de cette offre abondante est une plus grande rotation des films. Comme il est plus facile de faire circuler les copies et d'augmenter leur nombre, la première semaine de diffusion devient décisive : les succès mais aussi les échecs sont accentués.

Ce phénomène se ressent sur la programmation. Les distributeurs privilégient des plans de sortie de leurs films qui leur assurent une rentabilité rapide. Les petites salles situées dans des petites villes ou des villes moyennes peinent à accéder aux films en exclusivité. Cette difficulté menace les salles indépendantes et favorise la concentration. La diversité des salles est ainsi remise en cause et, par là même, la diversité de l'offre de films.

Comment alors parvenir à préserver ce pluralisme de l'offre, ce tissu diversifié de salles ? Grâce à la loi portée par notre collègue Michel Herbillon en 2010, toutes les salles en métropole sont désormais équipées de matériel de projection numérique grâce à un mécanisme redistributif, dit virtual print fee (VPF). Cette contribution obligatoire, versée par les distributeurs pour l'ensemble des films et des salles, est fléchée vers les exploitants afin de les aider à financer leurs investissements en équipement numérique. Ce dispositif, salué par toute la profession, a permis d'éviter une fracture entre les grandes enseignes et les petites exploitations et de conserver un maillage territorial dense. N'oublions pas l'Outre-mer, où le mécanisme sera mis en place l'année prochaine.

Néanmoins, ces évolutions technologiques sont loin d'être achevées. On peut légitimement se demander si les petits établissements pourront continuer cette course à l'innovation. Se pose déjà la question des coûts annexes du numérique liés à la maintenance ou l'achat de consommables, plus coûteux.

Par ailleurs, les économies permises par le numérique profitent surtout aux grandes enseignes. Comme je le mentionnais, la concentration du secteur a été accentuée. Le nombre d'établissements diminue tandis que le nombre d'écrans augmente. Les chiffres sont significatifs. Entre 2005 et 2014, le nombre d'établissements a diminué de 2,6 % : chaque année en moyenne, une dizaine d'entre eux ferme. Dans le même temps, le nombre d'écrans a augmenté de 7,2 %. Ce phénomène traduit l'émergence des multiplexes, lesquels représentent en 2014 60 % des entrées et 64 % des recettes alors qu'ils ne forment que 9,4 % du parc. S'il est vrai que ces salles participent de la bonne tenue de la fréquentation, il n'en reste pas moins qu'elles constituent un danger pour les petites exploitations.

L'implantation des salles de cinéma est déjà fortement encadrée et, en 2014, le dispositif a été renforcé afin de préserver le pluralisme des salles. Ainsi, tout projet d'extension d'un cinéma qui atteindrait huit salles est soumis systématiquement à autorisation par la commission départementale d'aménagement cinématographique. Aujourd'hui, une plus grande régulation semble nécessaire. Des améliorations sont encore possibles s'agissant, en particulier, de la composition des commissions départementales, où les experts du secteur culturel sont trop peu nombreux, ou encore du contrôle du respect des engagements du projet présenté.

J'en viens au deuxième défi : comment maintenir une offre de film diversifiée sur tout le territoire ?

Association créée en 1983, l'Agence de développement régional du cinéma (ADRC) joue un rôle crucial dans l'accès aux films pour les petites salles. Elle finance des copies de film en sortie nationale pour celles d'entre elles qui en font la demande. En 2014, 2 000 communes ont bénéficié de ce dispositif. Je tiens à saluer leur travail qui permet d'assurer l'aménagement culturel dans des territoires reculés.

Il faut aussi noter les importantes mesures destinées à éviter la disparition des petites salles et à faciliter leur reprise. En premier lieu, l'État a créé une filière au sein de l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son, ex-FEMIS, afin de former les nouveaux exploitants. En deuxième lieu, un soutien financier sous forme d'un fonds d'avance remboursable sera mis en place. Géré par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), il permettra d'octroyer des avances qui pourraient représenter jusqu'à 40 % du montant de l'acquisition de petites ou moyennes exploitations sur une période de quatre ans à sept ans par des exploitants de moins de quarante-cinq ans.

Toutefois, le vrai danger réside aujourd'hui dans le piratage des films. Selon l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, en 2015, 13,5 millions d'internautes ont consommé des vidéos de films illégales, que ce soit en streaming ou en téléchargement.

La signature de la Charte des bonnes pratiques entre annonceurs, professionnels de la publicité et représentants d'ayants droit, qui vise à exclure les sites pirates de leurs relations commerciales et à les priver de recettes publicitaires, ne produira que des effets limités car elle ne permettra pas d'atteindre des sites domiciliés à l'étranger. La dissuasion passe par la mise en oeuvre de réelles sanctions.

Pour conclure, je soulignerai que l'engouement des Français pour la sortie au cinéma ne faiblit pas. Ce n'est pas la première fois que la salle de cinéma doit relever le défi d'innovations technologiques. Donnée moribonde avec l'arrivée de la télévision et du magnétoscope, elle a su résister. Les bons chiffres de la fréquentation du jeune public sont particulièrement encourageants : 22 % des spectateurs sont âgés de moins de quatorze ans et presque 20 % d'entre eux ont entre quinze et vingt-quatre ans. L'éducation à l'image doit être encouragée. Dans une société de plus en plus individualiste, la séance de cinéma reste un moment de convivialité et de partage.

L'une de nos grandes actrices françaises, Isabelle Huppert, définit le cinéma comme « un art beaucoup plus périssable que les pyramides ». Aujourd'hui, c'est à nous, législateurs, d'en prendre conscience et de mettre en place des politiques publiques afin d'agir efficacement pour sa conservation, son développement et son rayonnement international.

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