En octobre 2012, dans mon avis sur les crédits destinés à la presse dans le projet de loi de finances pour 2013, j'avais établi un bilan sévère des aides à la presse et mis en évidence de nombreux dysfonctionnements, en rendant publique pour la première fois la liste édifiante des montants attribués aux trente titres les plus aidés par l'État. Mon rapport appelait à une remise à plat de l'intervention de l'État en faveur de la presse, fondée sur deux objectifs principaux : d'une part, rationaliser les aides à la distribution et à la diffusion ; d'autre part, recentrer l'effort financier sur une presse citoyenne de qualité ainsi que sur les investissements d'avenir et l'innovation. J'insistais également sur le nécessaire renforcement de la contractualisation et de la transparence des aides.
Sur la base de ces propositions, s'est engagée en 2013 et 2014 une réforme des aides à la presse qui se poursuit en 2015 et 2016 avec le chantier crucial de la réforme des aides à la distribution, alors que les « accords Schwartz », qui précisaient les conditions de distribution de la presse par La Poste pour la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015, arrivent à échéance.
Trois ans après le diagnostic sévère que j'ai posé, il m'est apparu opportun de dresser un premier bilan des évolutions intervenues depuis lors et de formuler des propositions pour les réformes à venir.
Dans le dossier complexe de la réforme des aides à la presse, un premier constat s'impose : il est tout aussi urgent de réformer un système qui présente des défauts majeurs qu'il est difficile de faire évoluer un secteur qui se porte mal. Si face aux contradictions et incohérences du système, la première tentation est celle des solutions radicales, les demi-mesures l'emportent parfois hélas à la lumière des risques que la moindre adaptation ou modification font peser sur un secteur d'une extrême fragilité.
J'ai donc dû me rallier à la conviction que la réforme des aides à la presse doit nécessairement procéder d'un équilibre subtil entre audace et prudence : de l'audace afin de mettre fin aux plus graves défauts et aberrations du système ; de la prudence afin d'éviter les effets trop brutaux et les ruptures fatales, alors que le système d'aide a placé le secteur dans une situation de grande dépendance à son égard. À cette aune, les évolutions récentes et annoncées des aides à la presse fournissent quelques motifs de satisfaction. Il faut donc avoir le courage de changer ce qui peut l'être, la sérénité d'accepter ce que nous ne pouvons pas changer et la sagesse de reconnaître un certain nombre de progrès.
Parmi les progrès, il faut compter la régulation renforcée. Nous pensons être en position de voir émerger un barème des messageries qui permettrait d'établir un juste prix. Nous avons assisté au développement des mutualisations entre les messageries – peut-être faudra-t-il d'ailleurs aller jusqu'à la fusion. Même si beaucoup de retard a été pris, des sociétés communes de moyens et un système d'information commun se sont développés. Des avancées ont également été enregistrées dans les réflexions sur la gouvernance et l'organisation de l'Agence France Presse.
Reste toutefois beaucoup à faire.
Premier chantier : le recentrage de l'aide postale sur la presse d'information politique et générale (IPG). J'aime à le rappeler : en 2008, 20 % de l'avantage tarifaire postal, soit l'équivalent de 53 millions d'euros, bénéficiaient à huit magazines de télévision ; en 2014, ceux-ci bénéficiaient encore à ce titre de près de 20 millions d'euros, alors que l'ensemble de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse s'établit à 3,68 millions d'euros.
Il faut également prendre en compte la création de deux nouvelles catégories de presse, la presse du savoir et de la connaissance et la presse de loisir et de divertissement à côté et de la presse IPG. Ces trois catégories ne bénéficieront pas des mêmes montants d'aides. Pour la presse IPG et la presse du savoir et de la connaissance, il faudrait que les tarifs postaux se rapprochent de ceux de l'inflation tandis que la presse de loisirs se verrait appliquer une augmentation sensible, l'objectif étant de parvenir à une convergence des titres vers le tarif universel. Concrètement, pour La Poste, le coût de distribution est aujourd'hui de 80 % de déficit pour un quotidien et de 70 % pour un titre de la presse de loisirs. L'évolution vers le juste prix – 70 % sur sept ans, soit 10 % par an – ne paraît pas simple.
Il faudra aussi définir les contours de ces nouvelles catégories de presse. Tout laisse à penser que sur 6 500 titres, la moitié relèverait de la presse du savoir et de la connaissance, l'autre moitié entrant dans la catégorie de la presse de loisirs. Vous aurez compris que ce classement sera source pour la commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) de soirées animées, chacun voulant être placé dans la bonne case afin de bénéficier des frais postaux les moins élevés !
L'aide au portage devrait être pensée en cohérence avec l'évolution de l'aide au transport postal. La question est complexe car si l'aide postale diminue pour la presse de loisirs, les clients abandonneront l'envoi postal au profit du portage, ce qui contribuera à augmenter le coût pour La Poste qui ne transportera plus les titres en quantité nécessaire. Il faudra sans doute aller plus loin dans le portage multi-titres. Disons-le : La Poste me semble avoir raté le coche avec Neopress. Il est évident que demain, si elle devait perdre en volumes transportés, il serait nécessaire qu'elle se lance dans le portage pour certains titres.
Parmi les choses positives que la ministre va nous annoncer, notons l'extension de l'aide au pluralisme aux publications fragiles qui ont une périodicité autre que quotidienne. Certains journaux bénéficient, en raison de leurs faibles recettes publicitaires, d'une aide particulière qui va être étendue à quelque soixante-quinze nouveaux bénéficiaires, des hebdomadaires et des mensuels. Rassurez-vous, cette enveloppe de 4 millions d'euros ne sera pas prise sur les autres aides accordées : il s'agit de crédits nouveaux.
Je pourrais vous parler du fonds stratégique pour le développement de la presse en ligne et des rapports de la presse avec Google, en vous montrant le danger que présentent certains phénomènes. Je pourrais aussi vous dire que nous devrions aller beaucoup plus loin en matière d'aides à l'innovation et au numérique.
Mais, en guise de conclusion, je vais plutôt vous lister une vingtaine de recommandations que je formule dans mon rapport :
– Appliquer à la presse d'information politique et générale (IPG) et à la presse de la connaissance et du savoir un même taux d'augmentation de leur tarif postal, voisin du taux d'inflation.
– Pour les titres de la presse du loisir et du divertissement, établir une trajectoire acceptable de convergence vers le tarif universel de La Poste, s'étalant sur plusieurs années.
– Apporter une réponse à la distorsion de concurrence créée par la diffusion au tarif préférentiel IPG de suppléments spécialisés de titres IPG, concurrents d'autres catégories de presse. Pour ne citer que deux exemples, Madame Figaro et le M Le magazine du Monde bénéficient du prix IPG de La Poste appliqué aux quotidiens. D'autres magazines se voient appliquer des postaux beaucoup plus importants, alors que ce sont des publications du même type.
– Clarifier dans la durée la finalité et les perspectives d'évolution de l'aide au portage.
– Approfondir différents scénarii d'évolution graduelle vers une aide unique à l'exemplaire diffusé, en envisageant son extension à la diffusion numérique.
– Pour le calcul de l'aide au portage, exclure le portage réalisé, non pas de manière individuelle mais par paquets, à destination des hôtels, des entreprises de location d'automobiles, etc. Notre collègue Rudy Salles avait relevé ce problème et le ministère de la culture et de la communication a déjà exclu le portage à destination des aéroports. Nous sommes bien partis, mais nous ne devons pas nous arrêter en chemin.
– Réexaminer le rôle de La Poste dans l'avenir du portage.
– Redéployer une partie des crédits dégagés par la baisse de l'aide au transport postal vers le soutien aux initiatives émergentes et innovantes du secteur de la presse.
– Renforcer et étendre la réduction d'impôt pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d'information ; relever les plafonds de la réduction d'impôt dont bénéficient les particuliers ; réactiver la réduction d'impôt pour souscription des entreprises au capital des sociétés de presse en majorant l'avantage pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d'information.
– Fournir un premier bilan de l'impact de l'application d'un taux super réduit de TVA à la presse en ligne. Pour l'heure, je n'arrive pas à en mesurer les conséquences.
– Maintenir l'éligibilité des services de presse en ligne de la connaissance et du savoir aux aides du fonds stratégique pour le développement de la presse.
– Relever les taux de subvention du fonds stratégique pour le développement de la presse.
– S'assurer que les crédits du fonds Google ne se substituent pas à l'action des pouvoirs publics en matière d'accompagnement à la transition numérique.
– Accélérer la mise en place de la conditionnalité des aides. Au vu de la concentration qui est à l'oeuvre, je pense qu'il faudra établir une distinction entre les journaux qui se font sans journalistes et ceux qui respectent les obligations déontologiques et l'emploi.
– Plus important encore, il faut changer radicalement de politique vis-à-vis des kiosquiers et des marchands de journaux. Je propose de consacrer une partie des marges de manoeuvre financières dégagées par la réforme de l'aide postale à la mise en place d'une aide publique plus structurante et pérenne en faveur des diffuseurs. Même si les sommes en jeu sont beaucoup moins importantes que celles dont je viens de vous parler, les mesures sont sans cesse reportées à l'année suivante. En tout cas, elles n'arrivent pas au rythme où les marchands de journaux et kiosquiers pourraient le souhaiter.