Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 27 octobre 2015 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Comme mes collègues, je tiens à vous féliciter tous les trois pour la qualité de vos rapports.

Monsieur Cresta, parmi les offres numériques les plus fréquentées de France Télévisions que vous pointez, certaines sont destinées aux enfants. Le Sénat vient d'adopter une proposition de loi écologiste qui prône la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse du service public. En effet, les études scientifiques démontrent un impact sanitaire négatif de la publicité sur les enfants qui la subissent. Le chercheur français Michel Desmurget dénonce notamment le rôle de la publicité pour les produits alimentaires auprès des enfants : celle-ci entraîne l'émergence précoce d'habitudes de vie sédentaires et de préférences alimentaires inadaptées.

Avez-vous envisagé l'interdiction de la publicité pour les programmes diffusés via le numérique à destination des enfants ? Pensez-vous, comme nous, que la démarche d'intérêt général du service public de l'audiovisuel est incompatible avec le matraquage publicitaire à l'intention des jeunes enfants ?

Michel Françaix, vous êtes un expert de la presse française et votre rapport est, comme d'habitude, extrêmement fouillé. Vous soutenez l'extension annoncée de l'aide au pluralisme pour atténuer la concentration des aides. Cependant, vous n'évoquez pas la question de la concentration de la propriété des titres. Le journaliste Fabrice Arfi écrit dans Mediapart : « Sept milliardaires, dont le coeur d'activité n'est pas l'information – c'est de vendre des armes, de faire du BTP, de la téléphonie mobile, de la banque – ont entre leurs mains 95 % de la production journalistique. »

Ce chiffre de 95 % déborde largement du journalisme de presse puisqu'il inclut radios, télévisions et sites d'information. Néanmoins, il devrait nous interpeller. Pour mémoire, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), intitulé Les Jours Heureux, mentionnait l'importance de rétablir « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères. »

Soixante-dix ans plus tard, il semblerait que cet objectif de l'indépendance de la presse ne soit plus une préoccupation. Certes, votre rapport mentionne, page 39, qu'il est important de soutenir l'émergence de nouveaux médias. Dans un secteur autant dominé par l'argent, ne craignez-vous pas que ces nouveaux médias soient inaudibles ou, pire, qu'ils soient rachetés dès qu'ils deviennent audibles ?

Madame Virginie Duby-Muller, votre rapport mentionne l'importante augmentation du budget de la Hadopi : il remonte de 6 millions d'euros à 8,5 millions d'euros, sans que cette augmentation de 41,6 % ne soit justifiée quelque part. Notons que ce budget fluctue beaucoup puisqu'il était de 8 millions d'euros en 2013. Cette année, le document budgétaire indique que ces crédits permettent de « financer les missions d'appui au développement de l'offre légale et de protection des oeuvres contre le téléchargement illégal. »

À ma connaissance, le bilan de la Hadopi est nul. Cette autorité indépendante peut tout au plus se vanter de subventionner La Poste à grande échelle, en expédiant des millions de lettres recommandées. Mais quel est l'effet de ces courriers ? La quasi-intégralité de la production culturelle est aujourd'hui disponible en téléchargement illégal. À quoi servent les millions dépensés ?

Je vous ai déjà parlé du blog « J'voulaispaspirater.tumblr.com ». Voici la dernière mésaventure qui y est contée. Un internaute voulait visionner une série récente appelée Mr. Robot. Après avoir tenté d'y accéder légalement en France, cet internaute s'est résolu à la télécharger. Quelques jours plus tard, il recevait un message de la Hadopi lui signalant qu'il avait violé l'article L.331-25 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle, puisque son ordinateur avait été utilisé pour diffuser cette série. Après vérification, le site même de la Hadopi, www.offrelegale.fr, confirme que cette série n'est pas disponible en France.

Chers collègues, peut-on vraiment parler de contrefaçon d'une oeuvre lorsque celle-ci est volontairement rendue indisponible par ceux qui sont chargés de la diffuser ? Les 8,5 millions d'euros de la Hadopi seraient bien mieux employés à financer la création et la diffusion, au lieu d'être utilisés pour payer l'envoi de millions de courriers inutiles.

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