Intervention de Jean-Christophe Belliard

Réunion du 7 octobre 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan indien au ministère des affaires étrangères :

Aujourd'hui, le Burkina Faso se trouve quelque part entre 1789 et 1793. Le pire, toutefois, semble passé. La tentative de coup d'État du général Diendéré a échoué, principalement parce que les Burkinabés eux-mêmes, et en particulier l'armée nationale, s'y sont opposés. En effet, le coup d'État est le fait d'un régiment spécial qui constituait autrefois la garde présidentielle de M. Compaoré. Forte du succès obtenu voici un an, la société civile s'est associée au reste de l'armée nationale, en poussant M. Diendéré à jeter l'éponge sans effusion de sang. Le régiment présidentiel est dissout et la situation est redevenue normale, le président Kafando s'étant même rendu à New York pour participer à l'Assemblée générale des Nations Unies – un symbole fort.

La période de transition doit s'achever prochainement. Il reste à fixer la date des élections, qui devaient se tenir dans quelques jours. Sur ce point, la communauté internationale (ONU, CEDEAO, Union africaine) a toujours été unanime. Je tiens à saluer le travail de l'Ambassadeur de France qui a joué, un rôle majeur dans la résolution de cette crise, tout en laissant les institutions africaines sur le devant de la scène.

Plusieurs problèmes persistent, en particulier celui de l'inclusivité des élections, que demande, non seulement la communauté internationale (CEDEAO, Union africaine), mais aussi les partis politiques burkinabés eux-mêmes. De leur point de vue, en effet, les résultats des élections ne seraient pas affectés par la présence de la mouvance de l'ex-président Compaoré, que les récents événements ont grandement décrédibilisée. Mieux vaut donc, de ce fait, ne pas l'exclure du processus électoral. Cependant, la société civile, très en pointe et organisée autour du mouvement du « Balai citoyen », s'y oppose. C'est dans ces conditions que le président Kafando, modéré et sincère, il est l'homme de la situation car, loin de chercher à conserver le pouvoir, il recherche une voie de sortie – doit composer entre la société civile, les partis politiques et la communauté internationale.

Le débat sur l'inclusivité des élections n'est donc pas encore clos, ce qui représente une incertitude, et donc un risque pour le processus électoral. Dans le même temps, des arrestations ont eu lieu, dont celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, M. Jibril Bassolé, soupçonné d'avoir trempé dans la tentative de putsch du général Diendéré. On voit donc que les choses ne sont pas encore stabilisées.

J'en viens à la question des migrations. Elle est principalement liée à la situation qui prévaut au Proche-Orient et l'on parle moins de son volet africain. Celui-ci s'explique par la situation de la Libye par laquelle, en l'absence d'État, passent les flux migratoires actuels. Le processus de paix libyen pourrait, prochainement, déboucher sur la constitution d'un gouvernement d'union nationale, qui permettrait à la Libye de faire face, à la fois au terrorisme et aux flux migratoires. En attendant, l'Europe prend la mesure de la réalité des migrations venues d'Afrique. En vue de la conférence de La Vallette, l'Union européenne a entamé un travail préparatoire à la création d'un fonds de 1,8 milliard d'euros, qui permettrat de financer des mesures de soutien au principaux pays d'origine, en particulier les pays sahéliens comme le Niger, afin d'y fixer davantage les populations. Je note qu'alors que Mme Ashton ne s'était jamais rendue en Afrique pendant son mandat, Mme Mogherini, quant à elle, s'y intéresse manifestement. Elle vient d'annoncer une aide budgétaire financière substantielle aux pays du Sahel – en particulier le Niger et le Tchad, dont les dépenses de sécurité ont décuplé depuis deux ans pour faire face aux crises sécuritaires de la région, notamment le Mali, Boko Haram, et la Libye.

Nous encouragerons l'Europe à faire encore davantage. Elle a commencé à le faire avec nos partenaires africains, y compris l'Union africaine : une réflexion est en cours sur différents points de fixation, ou hot spots. Le Niger, par exemple, aura bientôt 50 millions d'habitants alors qu'il est dépourvu de ressources. Faute de perspectives, les habitants du Sahel choisissent l'exil, le plus souvent vers le Sud, notamment la Côte d'Ivoire – dont un tiers de la population n'est pas ivoirienne – et le Nigéria. La France souhaite que l'Europe consacre le plus de fonds possibles à ces pays du Sahel, de façon à ce qu'ils parviennent à retenir leurs populations.

S'agissant de l'Afrique orientale, on parle beaucoup de l'Érythrée, moins du Soudan et de l'Éthiopie. Je me trouvais au Caire lors de l'assassinat d'Éthiopiens, en Libye, par Daech : l'Ambassadeur d'Éthiopie en Égypte m'a alors précisé que la moitié d'entre eux étaient, en fait, érythréens. À leur arrivée en Europe, bon nombre d'Érythréens sont sans doute Soudanais ou Ethiopiens. Il y a évidemment un problème érythréen, mais il concerne aussi le Soudan et l'Éthiopie. L'Érythrée impose à ses jeunes un service militaire illimité, ce qui les pousse à partir. L'Éthiopie, pays de 90 millions d'habitants, ne parvient pas, malgré une croissance de 10 % depuis dix ans, encore à offrir du travail à tous : l'émigration y est donc surtout économique. Le Soudan, enfin, est le théâtre de trois guerres (Darfour, Sud-Kordofan, Nil bleu), ce qui explique que ses habitants cherchent à fuir le pays.

Quant au Nigéria, pays de 200 millions d'habitants, première économie de l'Afrique, qui fait face au problème du terrorisme de Boko Haram, il représente une soupape de sécurité importante pour les pays de la région. Lorsque le problème de Boko haram sera résolu, et le président Buhari s'y emploie, il sera susceptible d'accueillir le trop plein de population de la région. Les populations du Sahel se dirigeront alors vers le Sud, et non vers le Nord.

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