Au Burkina Faso, il est possible que les élections soient organisées rapidement, car la commission électorale indépendante a accompli un bon travail – ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs. Le Burkina Faso est un pays solide, structuré, qui s'appuie sur des institutions et une société civile fortes. Le niveau de conscience politique y est élevé. En revanche, le caractère inclusif des élections est plus problématique, car la société civile est particulièrement militante en la matière. La communauté internationale pousse en ce sens, néanmoins.
Le cas du Burkina Faso peut-il servir d'exemple ailleurs sur le continent ? Au fond, ce pays n'a jamais digéré l'assassinat de Thomas Sankara, qui demeure au coeur de toutes les réflexions. Toutefois, le renversement du gouvernement par la population, descendue dans la rue, voici un an, n'est pas passé inaperçu au Congo Brazzaville, par exemple, où l'opposition est déjà mobilisée en vue du référendum du 25 octobre prochain, et où le président Sassou a perdu certains de ses alliés politiques.. Le véritable modèle, néanmoins, est plutôt celui du Nigéria, car ce pays, si complexe, a connu une alternance démocratique. En Afrique du Sud, le pouvoir reste aux mains de l'ANC. Au Nigéria, le président sortant, battu, a accepté le résultat des élections. Le 29 mai, lors d'une cérémonie à Abuja, il a rendu hommage à son successeur, qui a fait de même. Autrement dit, si ce pays, si complexe, a réussi son alternance, alors d'autres peuvent le faire également.
Les églises jouent un rôle de modération, non seulement au Burkina Faso, mais ailleurs aussi en Afrique : en République démocratique du Congo et au Congo Brazzaville, par exemple, les évêques et les archevêques tâchent de bâtir des ponts entre les uns et les autres, et il n'est pas surprenant qu'ils aient dirigé des conférences nationales dans d'autres pays, car ils créent la possibilité d'un dialogue.
Il est vrai que la corne de l'Afrique compte 140 millions d'habitants, mais tous ne sont pas destinés à se déverser en Europe. L'Éthiopie, à elle seule, compte près de 100 millions d'habitants ; or, son taux de croissance atteint 10 % depuis dix ans. Nombreux sont toutefois les jeunes qui cherchent à émigrer, surtout dans les pays du Golfe, mais il ne faut pas s'attendre à un phénomène migratoire de masse. De même, les Soudanais migrent généralement vers le Golfe et, en Europe, leur destination privilégiée est le Royaume-Uni, pour des raisons linguistiques. Quant à l'Érythrée, sa principale filière d'émigration concerne la Suède et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni.
Depuis quelques années, les itinéraires convergent vers la Libye. Autrefois, les filières migratoires passaient principalement par le Maroc et l'Espagne, mais ces deux pays ont mis en place des politiques qui ont contribué au tarissement des flux, lesquels, à présent, qu'ils soient originaires d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique de l'Est, convergent vers la Libye. La crise que traverse ce pays est au coeur du problème. Or, en l'absence de gouvernement et d'interlocuteur en Libye, il est difficile de contrôler les choses, à la fois à terre et sur mer (l'opération navale de l'Union européenne ne peut se déployer pleinement). Accessoirement, la persistance de la crise libyenne est susceptible De compliquer, à nouveau, les choses au Mali.
Le Nigéria aura autant d'habitants que les États-Unis dans vingt ans, et davantage que la Chine à la fin du siècle. Au Niger, le taux de fécondité est de l'ordre de 7,1 enfants par femme. La question de la démographie africaine est si importante qu'aucun pays, seul, n'a la capacité de la résoudre ; c'est à la communauté internationale de se mobiliser. Le Fonds des Nations Unies pour la population travaille dans ce sens. Toutefois, le problème possède une dimension culturelle et religieuse. Le Niger, par exemple, est un pays, démocratique, qui fonctionne, mais son président doit composer avec un socle culturel particulier. Des efforts sont consentis, des moyens sont alloués, mais il n'appartient pas à la France, seule, de mobiliser des ressources qu'elle n'a pas. C'est à l'Europe d'agir et de mutualiser les moyens qu'elle consacre à cette question – car c'est plus facile à 28. Lors de l'élargissement de l'Union européenne, peu de nouveaux États membres étaient conscients de la réalité africaine. Tous ont aujourd'hui pris la mesure du problème. Le fonds de 1,8 milliard d'euros que j'ai mentionné s'ajoute à l'ensemble des initiatives des pays membres, soit un montant total de l'ordre de 10 à 15 milliards d'euros pour stabiliser les populations africaines, en particulier dans le Sahel, mais pas uniquement, car il s'agit également de favoriser la croissance dans les pays du golfe de Guinée. La croissance de la Côte d'Ivoire atteint aujourd'hui 10 % . Le Nigéria souffre aujourd'hui de la baisse des prix du pétrole et de Boko Haram, mais représente une nouvelle frontière pour l'avenir. Je rappelle que 90 % des migrants africains ne se rendent pas en Europe, mais, ailleurs, en Afrique. La pression migratoire sur l'Europe fait l'actualité, mais les flux migratoires africains sont essentiellement dirigés vers le Sud – Sahéliens en Côte d'Ivoire, Maliens au Gabon, Congolais en Afrique du Sud – que vers le Nord.
S'agissant de l'action humanitaire et sanitaire, les collectivités territoriales conduisent déjà des projets au Burkina Faso, qu'il faut poursuivre en dépit du contexte budgétaire. Toutes les initiatives sont les bienvenues ; néanmoins, il faut aussi conduire de grands projets pour lesquels l'échelle européenne est la plus adaptée.
Depuis six mois, l'emprise géographique de Boko Haram s'est considérablement réduite. Ce groupe est en difficulté, parce que les pays de la région se sont unis : le Tchad a déployé 2 500 hommes au Nigéria et autant au Cameroun, à quoi s'ajoutent 2 500 soldats nigériens au Nigéria. C'est à l'initiative de la France que les pays de la région ont mis en place, à Paris, un mécanisme de coordination, de sorte que les Africains se saisissent eux-mêmes du problème. La France a agi au Mali, puis a passé le relai à l'Union africaine puis aux Nations Unies. En RCA, la France a agi de concert avec l'Union africaine, puis a passé le relai aux Nations Unies. Avec le traitement du dossier Boko Haram, nous approchons de notre but : que l'Afrique gère elle-même ses problèmes. Avec les Britanniques et les Américains, nous soutenons les pays de la région (renseignement, coordination, matériels) pour qu'ils règlent, eux-mêmes, le problème posé par Boko Haram. J'ajoute que le nouveau président nigérian, M. Buhari, est un homme du Nord, originaire de l'État de Borno, fief de Boko Haram. Il manifeste une forte volonté d'agir – même si la modernisation de l'outil militaire nigérian ne saurait se produire du jour au lendemain. Comme les terroristes du Nord du Mali, Boko Haram a été, à un moment, sur le point de prendre une grande ville (Maiduguri). Il n'a, aujourd'hui, plus les moyens de conquérir des villes et des territoires, mais conserve encore la capacité de perpétrer des attentats – comme, il y a quelques jours, à Abuja ou encore au Tchad. Il est important que les pays africains soient en mesure de régler, eux-mêmes, leurs problème.
C'est tout l'objet du G5 africain : les pays de la région – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – agissent, concrètement et de concert, en conduisant des opérations conjointes et transfrontalières. L'Afrique est à la manoeuvre, conformément au souhait exprimé lors du sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique de 2013, lors du sommet UE-Afrique de 2014 et aussi lors du sommet États-Unis-Afrique. Les 55 pays africains ont la volonté politique d'aller dans ce sens, et on peut, je crois, être optimiste de ce point de vue. Nous n'avons plus vocation à intervenir çà et là en Afrique ; au contraire, nous pouvons aider les Africains à agir par eux-mêmes.
La question du contrôle de la natalité, qui vaut pour l'Afrique mais aussi pour le monde arabo-musulman, est complexe et se caractérise par une forte dimension culturelle. Que deviendra le Niger lorsqu'il aura 50 millions d'habitants ? Le cadre bilatéral n'est pas adapté pour y répondre. L'Afrique, les Nations Unies, la communauté internationale doivent agir ensemble pour relever cet immense défi.
J'en viens à la conférence de Malte. La préparation progresse, mais les pays africains ont des réticences sur certains aspects, notamment sur la question des retours (ou réadmission). Il s'agit d'un tout, avec des obligations partagées entre les deux continents.
À la question migratoire est liée celle des trafics : le trafic de drogue a pris des proportions très importantes, profitant de l'instabilité de la Guinée Bissau où les militaires sont encore à la manoeuvre. Ces trafics alimentent les filières sahéliennes, où les trafiquants transportent tantôt des migrants, tantôt de la drogue, et peuvent être, également, à d'autres moments, terroristes. Au Mali, le cessez-le-feu n'a pas été respecté dans deux localités : Menaka et Anefis, qui sont, précisément, deux noeuds de communications situés sur les voies qu'empruntent les trafiquants.
À la Vallette, l'Europe et l'Afrique doivent se concerter pour, ensemble, trouver des solutions conjointes sur l'ensemble des aspects de ce dossier (contrôle des frontières, développement à long terme, information des migrants potentiels, lutte contre les réseaux de trafiquants).