La convention relative aux droits de l'enfant entrée en vigueur le 2 septembre 1990 a pour objet de reconnaître et protéger les droits spécifiques des enfants, et s'articule autour de quatre grands principes : la non-discrimination, l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement de l'enfant et l'opinion de l'enfant. 195 Etat en sont aujourd'hui partie, en faisant le texte de droit international le plus consensuel.
Deux protocoles facultatifs ont été adoptés le 25 mai 2000 et sont entrés en vigueur en 2002 : l'un concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, l'autre concernant l'implication des enfants dans les conflits armés. Le projet de loi qui nous est soumis vise à ratifier le troisième protocole facultatif à cette convention, qui a été adopté le 19 décembre 2011 et qui est entré en vigueur le 14 avril 2014.
La construction de la reconnaissance internationale des droits de l'homme, et plus particulièrement des droits de l'enfant puisque c'est l'objet du protocole qui nous est soumis aujourd'hui, au-delà du caractère un peu procédural des mesures qui vont être précisées, vise à assurer le caractère effectif de la garantie des droits de l'enfant, notamment dans les pays où, malheureusement, il sont encore trop peu reconnus voire pas reconnus du tout.
On pourrait ici rappeler l'aphorisme de Montaigne : « C'est une idée folle de vouloir gouverner les hommes » et d'ajouter : « surtout au niveau planétaire »... mais, ni les uns ni les autres, nous n'acceptons de nous résigner à l'impuissance, au renoncement. Je vous invite à voir, à travers ces dispositions, une étape supplémentaire et essentielle qui rend possible une espérance que nous partageons tous, la victoire du droit contre la barbarie.
La France a toujours eu un rôle actif en matière de droits de l'enfant, dans les instances onusiennes comme à l'échelon européen au travers notamment de l'adoption de lignes directrices. Elle a ratifié la Convention le 7 août 1990 et les deux premiers protocoles le 5 février 2003. Elle a joué un rôle important dans les négociations du troisième protocole, qu'elle a signé le 20 novembre 2014 à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la convention. 52 Etats l'ont signé et 18 l'ont déjà ratifié.
L'intitulé du Protocole est quelque peu réducteur, car en réalité, de nouvelles compétences sont conférées au Comité des droits de l'enfant au travers de l'institution de trois nouvelles procédures : deux procédures de communication et une procédure d'enquête dans le cadre de l'examen d'une communication ou à l'initiative du comité.
Vous me permettrez de rappeler en quelques mots les modalités actuelles d'application et de suivi de la convention relative aux droits de l'enfant et ses protocoles additionnels.
La Convention relative aux droits de l'enfant prévoit un mécanisme de surveillance confié au Comité des droits de l'enfant, dont le rôle est donc essentiel dans le dispositif quoiqu'il ne dispose pas de pouvoirs contraignants à l'égard des États. Organe international indépendant composé de 18 experts, il est chargé d'étudier les rapports que les États parties doivent soumettre tous les cinq ans, étant précisé que ceux qui ont ratifié les protocoles additionnels doivent fournir des rapports complémentaires sur la mise en oeuvre de ces textes.
Ce Comité tient chaque année trois sessions à Genève, d'une durée de trois semaines. Il entend les Etats à huis clos puis rédige des observations finales dans lesquelles il expose ses préoccupations et recommandations, qui doivent être rendues publiques par les États en leur sein. Si les missions et le fonctionnement du Comité des droits de l'enfant sont donc très proches de celui des autres comité onusiens, il ne disposait pas de la compétence pour examiner des requêtes individuelles. C'est pour remédier à cette carence qu'un groupe de travail a été établi par le Conseil des droits de l'homme des Nations-Unies le 17 juin 2009, qui a abouti au troisième Protocole.
Les négociations entre les délégations participantes à la rédaction à compter de mars 2010 ont porté sur de nombreux points : le champ des communications et leur recevabilité naturellement, mais aussi la création simultanée de deux autres nouvelles procédures : une procédure de communications interétatiques sur déclaration et une procédure d'enquête qui peut être refusée par les Etats.
Je présenterai successivement les trois procédures, en indiquant les effets pour notre pays et en explicitant les raisons pour lesquelles des déclarations interprétatives seront déposées. J'ajoute que la France ne s'opposera évidemment pas à l'application de la procédure d'enquête à son égard. En revanche, il n'est pas prévu d'autoriser des communications interétatiques la concernant, dans l'attente de connaître la pratique du Comité pour l'application d'une procédure dont on peut imaginer qu'elle sera très marginale.
Le Protocole est un texte relativement court de 24 articles dont le préambule rappelle les principes onusiens attachés aux droits de l'enfant et souligne que ces enfants peuvent avoir de grandes difficultés à se prévaloir des recours disponibles. Il encourage donc les mécanismes appropriés de recours et rappelle le rôle important des institutions nationales et spécialisées qu'il renforce et complète. Il existe en France un Défenseur des Droits, qui a pour mission de défendre l'intérêt supérieur et les droits de l'enfant et qui est assisté dans cette mission par le Défenseur des enfants. Il est susceptible d'être saisi par des enfants, des particuliers comme par des associations, pour intervenir en médiateur ou devant le juge lorsque le tribunal est saisi. Le Défenseur des droits a d'ailleurs enjoint le Gouvernement au début de cette année à faire procéder à sa ratification pour que la France puisse l'inclure dans son rapport au Comité de 2016.
L'article 1er du Protocole confère les nouvelles compétences créées au Comité des droits de l'enfant pour les seules violations de droits énoncés dans un instrument auquel l'État est partie et dès lors que l'État est partie au Protocole.
L'article 2 fixe les principes généraux guidant l'exercice des fonctions du Comité, à savoir l'intérêt supérieur de l'enfant et les droits et l'opinion de l'enfant « en fonction de l'âge et du degré de maturité de l'enfant ». L'article 3 prévoit l'adoption par le Comité d'un règlement intérieur relatif aux nouvelles fonctions qui lui sont conférées qui doit garantir des procédures adaptées aux enfants et comporter des garanties visant à empêcher que l'enfant ne soit manipulé par ceux qui agissent en son nom. Ce règlement intérieur a été adopté en 2013 et est annexé au rapport. Il est expressément prévu que le Comité puisse refuser d'examiner une communication s'il considère qu'elle ne sert pas l'intérêt supérieur de l'enfant.
L'article 4 prévoit que l'État partie doit veiller à accorder des mesures de protection aux individus qui communiquent ou coopèrent avec le comité. En droit français, par exemple, des mesures d'assistance éducative peuvent être prises. Une mesure de protection est précisément établie : l'identité de la personne ou du groupe n'est pas révélée publiquement sans le consentement exprès des intéressés.
Les articles 5 à 12 du Protocole sont relatifs à la procédure de présentation des communications.
Les procédures de présentation de communications onusiennes ne sont pas des recours juridique au sens strict, car les personnes ne déposent pas de plaintes ou de recours. Comme dans une procédure juridique classique, les comités vérifient la recevabilité et le bien-fondé des communications à l'aune des conventions et protocoles. La procédure n'aboutit pas à un jugement, mais à des constatations non contraignantes qui peuvent être accompagnées de recommandations. Mais on peut aujourd'hui constater le risque de réputation lié aux recommandations des autres comités onusiens, par exemple du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes.
Concernant la France, certaines situations politiquement sensibles sont assez régulièrement pointées du doigt par des associations, des juridictions notamment européennes et les comités onusiens dont le comité des droits de l'enfant. Lors de l'examen des rapports périodiques déposés par la France, sont abordés des sujets comme l'accueil des enfants handicapés, la situation des centres éducatifs fermés et surtout la situation des mineurs étrangers isolés ou des mineurs étrangers retenus dans les zones d'attente. Il ne serait pas étonnant que les communications portées devant le Comité des droits de l'enfant portent essentiellement sur ce dernier sujet.
La situation de ces mineurs reste en effet perfectible, même si des progrès ont été accomplis depuis 2013, année de mise en oeuvre d'un protocole spécifique. Rappelons à cet égard que le juge des référés du Conseil d'État, le 6 janvier 2015, se fondant sur la Convention des droits de l'enfant, a considéré que le placement en rétention administrative et l'éloignement forcé d'un enfant mineur devaient être entourés de garanties particulières et, ces conditions n'étant pas réunies, a enjoint à l'administration d'examiner la demande de regroupement familial au bénéfice de l'enfant dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Conformément aux articles 5 et suivants du protocole, des communications peuvent être présentées par des particuliers, des groupes de particuliers, au nom de particuliers ou encore au nom de groupes de particuliers, auquel cas ces derniers doivent avoir donné leur consentement, sauf justification de l'action dans leur intérêt. L'expression « groupe de particuliers » doit s'entendre de particuliers directement victimes d'une même violation et qui saisissent, dans une même communication, le comité. Une association ne peut pas présenter une communication en tant que victime directe.
L'article 6 prévoit la possibilité pour le Comité de soumettre à l'urgente attention de l'État concerné une demande de prise de mesures provisoires, dans le cas où cela s'avère nécessaire dans des circonstances exceptionnelles pour éviter qu'un préjudice irréparable ne soit causé. Le caractère non-obligatoire de ces mesures a fait l'objet de controverses lors des négociations et il paraît utile, même si la rédaction est très encadrée, de confirmer ce caractère par le dépôt d'une déclaration. Je souligne que toutes les mesures provisoires prononcées contre la France par la CEDH à l'exception d'une seule concernaient des affaires d'éloignement du territoire.
La recevabilité des communications se fonde sur les mêmes critères que dans les autres procédures de communications. Deux motifs d'irrecevabilité appellent néanmoins des commentaires car ils justifient le dépôt d'une déclaration interprétative.
– Le premier concerne l'examen au titre d'une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement, ceci pour éviter la multiplication de procédures concernant une même affaire. Il serait précisé que cela couvre les procédures régionales européennes, donc principalement de la Cour européenne des droits de l'homme ;
– Le second motif d'irrecevabilité problématique est le très classique épuisement des voies de recours interne. Ainsi rédigée, cette condition ne pourrait jouer pour la France puisqu'aucun mineur ne peut directement saisir la justice. La déclaration précisera qu'elle s'entend comme l'épuisement des voies de recours exercées dans le cadre d'une procédure dans laquelle l'enfant a été entendu ou représenté.
Le Comité est tenu d'examiner les communications qui lui sont adressées aussi rapidement que possible et sans délai lorsqu'il a demandé des mesures provisoires. Ses séances se tiennent à huis clos. Lorsqu'il examine des communications concernant des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité tient compte de la marge d'appréciation dont les États parties disposent dans la mise en oeuvre de ces droits. L'État doit soumettre une réponse écrite dès que possible, dans un délai de six mois, détaillant les mesures qu'il a prises ou qu'il envisage de prendre. Au-delà des six mois, le dialogue peut se poursuivre, y compris dans le cadre des rapports périodiques.
L'article 12 institue une procédure d'examen de communications interétatiques, permettant à un État partie de signaler au Comité qu'un autre État ne s'acquitte pas de ses obligations au titre de la Convention ou de ses protocoles facultatifs. C'est une innovation. Cette procédure ne peut toutefois être engagée que si les deux États parties ont reconnu la compétence du Comité en la matière, ce qui peut être fait à tout moment et révoqué à tout moment également, sans effet néanmoins sur les procédures en cours. Sur les 18 États ayant ratifié le Protocole, six ont accepté cette compétence : l'Albanie, l'Allemagne, la Belgique, le Chili, le Portugal et la Slovaquie.
Une procédure d'enquête est prévue aux articles 13 et 14 du Protocole, troisième procédure ainsi créée par le Protocole. Le Comité peut examiner de sa propre initiative des cas où un État partie porte gravement ou systématiquement atteinte aux garanties de la Convention et de ses protocoles facultatifs. Il n'est pas nécessaire qu'une communication lui soit présentée. Cette procédure est donc à distinguer des deux premières.
Cette enquête peut s'accompagner d'une visite sur le territoire après accord de l'Etat partie concerné. La coopération de l'Etat est sollicitée à tous les stades de la procédure. L'État a six mois au plus après réception des résultats de l'enquête et des observations et recommandations du Comité pour présenter ses observations. Au-delà, le suivi se poursuit , le Comité pouvant inviter l'Etat à soumettre des renseignements complémentaires sur les mesures prises à la suite de l'enquête y compris dans le cadre de la procédure de rapports périodiques.
Les États parties peuvent déclarer qu'ils ne reconnaissent pas cette compétence au Comité. Cette non-reconnaissance peut porter sur les droits énoncés dans la Convention ou dans l'un de ses protocoles, ou sur l'ensemble de ces droits. Les États peuvent à tout moment retirer leur déclaration. Un seul Etat ayant ratifié le Protocole a utilisé cette faculté : Monaco.
Les articles 15 à 24 du Protocole prévoient les dispositions finales, très classiques. Le Protocole sera en vigueur pour la France trois mois après la date du dépôt de son instrument de ratification, étant précisé que la France déposera une déclaration interprétative sur le modèle de celles faites pour les autres comités en matière de droits de l'homme, tendant à préciser la compétence temporelle du Comité aux des communications liées aux actes postérieurs à l'entrée en vigueur.
En conclusion, ce troisième Protocole est un instrument pertinent qui vise avant tout à doter le comité des droits de l'enfant de la compétence d'examiner des communications individuelles. Il faut souhaiter que cela constitue un réel levier d'action dans les États où les procédures internes de défense des droits des enfants sont faibles ou inexistantes. Quant à la procédure d'enquête, elle est un complément utile qui permet au Comité d'agir contre les atteintes graves et systématiques à la Convention, circonstances dans lesquelles il peut être difficile de présenter une communication. La procédure d'enquête a aussi une fonction préventive et l'on peut espérer que son existence incitera les États parties à mieux garantir les droits des enfants.
La ratification n'appellera pas d'adaptation de notre droit, sous réserve des déclarations interprétatives nécessaires. En pratique, le Comité communiquera avec la France par l'intermédiaire de notre mission permanente à Genève et le ministère des affaires étrangères et du développement international assurera la coordination interministérielle des visites du Comité et des rapports périodiques.
J'ai été saisi comme certains d'entre vous j'imagine par des organisations notamment l'UNICEF qui s'inquiète des déclarations interprétatives qui seront déposées à l'occasion de la ratification et je tiens à répondre à ces préoccupations légitimes. Je précise déjà qu'il s'agit bien de déclarations interprétatives et non pas de réserves et qu'elles ne restreignent donc pas la portée du texte.
Concernant la compétence temporelle du Comité, elle est similaire à celles faites pour les autres comités conventionnels en matière de droits de l'homme. Dans le protocole, elle n'est pas à l'article 7g relatif à la procédure de recevabilité des communications présentées, mais bien à l'article 1er relatif à la compétence conférée au Comité d'examiner des communications. La déclaration interprétative est conforme à l'article 20 paragraphe 2 qui énonce : « Si un Etat devient partie au Protocole après l'entrée en vigueur de celui-ci, ses obligations vis-à-vis du Comité ne concernent que les violations des droits […] qui sont commises postérieurement à l'entrée en vigueur du présent Protocole pour l'Etat concerné ». Il n'y a donc aucune restriction de la compétence du Comité. La notion de persistance des faits ne doit pas être confondue avec celle de persistance des effets. La déclaration interprétative permet de viser expressément les omissions et pas uniquement des actes positifs comme fait générateur, ainsi que les évènements, permettant d'ailleurs d'appréhender de nombreuses situations de persistance des faits.
Concernant les mesures provisoires, là encore, la déclaration interprétative n'a pas pour objet ni pour effet de restreindre la portée du texte mais de confirmer le caractère non obligatoire des mesures provisoires recommandées, pour éviter toute confusion à ce sujet à l'avenir, car ce point a été débattu et tranché pendant les négociations. Les autorités françaises, saisies par le Comité des droits de l'enfant de la gravité exceptionnelle de la situation, apprécieront, cette situation, prendront les mesures qu'elles jugeront nécessaires, ces mesures pourront être celles recommandées par le Comité ou d'autres, et ces décisions pourront faire l'objet de recours juridiques, le cas échéant avec effet suspensif. Il convient de rappeler que la France a des obligations juridiques afférentes à la situation particulière des enfants, qu'elle ne peut prononcer des mesures qui ne seraient pas entourées d'un certain nombre de garanties et que les juridictions la rappellent à l'ordre à défaut (la Cour de Cassation, le Conseil d'Etat et la CEDH). J'ajoute que le Défenseur des droits peut, lorsqu'une mise en demeure n'est pas suivie d'effet, directement saisir le juge des référés compétent.
Sous le bénéfice de toutes ces observations, je vous recommande l'adoption du projet de loi de ratification.
Après l'exposé du rapporteur, un débat a lieu.