Intervention de Axel Poniatowski

Réunion du 14 octobre 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski :

Nous avons rencontré les principaux responsables – en dehors du Président de la République, et pour cause, puisqu'il n'y en a pas pour l'instant. Nous nous sommes en effet entretenus avec le Premier ministre, M. Tammam Salam, le président de la Chambre des députés, M. Nabih Berry, le président de la Commission des affaires étrangères, M. Abdellatif Zein, ainsi qu'avec de nombreux responsables politiques : le général Michel Aoun, M. Samir Geagea, M. Sami Gemayel, M. Fouad Siniora, leader du Courant du Futur au Parlement, M. Mohammed Raad, président du bloc parlementaire du Hezbollah, et M. Walid Joumblatt. Nous avons aussi rencontré les principaux responsables sécuritaires du pays – le général Ibrahim Basbous et le général Maroun Hitti notamment – ainsi que le gouverneur de la Banque centrale du Liban, M. Riad Salamé, qui pilote en réalité toute la politique économique, et de multiples acteurs économiques, humanitaires, religieux et de la société civile et intellectuelle.

Nous avons été confrontés au Liban à une situation de crise multiple : politique, sécuritaire, économique, sans compter l'impact du poids des réfugiés, considérable pour ce petit pays.

Il est vrai que le Liban a connu d'autres crises, notamment celle de la guerre civile, entre 1975 et 1990. La crise actuelle est différente sur les plans sécuritaire et militaire puisqu'il n'y a plus d'affrontement armé dans le pays. Mais elle est probablement plus importante en profondeur. Les crises antérieures avaient principalement opposé la communauté chrétienne à la communauté musulmane. Cette fois-ci, les chrétiens sont au second rang : les tensions opposent chiites et sunnites, les chrétiens étant partagés entre eux. Cela reflète bien les deux principaux courants actuels au Liban : ceux du 14 mars et du 8 mars.

S'agissant de la crise institutionnelle, la présidence de la République est vacante depuis seize mois, malgré 29 séances électorales au Parlement pour élire le Président – le quorum des deux tiers de députés n'ayant jamais été atteint. À chaque fois, les représentants du Hezbollah et du général Aoun ont de fait été absents.

Le gouvernement est paralysé dans la mesure où, faute de Président de la République, il ne peut pas prendre de décision : en l'absence du Chef de l'État, les décisions doivent être prises à l'unanimité des ministres, ce qui n'est plus possible actuellement.

Quant à la Chambre des députés, elle ne se réunit plus que pour constater qu'elle ne peut élire un Président de la République et, par conséquent, ne légifère pas.

Dans la vie quotidienne, la situation est à la dérive : il y avait encore la grève des éboueurs pendant notre séjour, avec des déchets partout, à l'intérieur et à l'extérieur de Beyrouth. Par ailleurs, l'électricité fonctionne très mal – il n'y en a souvent que pour quatre heures par jour –, obligeant beaucoup à recourir à des groupes électrogènes. Il en est de même de l'approvisionnement en eau, et l'exploitation des découvertes de gaz faites en Méditerranée, dont profite Israël, est stoppée.

Sur les causes du blocage, les appréciations divergent. La fonction de Président de la République est réservée à un chrétien maronite, mais les chrétiens n'arrivent pas à se mettre d'accord, entre le général Aoun, qui considère que la place lui revient, et les autres composantes, qui refusent de le voir accéder à la fonction, allié avec le Hezbollah.

J'ai pour ma part le sentiment que les chrétiens, et le général Aoun, ne sont pas libres et qu'ils sont soumis, dans leurs camps respectifs, aux instructions de l'extérieur. Tant que rien ne bouge sur ce plan, il n'y a aucune chance que les Libanais puissent se mettre d'accord entre eux. Pour les deux principaux faiseurs de roi à l'heure actuelle, l'Iran et l'Arabie saoudite, le Liban n'est pas une priorité. Pour l'Iran, la priorité est la Syrie et, pour l'Arabie saoudite, il s'agit de la Syrie et du Yémen.

Jusqu'ici, la Syrie était un faiseur de roi majeur au Liban, mais depuis son retrait de 2005 et compte tenu de sa situation politique actuelle, elle ne joue plus son rôle politique antérieur.

On nous a beaucoup dit que la France avait un rôle à jouer, mais je pense qu'il est aujourd'hui assez secondaire. Et pour les États-Unis, le Liban n'est pas une priorité. La Russie, pour sa part, s'intéresse surtout à la Syrie.

Le Liban est donc délaissé et sa situation se dégrade considérablement. On ne voit guère de possibilité de trouver une solution rapide à la crise institutionnelle.

La situation sécuritaire est à peu près stable en ce moment, alors qu'il y a eu des affrontements confessionnels à Tripoli et des attentats. Les forces spéciales libanaises, fortes d'environ 3 000 hommes, sont concentrées dans la région d'Ersal, qui est plus ou moins entre les mains de Daech, mais où l'armée contrôle la situation. Quant aux forces de police, qui comportent environ 30 000 hommes, elles sont dirigées par le général Basbous, qui nous a dit que s'il avait déjoué plusieurs tentatives ces derniers temps, on pouvait craindre un attentat majeur à un moment ou à un autre.

Il continue à y avoir des infiltrations, contenues, notamment sur la frontière nord-est. La frontière libanaise est en effet protégée de Daech par le déploiement du Hezbollah. La grande crainte de beaucoup serait que la ville de Homs tombe entre les mains de Daech, auquel cas toute la frontière du nord-est deviendrait perméable à l'entrée des forces de cette organisation dans le pays, ce qui créerait une tout autre situation.

Il y a une certaine agitation dans les camps palestiniens, notamment celui d'Ain el-Heloué, qui abrite des djihadistes. Il existe aussi des éléments armés de Jabhat al-Nosra concentrés dans la région d'Ersal. Mais, pour l'instant, la situation est contenue.

D'une façon générale, nos interlocuteurs craignent surtout des tensions entre les communautés chiites et sunnites, plutôt que des actions terroristes.

Sur le plan humanitaire, la question des réfugiés syriens pèse d'un poids énorme. Leur nombre serait compris entre 1,2 et 1,6 million. Le HCR en a enregistré 1,1 million. Seuls 15 ou 20 % des réfugiés se trouvent dans des camps, les autres vivant chez l'habitant, ce qui suppose de payer des loyers, l'alimentation et le chauffage. Alors qu'un tiers des réfugiés étaient endettés il y a un an, près de 90 % sont aujourd'hui en situation de surendettement, les aides accordés notamment par le Programme alimentaire mondial (PAM) s'étant effondrées par manque de fonds. L'aide alimentaire est ainsi passée de 27 à 13,5 dollars par mois et par personne, dans la limite de cinq personnes par famille. Lorsque nous sommes allés dans un camp de réfugiés syriens dans la plaine de la Bekaa, nous avons vu trente membres d'une même famille vivant sous une tente : ils risquent d'avoir à choisir entre se chauffer et se nourrir cet hiver. Il y a beaucoup d'enfants, dont environ un quart seulement est scolarisé – on estime que 2,6 millions d'enfants syriens sont déscolarisés dans l'ensemble de la région.

L'aide du Liban a été assez massive, dans le cadre d'une politique de porte ouverte à l'accueil des réfugiés, jusqu'à il y a un an. Depuis, les autorités ont mis en place des contrôles et chaque réfugié syrien doit acquitter environ 200 dollars pour être en règle au regard du droit au séjour. En plus, les réfugiés syriens n'ont pas le droit de travailler légalement. Il y a néanmoins une main-d'oeuvre pléthorique louant ses services à bas prix, ce qui accentue encore la crise.

La situation économique est en effet très dégradée. M. Riad Salamé nous disait que si, pendant toute la période de la guerre civile, l'activité économique avait continué dans une certaine mesure, le pays est maintenant en panne. Pour la première fois, il connaîtra une croissance zéro en 2016, après un taux de 2 % en 2015. Le Liban est très endetté : sa dette est évaluée à 150 % du PIB. Le budget de l'État est consacré pour au moins un tiers au remboursement de la dette et un tiers à la masse salariale.

Le pays rémunère les bons du Trésor à un niveau élevé – de l'ordre de 5 à 7 % – avec une dette entièrement intérieure, exclusivement absorbée par les 40 banques libanaises et en réalité financée par la diaspora. Tout cela repose donc sur une confiance qui un jour pourrait s'écrouler. La diaspora est surtout présente dans les pays du Golfe, mais aussi dans des pays à risque, en particulier africains : l'achat des bons du Trésor libanais offrirait aujourd'hui une sécurité plus importante que des placements locaux. Le Liban est porté par sa diaspora, dont on considère qu'elle représente à peu près trois fois plus de personnes que les Libanais vivant dans leur pays.

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