Avec plusieurs de nos collègues, j'ai participé, l'an dernier, à une mission d'information de notre commission sur la gestion des réserves et des dépôts des musées de France. Puisque vous m'avez invité à donner un avis sur le budget 2016, je reviens sur ce sujet.
Quelques mots suffiront à résumer l'état des crédits accordés par ce budget aux autres actions du programme « Patrimoines ». Le ministère se réjouit que les crédits augmentent et que les subventions, retranchées aux opérateurs lors des exercices 2013 et 2014, leur soient partiellement restituées. Les autorisations d'engagement sont relevées de 165 millions d'euros et les crédits de paiement de 121 millions d'euros, dont 118 servent à reconstituer la dotation des opérateurs de l'archéologie préventive. Conformément au voeu exprimé par notre collègue Martine Faure, dans le rapport qu'elle a remis en mai dernier à Mme la ministre de la culture à ce sujet, le Gouvernement renonce à financer les dépenses de ces derniers par le produit de la redevance d'archéologie préventive qui leur était affecté.
Cette reconstitution mise à part, les crédits de paiement sont simplement reconduits. En revanche, les autorisations d'engagement augmentent de 48 millions d'euros : 17 millions financeront une réserve d'archives à Pierrefitte, après l'évacuation du bâtiment fissuré de Fontainebleau, et les châteaux de Versailles et Fontainebleau se partageront 19 millions pour leurs travaux. Par ailleurs, 11 millions iront au chantier du Grand Palais. L'état de ce bâtiment, qui relève désormais de la Réunion des musées nationaux (RMN), est préoccupant. Je peux en témoigner pour avoir, à mes risques et périls, arpenté ses toitures la semaine dernière. Sa restauration et la mise aux normes des espaces ouverts au public coûteraient entre 430 et 440 millions d'euros. Sur cette somme, 200 millions d'euros resteraient à trouver.
J'en viens à présent aux musées. Notre rapport d'information de l'an passé a suggéré que les collections nationales pourraient être conservées, entre deux expositions temporaires, dans des centres de réserves éloignés des musées. Ces centres, de haute technologie, seraient compartimentés par matériaux et non plus par disciplines ou collections. Ils pourraient même être visitables.
Le rapport n'a pas exploré une contrepartie de ces centres : les musées sans collections permanentes. Le Louvre-Lens, que j'ai visité en septembre dernier, entre dans cette catégorie. C'est un édifice remarquable que l'on n'entrevoit qu'au détour des corons construits dans l'après-guerre. En déambulant dans sa Galerie du Temps, dont l'accès est gratuit, j'ai eu le sentiment d'un lieu chaleureusement empli par la présence d'oeuvres venues du Louvre, qui sont là de passage. Ces oeuvres n'auraient probablement pas autant retenu l'attention des touristes dans un palais parisien saturé. Elles deviennent remarquables, isolées dans un décor simple, émouvantes même pour qui les contemple.
Ce Louvre-Lens qui les expose au public est un beau « musée », bien qu'il ne dispose pas de collection permanente. Cette situation pose une véritable question juridique. Le statut d'établissement public de coopération culturelle pourrait même rapprocher le Louvre-Lens du spectacle vivant, puisqu'il peut convenir à un lieu d'exposition éphémère de performances d'art contemporain. Ce statut a d'ailleurs été également retenu pour le Centre Pompidou-Metz. Alors que ces « musées » n'en sont pas stricto sensu, un centre de réserves visitables qui aurait un projet scientifique serait bien un « musée » au sens du code du patrimoine.
Ces exemples en marge du droit du patrimoine signalent une évolution dont j'ai rappelé les étapes précédentes dans mon rapport. Les autorités centrales et locales de la Ve République ont beaucoup investi dans les musées. Elles ont relogé leurs collections dans des bâtiments neufs ou rénovés, à l'architecture souvent remarquable. Cette politique d'investissement a eu des résultats spectaculaires, puisque la fréquentation des musées nationaux a triplé et que celle des autres musées de France a doublé.
Les autorités qui ont financé ces investissements peinent désormais à conserver les dotations de fonctionnement indispensables à leurs musées. Ce n'est pas seulement le cas du Centre Pompidou-Metz, mais aussi celui de nombreux musées nationaux et territoriaux auxquels l'État et les collectivités territoriales commencent à retirer des crédits. En contrepartie de l'autonomie juridique accordée aux directions de ces musées, leurs tutelles leur demandent de modérer leur masse salariale, de diminuer les dépenses d'entretien des bâtiments, d'augmenter leurs recettes de billetterie et les redevances d'exploitation de leur domaine, sans pour autant renoncer à la mise aux normes de leurs locaux et à la démocratisation des publics qu'elles accueillent. Pourtant, très peu de musées peuvent vivre de leurs seules recettes d'exploitation. Ils sont deux à Paris : Orsay et Rodin. Si des musées gratuits sont bien financés à l'étranger par des fonds privés, seules quelques fortunes françaises ont déposé leurs collections dans le musée d'une fondation qui en assume l'entretien et le personnel.
Les lois fiscales et successorales ont certes fait beaucoup pour financer le mécénat et l'acquisition d'oeuvres d'art, mais les dons privilégient les institutions les plus célèbres et les plus fréquentées. Le mécène le plus généreux pourrait même être, cette année, la Banque de France. Quant à l'exonération de l'impôt de solidarité sur la fortune en faveur de la conservation patrimoniale des oeuvres d'art, elle profite au marché de l'art et à la conservation des oeuvres plus qu'aux musées.
Pour revenir à ces derniers, qu'adviendra-t-il des collections et des salles d'exposition si les subventions publiques venaient à leur manquer ? Quelle place et quel rôle auront alors des centres de réserves ouverts ou fermés ? Autant de questions que la diversité des lieux et des situations suscite et laisse ouvertes aujourd'hui.