Monsieur le rapporteur, je vais essayer de répondre à vos questions avec la même liberté de ton que celle que vous voulez bien me prêter.
S'agissant du dernier point que vous avez abordé, je n'ai pas de chiffres. En effet, la réforme de la DGF vient un peu compliquer les prévisions. Même si le projet de loi de finances apporte des tempéraments par rapport au rythme de baisse, c'est une question qui nécessite d'être techniquement traitée avant que l'on puisse voir où cela nous mène. Pour information, j'y travaille actuellement avec M. Alain Guengant, directeur de recherches au CNRS, et je pense que dans le courant du mois d'octobre, nous pourrons avoir une meilleure vision du risque d'annulation de l'épargne brute dans le monde communal et intercommunal. Cela dit, les services de l'État vous fourniront leurs propres simulations.
À première vue, le nombre des communes en déséquilibre serait de l'ordre de plusieurs centaines. On doit toutefois noter ce que M. Thomas Rougier a dû évoquer devant vous, à savoir la très grande disparité des situations. On ne peut pas affirmer que toutes les petites communes, ou toutes les communes de banlieue, ou toutes les communes moyennes seront concernées de la même façon. Le mode de traitement de la contribution au redressement des comptes publics néglige précisément les situations individuelles. On utilise donc les outils de péréquation tels que la DSU, ou la concentration de la DSR, ou éventuellement le FPIC, pour tenter de modérer, voire d'annuler dans certains cas les effets de la baisse des dotations. Mais la cohérence recherchée ne peut être obtenue, ou du moins ne peut que l'être très mal, en raison de la généralité du système.
Dans certains cas, la solution passe soit par une diminution déterminée des dépenses publiques, soit par une augmentation de la pression fiscale. Dans l'exercice de son pouvoir budgétaire, le préfet pouvant difficilement décider à la place des élus, la solution la plus classique utilisée par les services de l'État est donc l'augmentation de la pression fiscale, même lorsque celle-ci déjà plus élevée, voire beaucoup plus élevée que la moyenne. Si j'avais le temps, je pourrais vous citer le cas de la métropole du Grand Paris.
S'agissant du patrimoine, l'AFIGESE partage votre constat. Il est nécessaire de conserver un niveau de dépenses permettant au moins de maintenir le patrimoine public que les collectivités conserveront.
Au cours de la séance publique des assises de l'AFIGESE, jeudi dernier, on a demandé aux participants ce que serait pour eux la meilleure politique d'investissement, au regard des besoins de leur territoire. On a alors constaté que 57 % des cadres considèrent qu'il faudrait augmenter les investissements, principalement pour des questions de rattrapage. Il semble en effet que les investissements des années 1995 à 2010 ont été principalement des investissements de développement et qu'aujourd'hui, il faut remettre en état le patrimoine ancien, qu'il s'agisse des ouvrages d'art de la reconstruction, ou du patrimoine collectif des années 1960 et 1970 – celui des villes de banlieue qui s'étaient rapidement développées à cette époque se trouve ainsi fortement dégradé.
J'en viens aux taux de 10 % à 15 % que j'ai évoqués pour la baisse de l'investissement public. D'après certains modèles de simulation macroéconomique, à partir de 2018, le volume annuel de l'investissement local pourrait être inférieur d'environ 5 milliards d'euros à ce qu'il aurait été – toutes choses égales par ailleurs – sans baisse des dotations de l'État. Cela représente, sur trois ans, un « déficit d'investissement » de 15 milliards, avec une perspective de projection dans le temps qui sera à peu près à l'identique. En effet, les dotations d'État n'ayant pas vocation à repartir – ou en tout cas à un rythme autre que l'inflation annuelle –, la reprise de l'épargne brute sera extrêmement lente.
Vraisemblablement, la majeure partie du monde local arrivera à maintenir son patrimoine existant en l'état, mais sans le développer. Quelques collectivités parmi les plus favorisées pourront continuer à avoir des projets de territoire, ce qui posera la question du lien avec la croissance démographique, dans la mesure où il leur faudra assurer la fourniture en équipements publics liée au développement de leur population. En revanche, un certain nombre de collectivités locales ne pourront pas entretenir leur patrimoine public et se trouveront face à un dilemme : en abandonner une partie, ce qui se traduirait par la fermeture de services, la cession d'assiettes foncières, etc. ; ou laisser leurs équipements se dégrader en espérant un retour à meilleure fortune, ce qui supposerait une très forte accélération de la croissance économique – on peut toujours l'escompter, mais elle n'est pas dans les modèles.
S'agissant de la fiscalité, j'ai du mal à parler en tant qu'administrateur de l'AFIGESE, dans la mesure où l'association n'a pas, en tant que telle, une vision de ce que serait à ses yeux une fiscalité pertinente même si elle a beaucoup insisté sur la nécessité de moderniser les évaluations cadastrales. J'ai moi aussi participé aux travaux de réflexion sur ce point, notamment avec l'AMF. Retarder l'introduction des nouvelles bases ne fera que reporter le débat et aboutira à des solutions comme la disparition de la taxe d'habitation, ou plutôt sa transformation en un impôt sur le revenu affecté au niveau local. Une partie de la taxe d'habitation est d'ores et déjà plafonnée par rapport au niveau de revenus des ménages, mais par référence aux taux anciens. Cela signifie que toute augmentation de taux est donc supportée intégralement aujourd'hui par les ménages, dans des conditions d'autant plus lourdes que ceux-ci sont moins favorisés.
Si les évaluations cadastrales ne sont pas revues, on peut donc craindre que la taxe d'habitation ne connaisse le sort de la taxe professionnelle, qui a été tellement prise en charge par l'État au fil du temps que celui-ci a fini par considérer qu'il fallait la supprimer pour la remplacer par un panier d'impôts économiques. La taxe d'habitation pourrait alors être remplacée par un impôt local sur le revenu. Mais il ne faut pas se voiler la face : qui dit impôt local sur le revenu, dit impôt sur le revenu sans pouvoir de taux. Techniquement, on ne peut pas en effet moduler les taux au niveau communal. Imaginez 36 000 communes votant 36 000 impôts sur le revenu ! En outre, en termes d'égalité devant l'impôt, ce serait parfaitement incompréhensible.
Reste la question d'un impôt sur les nouvelles activités, qui poserait sans doute des difficultés techniques. L'impôt financier potentiel est un impôt au niveau mondial, d'un certain point de vue. Il y a longtemps que l'on parle de la taxe sur les transactions financières. Pourquoi ne pas l'envisager ? Par ailleurs, il existe déjà une taxe sur les activités bancaires ou assurantielles au niveau national. On pourrait imaginer de moduler la pression fiscale sur ce point.
De même pourrait-on imaginer de moduler la pression fiscale sur l'usage des outils modernes de communication. Le problème est que l'impôt serait, par nature, perçu nationalement, et qu'il faudrait donc veiller à l'équité des règles de répartition. Cela ferait progressivement disparaître le pouvoir de taux du monde local. Il a déjà disparu en partie sur l'impôt économique. Il reste important – et d'ailleurs injuste – sur la taxe d'habitation, au niveau des impôts des ménages. Certes, il est encore plus important en France qu'il ne l'est dans de nombreux États voisins, dont la capacité d'action locale est similaire au nôtre. Mais ce serait tout de même un choc culturel, pour les élus locaux comme pour les cadres territoriaux.