Intervention de Patrice Carvalho

Réunion du 14 octobre 2015 à 18h15
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Je ne pense pas être le seul à être confronté à ce type de situation, mais je suis, depuis 1989, maire d'une commune qui est équipée pour 30 000 habitants, bien qu'elle n'en compte que 5 000. Il y a trois salles de sport couvertes, une piscine, une crèche, une école de musique, un cinéma… En fait, la ville de Thourotte a été construite en 1920 par Saint-Gobain, à la suite de la destruction de l'usine de Chauny durant la guerre. La société voulait en profiter pour se rapprocher de Paris, mais la loi lui interdisait de s'installer à moins de cinquante kilomètres. Or nous sommes juste à la limite… Elle a ainsi construit d'un seul coup 700 à 800 logements. C'étaient de petites maisons individuelles, qui ont été par la suite revendues à des particuliers. C'est d'ailleurs là que j'habite.

Mais Saint-Gobain a également installé un cinéma, des bains-douches, un dispensaire, toute une série d'équipements dont la ville de Thourotte a bénéficié pendant une longue période. La crise du pétrole aidant, Saint-Gobain a commencé à vendre, et la ville s'est retrouvée brutalement propriétaire d'une voirie communale qui a triplé du jour au lendemain, et à devoir assumer des frais – routes, assainissement, mise en conformité, etc. – jusqu'alors pris en charge par Saint-Gobain.

Mais dans le même temps, la ville, qui disposait grâce à la taxe professionnelle de revenus confortables, a construit beaucoup d'équipements. Les collectivités voisines, elles, n'ont pratiquement rien construit, mais Thourotte, forte de ses 3 100 salariés, avait accepté le principe de faire payer tout le monde au même prix. Ce qui faisait au total 15 000 familles.

Cela n'a pas perduré puisque nous avons dû, depuis quelques années, augmenter les prix des services, compte tenu de la baisse de nos revenus : nous avons déjà perdu la taxe professionnelle sur les salaires, les deux abattements, qui représentent 16 % – un coup Fabius, un coup Chirac – et qui ne sont plus du tout compensés. La ville s'est un peu recentrée sur elle-même. Pour une commune de 5 000 habitants, nous avons 120 salariés permanents : huit personnes pour la piscine, huit personnes pour la crèche, plusieurs professeurs pour l'école de musique, etc. Bref, les effectifs grimpent très vite. Mais pour le reste, nous restons dans des proportions assez raisonnables.

Thourotte supporte de grosses charges et subit de plein fouet la baisse des dotations. Je suis vraiment dans le caca… Pour tout arranger, la nationale coupe ma ville en deux. Avant, quand il y avait peu de voitures, cela n'était pas trop gênant. Aujourd'hui, avec 500 camions qui entrent dans Saint-Gobain, je vous laisse imaginer le problème avec les enfants qui traversent la route sans arrêt pour aller à l'école, de surcroît mal placée car très exposée. Nous avions décidé de faire des voies de contournement pour sécuriser la ville, mais tout cela est remis en cause.

Je ne vous parle pas du patrimoine. Ma piscine est au bout du rouleau, mais j'ai déjà prévenu que je ne la rénoverai pas. Elle deviendra de fait intercommunale, mais les maires d'à côté ne sont pas très chauds pour assumer ces charges. Du reste, si la piscine est reconstruite, elle ne le sera pas à Thourotte, alors que nous sommes tout de même le pôle central. Mais il faut savoir composer avec ses voisins pour faire avancer les choses…

Nous sommes confrontés à de grosses difficultés financières. Nous avons 37 % de logements sociaux, mais nous sommes le plus petit territoire du canton : avec 400 hectares, je n'ai pas la capacité de conforter les revenus de la ville en faisant venir d'autres habitants. Pour me remercier, l'État me fait payer pour le fonds de péréquation, considérant que nous sommes riches, alors que le revenu moyen par habitant de Thourotte n'est pas très élevé. Mais comme on s'est calé sur ce que nous encaissions deux ans avant la suppression de la taxe professionnelle, nous nous retrouvons à reverser des sommes impressionnantes. Les habitants des HLM de Thourotte, par exemple, paient pour les poubelles d'habitants de zones rurales qui ont de belles petites maisons… Autrement dit, on paye pour les autres.

Cette situation n'est pas acceptable et elle met tous les élus en colère, qu'ils soient de droite ou de gauche – même les socialistes. Ils sont unanimes et vent debout contre cette loi, car ils sont tous dans la même situation. Il est très compliqué de faire un budget en ce moment. Dès que j'ai eu connaissance des chiffres, j'ai demandé à mon directeur des services d'annoncer à tous les maires ce qu'ils allaient perdre. Au départ, ils n'y croyaient pas. Mais, pour certains d'entre eux, la réalité était pire encore.

Les revenus de ma commune augmentent, mais parce que les contributions par habitant grimpent. Je n'ai pas augmenté les impôts : ce sont les bases qui ont considérablement progressé. Certes, cela a atténué les difficultés financières de la ville, mais c'est le citoyen qui paie encore plus.

Dans ma petite maison de Saint-Gobain, j'entends de chez moi le voisin qui entre dans sa cuisine le matin. Autant dire que ce n'est pas le grand confort ! Pourtant, ma taxe d'habitation dépasse les 1 000 euros. Moi, je peux payer, mais si vous ajoutez le foncier bâti, tout le monde ne le peut pas, notamment les gens qui sont au SMIC. Je ne peux pas augmenter les impôts : les bases sont déjà très élevées. C'est vrai que nous avons une perception, une gare, bref, tout ce qu'il faut pour faire monter les bases… Mais le fait d'avoir une perception ne rapporte rien à la ville. Quant à la gare, elle ne sert pas qu'aux habitants de Thourotte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion