L'Union des transports publics et ferroviaires regroupe les entreprises publiques et privées qui réalisent et assurent les services de transport de voyageurs qui leur sont confiés par les collectivités territoriales, ainsi qu'un certain nombre d'opérateurs du secteur ferroviaire.
Mes propos recouperont très probablement ceux du GART, avec lequel nous travaillons en étroite collaboration depuis plusieurs années, mais plus encore depuis deux ans, puisque nous organisons ensemble des réunions sur le terrain, que nous appelons « tours de France ». Depuis deux ans au moins, nous sentons monter une inquiétude sur les questions de financement. Les faits nous donnant malheureusement raison, l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de nous exprimer devant la représentation nationale est bienvenue, la baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales constituant en effet un fait majeur.
Je commencerai par donner quelques chiffres. Le besoin de financement des transports publics urbains – nous parlons donc des agglomérations, pas des départements ni des régions – s'élève à environ 17 milliards d'euros, exploitation et investissement compris. Ce besoin se répartit à peu de chose près pour moitié entre la région Île-de-France et la province.
Trois principales sources de financement permettent de couvrir ce besoin. La première est le versement transport, calculé sur la masse salariale des entreprises employant plus de neuf salariés. Le relèvement de ce seuil de neuf à onze, actuellement en débat, induira un manque à gagner évalué à 170 millions d'euros par les services de l'État dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances, mais estimé par le GART à 300 à 500 millions. Il s'agit d'une première mauvaise nouvelle, qui se traduira par une réduction du financement des transports publics. En outre, tant les élus que les opérateurs expriment leur inquiétude à propos du mécanisme de compensation, qui est loin d'être arrêté : nous craignons que la compensation ne soit pas à la hauteur du manque à gagner ou qu'elle s'étende sur une durée moindre.
Deuxième source de financement : les recettes commerciales. Elles s'élèvent à 4,9 milliards d'euros, dont 3,6 milliards en Île-de-France et 1,3 milliard en province. Les recettes sont une ressource plus dynamique en région parisienne, compte tenu de la densité de la population et du niveau de prix moyen du passe Navigo. Il conviendra d'ailleurs de mesurer, dans la durée, les effets du passe Navigo à tarif unique. En province, on suit de près le ratio recettes sur dépenses, qui s'établit à près de 31 % – 1,3 milliard de recettes pour un peu plus de 4 milliards de dépenses. L'équilibre doit donc être assuré par le versement transport et les concours publics.
Rappelons à ce propos une deuxième mauvaise nouvelle récente : le passage du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 5,5 à 10 % pour les services de transport représente un manque à gagner de 300 millions d'euros pour les collectivités territoriales, dans la mesure où la plupart d'entre elles n'ont pas répercuté cette augmentation sur les tarifs. Nous avons contesté cette mesure dans son principe même : le transport public, qui permet aux usagers de se rendre à l'école ou sur leur lieu de travail, est un service de première nécessité ; à ce titre, il aurait dû être éligible à un taux réduit, voir être exempté de TVA, comme c'est le cas dans d'autres pays d'Europe. De nombreux États européens ont une approche fiscale beaucoup plus favorable aux transports publics que la France. On peut s'interroger sur le bien-fondé du relèvement du taux de TVA à 10 % pour les transports publics, qui pénalise les finances des collectivités locales, alors que, dans le même temps, le secteur du cinéma bénéficie d'un taux réduit de 5,5 %.
D'autre part, si l'on observe l'évolution des prix des principaux services publics marchands sur les dix dernières années, on constate que ceux des transports de voyageurs constituent une exception : ils ont baissé alors que ceux de tous les autres services – distribution d'eau, services postaux, restauration scolaire et universitaire, enlèvement des ordures ménagères – ont augmenté au même rythme que l'inflation, voire plus rapidement. Il y a donc probablement une action à mener sur les tarifs pour faire face à la contraction des financements publics – j'y reviendrai.
Troisième source de financement : les concours publics. Ils s'élèvent à 4,3 milliards d'euros au niveau national, dont 2,5 milliards de contributions des communes et des EPCI en province et 1,8 milliard de contributions statutaires des membres du syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) et de la région Île-de-France.
À cet égard, l'abandon de l'écotaxe constitue une troisième mauvaise nouvelle récente. Elle pénalise le secteur des transports publics et a été très mal vécue par les opérateurs. L'écotaxe avait deux objets : contribuer aux investissements dans le transport ferroviaire et les transports urbains ; favoriser le report modal de la route vers le rail et les transports urbains, puisqu'elle taxait la première pour financer les seconds. Son abandon nous a donc privés à la fois d'une ressource et d'un levier.
Trois mauvaises nouvelles – le relèvement du seuil de salariés à partir duquel les entreprises acquittent le versement transport, la hausse du taux de TVA, l'abandon de l'écotaxe – ont donc eu un impact sur le secteur des transports publics avant même que la baisse des dotations aux collectivités n'intervienne. Les transports ne seront pas la seule compétence de service public pénalisée par cette baisse, mais ils le seront nécessairement.
Après avoir joué les Cassandre pendant deux ans, nous commençons à voir les premiers effets de ces mauvaises nouvelles : les collectivités ayant de grandes difficultés à boucler leur budget, elles réduisent leur offre de transport. Sur les cinq premiers mois de l'année 2015, l'offre kilométrique a baissé de 2,4 % par rapport aux cinq premiers mois de l'année 2014, ce phénomène touchant des réseaux de toutes tailles : grands, moyens et petits. Nîmes et Aix-les-Bains ont dû se résoudre à réduire leur offre de 10 %. Or une telle réduction se voit : on est bien au-delà de l'adaptation marginale du mois d'août ou du dimanche matin.
Nous sommes arrivés à un point d'inflexion, et la tendance actuelle nous préoccupe : pour les entreprises de l'UTP, la réduction de l'offre – c'est-à-dire celle de la commande publique –, c'est une baisse de l'activité, qui peut se traduire par une diminution nette de l'emploi. Lorsque la baisse d'activité est trop brutale, il n'est pas évident que l'on parvienne à l'absorber avec le flux naturel des départs de salariés. Il n'est donc pas impossible que nous assistions à des plans sociaux dans notre secteur, ce qui n'est jamais arrivé auparavant. Le témoin d'alerte s'allume : si cette tendance devait durer, nous aurions une situation très complexe à gérer de tous points de vue.
De plus, on voit bien qu'une spirale s'enclenche : moins d'offre, c'est moins de trafic – celui-ci n'a augmenté que de 0,2 % sur les cinq premiers mois de l'année 2015 –, mais moins de trafic, c'est aussi moins d'offre. À un moment donné, on atteint même un seuil : lorsque l'offre se réduit à quelques lignes résiduelles, on en vient à s'interroger sur l'intérêt de conserver une offre de transport public tout court.
Autre élément de préoccupation : la réduction de l'offre induit une diminution des recettes. Ainsi que je l'ai indiqué, le ratio recettes dépenses s'établit à environ 30 %, mais il s'agit là d'une moyenne. Si certaines grandes villes – Lyon, Strasbourg, Nantes – ont réussi à maintenir ce ratio autour de 50 %, d'autres, généralement petites ou moyennes, ont un ratio à 10 ou 15 %. Lorsque ce taux est atteint, on peut se demander s'il faut continuer à vendre des billets ! Certains en viennent à prôner la gratuité, idée saugrenue et inquiétante de notre point de vue. D'une part, ce serait malsain en termes de financement : les recettes constituent une ressource non négligeable. D'autre part, payer son écot pour utiliser le service public est aussi un acte citoyen. Et ce qui est gratuit, on le sait, finit par ne plus avoir de valeur. D'où un risque d'incivilités et de manque de respect à l'égard du service public.
Nous sommes donc au début d'une spirale qui peut nous amener à des situations difficiles, douloureuses, voire dangereuses. Nous devons en être conscients. Est-ce ce que nous voulons ? Au moment où l'on se pique de développer des solutions de mobilité durable et à la veille de la COP 21, voulons-nous vraiment remettre massivement des voitures dans les centres-villes ? Nous pointons du doigt ce paradoxe politique.
En tant que défenseurs des intérêts du secteur, nous sommes inquiets pour l'activité des entreprises, publiques comme privées. Nos entreprises pourront-elles poursuivre leur développement ? Il faut aussi envisager la question à long terme et d'un point de vue plus stratégique : actuellement, les transports publics font partie des rares secteurs où trois des cinq premières entreprises mondiales sont françaises – Transdev, la RATP et Keolis ; nous parvenons à exporter nos savoir-faire à partir de la base française, qui constitue notre vitrine et nous permet d'innover. Est-il opportun, à moyen ou long terme, de mettre à mal un secteur qui se porte bien ? Nous ne pouvons qu'alerter sur les tendances en cours.
À long terme se profile un autre effet de ciseau qui inquiète tant les autorités organisatrices que les opérateurs. La loi relative à la transition énergétique incite les collectivités à se doter de véhicules électriques. C'est une bonne chose, et nous avons un rôle à jouer en la matière. Cependant, les véhicules électriques coûtent deux fois plus cher que les véhicules diesel. Il y a, là encore, un paradoxe à demander aux collectivités d'investir dans un parc de véhicules certes plus propres mais aussi plus coûteux, alors que leurs ressources – qu'il s'agisse des dotations, des recettes ou du versement transport – diminuent. On peut s'interroger sur la soutenabilité de cette perspective, et j'ignore comment les collectivités vont faire face à ce hiatus. Une solution caricaturale consisterait à réduire l'offre de transport de moitié dans la mesure où les équipements coûtent deux fois plus cher. Nous aurions alors des réseaux très propres mais deux fois moins importants qu'aujourd'hui. À l'évidence, ce n'est pas ce que nous voulons.
Rappelons que les transports publics sont non pas un problème, mais une solution. En France, le secteur des transports au sens large est responsable de 30 % des émissions de dioxyde de carbone. Sur ces 30 %, seul 1 % est imputable aux transports publics. La solution, c'est d'inciter les gens, lorsqu'ils le peuvent, à utiliser le plus possible les transports collectifs, qui sont, par construction, beaucoup plus propres que la voiture particulière.
Que peut-on faire face à ce constat inquiétant ? Peut-on trouver du sens dans ce contexte ? Vous m'avez demandé, monsieur le président, s'il s'agissait d'un mauvais moment à passer ou si les difficultés seraient de plus longue durée. Si notre pays retrouve la voie de la croissance et de la prospérité – ce que je souhaite en tant que citoyen –, le versement transport deviendra à nouveau une ressource dynamique, son produit étant peu un prou corrélé à l'emploi, donc à l'évolution de la situation de nos entreprises. Mais il est difficile de prévoir quelle sera la croissance dans notre pays. Certains prévisionnistes évoquent une croissance molle durable : nous devrons peut-être nous habituer à des taux de croissance faibles pendant plusieurs années. Dans ce cas, la capacité des entreprises à recréer de l'emploi sera limitée. Quoi qu'il en soit, nous n'avons guère de prise sur ce levier.
En ce qui concerne les recettes, l'UTP estime qu'il existe de la marge pour les rendre progressivement plus dynamiques. Nous ne stipulons pas pour autrui : cette décision revient aux autorités organisatrices. Certes, il peut paraître paradoxal d'augmenter les tarifs dans une période de crise, les usagers n'ayant guère envie de payer plus cher leur abonnement ou leur ticket de bus. Cependant, le ratio recettes sur dépenses, qui s'établit actuellement à 30 % en province, était de 50 % en moyenne il y a vingt ans. En d'autres termes, les usagers acceptaient alors de payer la moitié des coûts de fonctionnement du réseau. Et c'est encore le cas dans quelques agglomérations.