Vous mettez le doigt, madame la députée, sur un point tout à fait central : le financement est assuré soit par le contribuable, soit par l'usager. Il n'y a pas d'autre source : quand ce n'est pas l'un qui finance, c'est l'autre, et quand la somme des deux apports ne suffit pas, il y a un trou dans le budget et il faut agir – dans ce cas, on en vient souvent à réduire l'offre.
Nous avons évoqué plusieurs éléments dans les conclusions de notre « tour de France ». Les deux plus importants sont le relèvement des tarifs et la lutte contre la fraude, mais ce ne sont pas les plus faciles à mettre en oeuvre. Pour un élu local, il est difficile de s'engager dans une démarche de hausse des tarifs, même si elle est graduelle et qu'il existe des réductions pour les personnes qui en ont le plus besoin. Il faudrait, au minimum, répercuter « l'inflation plus quelque chose » sur vingt ans. Et il serait bon que ce relèvement progressif des tarifs fasse l'objet d'un consensus et soit poursuivi quelles que soient les majorités en place. C'est peut-être un voeu pieux, mais je le formule.
Car, à l'évidence, c'est la meilleure manière d'alimenter le système. Je rappelle le chiffre que j'ai donné précédemment : si l'on avait maintenu le ratio recettes sur dépenses au niveau qui était le sien dans les années 1990, il y aurait 800 millions d'euros de plus par an dans le système, ce qui est considérable. Pourquoi le niveau de tarification qui était supporté par la société il y a vingt ans ne le serait-il plus aujourd'hui ? Encore une fois, il n'est pas question d'une augmentation brutale. D'autre part, ce niveau existe dans certaines villes, où il est accepté par les habitants. Enfin, je vous renvoie à la comparaison entre pays européens que j'ai mentionnée. Ainsi, beaucoup d'arguments rationnels plaident pour un relèvement des tarifs. Je milite pour que nous nous engagions dans cette direction. Reste que le changement est difficile à conduire. Il faudra certainement faire un effort de pédagogie important auprès des usagers et des associations. Je suis prêt à y participer s'il le faut.
Je le répète : si ce n'est pas l'usager qui finance, c'est le contribuable. Or, sauf si vous me dites le contraire, ce dernier est à saturation : il devient difficile d'envisager une hausse de la fiscalité, tant au niveau national qu'à l'échelon local. Donc, si nous n'arrivons pas à augmenter les tarifs, la régulation se fera inexorablement par une baisse de l'offre, soit de manière intelligente ainsi que l'a évoqué le président Alain Fauré, soit de manière brutale si l'on est pris par les échéances.
S'agissant de la lutte contre la fraude, je constate une évolution frappante. Il y a encore deux ou trois ans, c'était un thème un peu tabou, notamment après des élus, car ils avaient du mal à assumer politiquement son aspect répressif, le fait que l'on « tombe » sur les gens qui n'ont pas pu payer leur billet. Aujourd'hui, en période de crise, ceux qui paient leur abonnement trouvent insupportable de voir d'autres personnes frauder. Ils nous interpellent, notamment par courrier, en nous demandant ce que nous faisons en tant qu'opérateurs pour empêcher la fraude.
En outre, les alibis tombent. Jusqu'à un passé récent, les fraudeurs pouvaient parfois plaider la bonne foi : ils n'avaient pas pu acheter leur ticket, car il y avait trop d'attente à l'automate ou celui-ci était en panne, et ils ne pouvaient pas se permettre d'attendre le tramway suivant. Désormais, les arguments de ce type deviennent moins plausibles, car on va bientôt pouvoir acheter partout son ticket en quelques clics sur son smartphone.
Il faut lutter contre la fraude. J'ai beaucoup insisté sur l'aspect répressif, car nous avons besoin d'un durcissement de l'appareil législatif. Mais, avant la répression, il y a l'information. Or, malgré tous nos efforts, celle-ci demeure insuffisante. On se rend compte que beaucoup d'usagers ne connaissent pas les tarifs, notamment ceux qui peuvent avoir accès à des tarifs très bas. Dans ce dernier cas, c'est un peu dommage de frauder.
D'autre part, il faut, selon moi, adopter une posture commerciale, en donnant une chance aux fraudeurs de transformer leur « oubli » lorsqu'ils sont pris sur le fait : plutôt que de leur faire payer une amende, on leur demanderait d'acheter un abonnement, ce qui serait, de leur point de vue, une meilleure manière d'utiliser l'argent et les mettrait en situation régulière. Reste qu'il faut dissuader les fraudeurs invétérés par une politique plus nette, avec des enjeux financiers et judiciaires plus importants.
Nous avons évoqué d'autres éléments dans nos conclusions. D'abord, il reste encore beaucoup à faire en termes de promotion de nos réseaux. Les opérateurs et les élus chargés des transports qui travaillent avec eux connaissent l'offre et les tarifs par coeur, mais ne croyons pas qu'il en va de même pour la population. Je suis persuadé que de nombreux Français ne savent pas quels services de transport leur sont accessibles. Selon une étude que nous avons réalisée, un salarié sur deux ignore que la loi fait obligation à l'employeur de rembourser la moitié de l'abonnement de transport qui lui permet de se rendre au travail. Cela divise tout de même l'effort financier par deux : un abonnement coûtant en moyenne 40 euros par mois – ce qui n'est déjà pas très cher –, il revient dès lors à 20 euros par mois, ce qui fait moins de 1 euro par jour pour utiliser le réseau autant que l'on veut. L'affirmation selon laquelle « les transports sont chers » est, selon moi, discutable. Il est donc très important de continuer l'effort d'information.
Ensuite, il y a des efforts à faire en termes de multimodalité et d'intermodalité. L'usager est souvent obligé de prendre plusieurs modes de transport. C'est pourquoi il faut mieux articuler les parkings avec les transports, les trains avec les transports en commun, les cars du département avec les bus de la ville, etc. Il faut aussi prévoir des parkings sécurisés pour les vélos, afin qu'ils ne soient pas volés pendant les heures de travail. La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) et la loi NOTRe ont prévu des évolutions intéressantes : un rôle de chef de file est confié à la région et des schémas régionaux de l'intermodalité doivent être élaborés. Notons que l'on peut gagner en efficacité et réduire les coûts en supprimant les doublons qui demeurent encore entre les cars des départements et les trains express régionaux (TER).
Enfin, on peut souvent améliorer la vitesse commerciale. C'est le dada des opérateurs, non sans raison : un bus qui circule au milieu des voitures roule à 17 kilomètres par heure, c'est-à-dire à la vitesse d'un vélo, alors qu'il roule à 22 kilomètres par heure s'il dispose de couloirs dédiés, soit 5 de plus, ce qui représente un gain d'environ 30 %. Or les statistiques sont claires : une augmentation de la vitesse de 10 % correspond à une augmentation du trafic de 5 %. Donc, 30 % de vitesse en plus, c'est 15 % de trafic en plus et, partant, des recettes supplémentaires. En outre, l'augmentation de la vitesse permet de gagner sur les coûts : si, par exemple, le bus fait un aller-retour supplémentaire dans la journée, on améliore le rendement car on utilise mieux les moyens de production – tant le véhicule que son conducteur. Donc, mesdames, messieurs les élus, s'il vous plaît, aménagez des couloirs dédiés dans vos villes et instaurez des priorités aux feux pour les bus ! Vous améliorerez la vitesse commerciale, ce qui aura un effet tant sur les recettes que sur les coûts.
Monsieur Furst, certains projets sont en effet remis en question. Cela a été très net avec l'arrivée des nouvelles équipes municipales en 2014 : la première décision de certaines d'entre elles a été de geler ou de suspendre des projets, faute de moyens, et d'attendre. Tel a été le cas, entre autres, du projet de tramway à Amiens. Il y a donc, à l'évidence, des effets de décalage. Toutes les collectivités sont affectées. Néanmoins, à mon avis, les métropoles et les très grandes agglomérations tiennent le choc, grâce à leur surface financière et à leur dynamisme économique. En revanche, un certain nombre de villes moyennes et, plus encore, de petites villes vont devoir différer, si ce n'est annuler, leurs projets.