L'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires a présenté le 13 novembre dernier son deuxième rapport, qui a été communiqué aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Créé par la loi de modernisation de l'agriculture et de le pêche votée en 2010, cet observatoire est une commission administrative dont les activités ont commencé à l'automne 2010. Il est l'héritier d'un organisme antérieur, qui était placé sous le contrôle de la Direction générale des politiques agricoles, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT) du ministère de l'agriculture et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de Bercy. Son originalité est d'avoir un président indépendant et de regrouper au sein de son comité de pilotage les représentants de l'ensemble des professionnels de la production et de la distribution, mais aussi des consommateurs.
Depuis sa mise en place, l'Observatoire est avant tout un lieu de dialogue relativement libre qui nous a permis de mettre à plat l'ensemble des prix et des marges au long des filières. Son rôle n'est pas de porter un jugement, mais de fournir une information transparente sur la formation des prix et des marges. Cela est particulièrement important dans le contexte de la nouvelle politique agricole européenne, au vu de la dérégulation des marchés et donc de l'instabilité des prix. En effet, si l'Europe et la France ont connu pendant une longue période des prix agricoles stables, les marchés agricoles nationaux et surtout internationaux sont aujourd'hui confrontés à de véritables chocs.
Loin de vouloir montrer du doigt les horribles personnages qui « s'en mettent plein les poches », nous nous attachons à démontrer que les différents métiers au sein d'une filière sont plus ou moins bien rémunérés et que les différents stades – le stade industriel et celui de la distribution – peuvent éventuellement servir d'amortisseurs lors des périodes de tension.
À mon sens, le rôle de l'Observatoire est important car il permet de clarifier les rapports au sein des filières. De ce point de vue, il a plutôt bien fonctionné depuis deux ans, dans un climat de cordialité que je tiens à saluer, l'ensemble des professions ayant joué le jeu.
Notre premier rapport a été présenté au mois de juin 2011, mais nous avons quelque peu reculé la publication du deuxième – pensant que la représentation nationale aurait d'autres préoccupations en juin 2012 –, ce qui nous a permis d'aller plus loin sur un sujet très précis que je vous vais vous exposer. Notre rapport 2012, que nous tenons à votre disposition et qui figure sur le site de l'Observatoire, comprend 400 pages. La version résumée qui vous a été distribuée en reprend les principales idées, que je vais maintenant développer.
Ce rapport s'inscrit dans un contexte de très forte hausse des prix agricoles. En effet, jamais les prix des céréales et des oléagineux n'ont été aussi élevés sur les marchés mondiaux. Si le prix du blé est à peu près revenu à son niveau du printemps 2008, y compris sur le marché de Paris en euro la tonne, les prix du maïs et du soja sont beaucoup plus élevés. La viande porcine et la viande bovine ont atteint des niveaux de prix record. Quant aux produits laitiers, ils ont connu, après une période de tassement, de légères inflexions de prix à la hausse. La crise agricole mondiale actuelle est la troisième en cinq ans, ce qui nous amènera probablement à revoir notre analyse sur les dynamiques agricoles mondiales.
Dans le résumé du rapport, le graphique de la page 7 montre clairement la hausse des prix à la production agricole. Selon les chiffres de l'INSEE, ils ont dépassé en juillet 2012 les niveaux du printemps 2008. En comparaison, les prix de production des industries agroalimentaires (IAA) et les prix à la consommation ont moins progressé. Ainsi, l'une des principales constatations de ce rapport est un resserrement des marges de l'industrie et de la distribution depuis un an. Pour la viande bovine, par exemple, le graphique au bas de la page 9 montre que la carcasse reconstituée au stade du producteur passe de 2,73 euros le kilo au premier semestre 2010, à 3,41 euros au premier semestre 2012 – cette hausse très importante étant d'ailleurs une bonne chose pour les producteurs de viande bovine dont les coûts de production comptent parmi les moins équilibrés, notamment les éleveurs de races allaitantes. Les marges de l'industrie et de la grande distribution se sont légèrement réduites, passant pour la première de 1,54 euro au premier semestre 2011, à 1,37 euro au premier semestre 2012, et pour la seconde de 1,76 euro à 1,69 euro. Cette tendance se retrouve pratiquement sur tous les graphiques. En effet, en période de forte tension, du fait de la sensibilité des consommateurs au regard de leur pouvoir d'achat, une certaine compression des marges est observée, à la fois pour l'industrie et la grande distribution. Tel est le constat général que nous avons pu tirer pour l'année écoulée : les hausses très fortes de la production agricole ont été amorties dans une certaine mesure.
Une partie du rapport porte sur l'augmentation des prix de l'alimentation animale. En effet, la hausse des prix des céréales et des oléagineux a eu une incidence sur les prix de l'alimentation animale, autrement dit sur l'augmentation des prix de revient de la production, notamment des volailles et du porc, laquelle a été en partie répercutée de façon heureuse sur les prix de la viande porcine. Malheureusement, nous constatons depuis quelques semaines un repli du marché de la viande porcine, alors même que les coûts de l'alimentation animale restent très élevés. Cet effet de ciseaux des prix, notamment dans le secteur porcin et de la volaille, commence à être inquiétant.
Dans notre précédent rapport, nous avions raisonné uniquement en termes de marge brute : nous indiquions le prix à la production, la marge brute de l'industrie et celle de la distribution. Dans la mesure où, pour l'industrie, nous avions la possibilité d'accéder aux comptes sectoriels, nous pouvions calculer la marge nette. Cela n'est pas apparu possible pour la grande distribution où les seuls comptes sectoriels agrègent l'ensemble des rayons d'un magasin. Une critique nous a été adressée à l'époque selon laquelle la marge de la grande distribution devait intégrer l'ensemble des coûts directement liés aux rayons du magasin pour pouvoir raisonner en termes de marge nette.
Notre grand chantier de l'année dernière a donc consisté, pour la grande distribution, à calculer la marge nette pour cinq rayons, correspondant aux cinq filières que nous suivons. Pour ce faire, nous avons bénéficié de la totale coopération des enseignes – les cinq de la Fédération du commerce et de la distribution, représentée par Jacques Creyssel, mais aussi Leclerc et Intermarché, non-membres de la FCD. À partir d'une méthodologie que nous avons élaborée et d'un très important travail mené avec la grande distribution, nous avons été capables cette année, pour la première fois, d'indiquer les marges nettes de la grande distribution par rayon. Ainsi, le tableau de la page 12 du résumé vous indique la moyenne des marges nettes des cinq rayons de la grande distribution, calculée à partir des résultats fournis par les sept enseignes représentatives. Notre prochain rapport nous donnera certainement l'occasion d'affiner notre analyse, même si la méthodologie utilisée est robuste – nos amis de la FCD ayant même fait travailler le cabinet KPMG. La lettre de l'Observatoire, qui vous a également été distribuée, détaille la méthodologie utilisée et le mode de calcul.
Nos calculs montrent des résultats très différents d'un rayon à l'autre et – surprise – une marge nette négative pour certains rayons, en particulier la boucherie. La différence entre le chiffre d'affaires du rayon et le coût d'achat des produits permet de déduire la marge brute. Sont ensuite déduits les frais de personnels spécifiques aux rayons – particulièrement élevés pour la boucherie, en raison des actes de transformation de la viande, et les fruits et légumes, pour lesquels l'entretien est important –, ce qui nous donne la marge semi-nette. Les autres charges déduites sont le foncier, autrement dit le calcul au mètre carré – le rayon fruits et légumes ayant un chiffre d'affaires au mètre carré plus bas que les autres. Ce calcul nous donne une marge nette qui va de 0,60 euro pour les fruits et légumes et de moins 1,90 euro pour la boucherie à 1,90 euro pour les produits laitiers, 5,10 euros pour la charcuterie et 5,90 euros pour les volailles. En définitive, personne ne gagne sa vie dans la filière viande bovine – mais on imagine mal un supermarché ou un hypermarché sans rayon boucherie.
Nous avons réalisé un autre calcul original, qui relève davantage d'une approche macroéconomique. Il s'agit de la décomposition de l'euro alimentaire – cela figure à la page 14 de notre résumé – qui indique ce que vous payez lorsque vous dépensez un euro en produits alimentaires. Une fois retirées les taxes, la valeur ajoutée de l'agriculture ne représente que 7,6 %, celle de l'industrie agroalimentaire s'élève à 11,3 %, tandis que les importations représentent 26,8 %. Au total, l'agroalimentaire ne représente que 20 % de votre facture. En réalité, en achetant dans un rayon de supermarché, vous payez des services commerciaux, des transports et d'autres produits industriels. Ainsi, la partie agricole et agroalimentaire du panier alimentation du ménage est extraordinairement faible, même si, paradoxalement, la dimension symbolique agricole de notre comportement alimentaire reste importante.
Pour conclure, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires est la seule structure de ce type qui existe en Europe. Son rapport 2012 constitue une base de données particulièrement fournie. Certes, il couvre pour l'instant cinq à six filières seulement, mais nous avons des travaux en cours sur la pêche et le vin – et espérons en avoir à l'avenir sur les céréales. À notre modeste niveau, nous avons essayé de concourir à la construction de rapports de confiance au sein des filières agroalimentaires françaises.