Pour la première fois depuis de très nombreuses années, le budget de la défense est en augmentation, ce qui est à souligner mais mérite une analyse approfondie afin de ne pas laisser s'installer des idées fausses dans l'opinion publique, car, si l'on en croit certaines rumeurs ou certaines déclarations de prétendus spécialistes des questions de défense, le ministère serait privilégié et ses moyens sanctuarisés.
Nous notons, certes, des motifs de satisfaction, à commencer par la quasi-suppression des recettes exceptionnelles, dont Force Ouvrière a toujours mis en doute la réalisation. Cependant, même si l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) était prévue dès le début et si les attentats barbares du début d'année ont pesé sur elle, ce ministère continuera de supprimer plus de 30 000 postes d'ici à 2019. La moindre déflation résulte en fait de la différence entre la déflation initialement prévue et des créations de postes principalement liées à la mission Sentinelle ; en clair, on ne parle pas des mêmes postes. Qu'il soit nécessaire de recruter 11 000 militaires supplémentaires, pour la force opérationnelle terrestre, par exemple, n'est pas contestable en soi, mais confirme ce que nous affirmons depuis des années, à savoir que les militaires positionnés sur les fonctions de soutien ne peuvent en aucun cas assurer ce type de missions, ce qui plaide encore une fois pour un rééquilibrage des effectifs militaires et civils. Le ministre a commandé une étude au Contrôle général des armées (CGA) sur cette question ; espérons que ce rapport sera suivi d'effet et ne rejoindra pas ses prédécesseurs sur les étagères du cabinet.
Ce rééquilibrage est aujourd'hui plus que nécessaire, compte tenu de la moyenne d'âge des effectifs civils et de l'impérieux besoin de renouveler les compétences. À moins de vouloir militariser une moitié du soutien et d'externaliser l'autre, il faut répondre dès maintenant à la problématique que tout le monde connaît mais à laquelle personne ne veut apporter de solution tant l'obsession de la réduction des effectifs conditionne la pensée à Bercy. Chacun sait, à commencer par les directeurs des ressources humaines (DRH) d'armée – certains l'ont écrit –, que plus de 75 % de certaines catégories d'agents – ouvriers de l'État, secrétaires administratifs, catégories B – auront quitté l'institution dans moins de dix ans.
Or rien dans ce budget pour 2016 ne laisse augurer une inversion de la tendance. Le ministre a annoncé l'embauche de quatre-vingts ouvriers de l'État en 2016, mais nous savons qu'au service industriel de l'aéronautique (SIAé), pour ne citer qu'un seul exemple, ce sont 160 ouvriers de l'État qu'il faut recruter en 2016, et 600 d'ici à 2019, afin d'assurer le plan de charge.
C'est une nécessité si nous voulons respecter les objectifs en matière d'entretien du moteur M88, équipant les Rafale des contrats à l'export, et de réinternalisation de la maintenance du C-130. Et la situation est de même nature dans la maintenance des matériels terrestres. On en est à supprimer des postes alors que la charge existe, ce qui oblige les services à adapter la charge aux effectifs, alors que, dans tout service industriel digne de ce nom, c'est l'inverse qui a lieu. L'entreprise Safran elle-même n'interroge-t-elle pas le SIAé sur sa lisibilité à moyen terme pour savoir si elle peut lui rétrocéder une partie de l'entretien du moteur du Rafale ?
Il est aujourd'hui crucial de sortir de cette situation et de répondre aux besoins des armées par des embauches de personnels qualifiés possédant un statut attractif face aux emplois offerts dans l'industrie aéronautique civile.
Le refus par les administrations de la fonction publique et du budget d'avoir recours à des ouvriers de l'État est motivé par des arguments purement idéologiques. Est-ce le système salarial, en l'occurrence gelé depuis cinq ans, qui leur pose problème ? Est-ce le fonds spécial de pension ? Pour notre part, si quelqu'un doit nous parler des ouvriers de l'État et de leur avenir, ce ne peut être que le ministre de la Défense, et certainement pas le ministre de la Fonction publique, qui, en l'occurrence, ne propose rien d'autre que le recrutement de futurs ouvriers par le biais de l'article 36 de la loi Sauvadet, autrement dit sous contrat à durée indéterminée sans possibilité de déroulement de carrière.
Si le projet de budget pour 2016 laisse apparaître une augmentation par rapport au budget 2015, les personnels civils en sont les laissés pour compte. J'ai évoqué les recrutements, je n'y reviens pas, mais comment passer sous silence la diminution de 84 % des crédits alloués aux mesures catégorielles des personnels civils, passant de 9,9 millions d'euros en 2015 à 1,6 million d'euros seulement en 2016 ? Ces crédits s'élevaient à 24 millions d'euros en 2012 : c'est une baisse de 93 % en trois ans. Une baisse de 100 % serait une suppression totale ; nous en sommes très proches.
Comment expliquer aux personnels civils, fonctionnaires, ouvriers de l'État ou contractuels, que ce ministère n'a rien à leur proposer en reconnaissance de leur engagement et de leur attachement à leur mission au service des forces ? Des taux d'avancement ridicules, pas d'augmentation de salaires depuis cinq ans, pas de mesures catégorielles, pas ou très peu de recrutements… Que les événements dramatiques du début d'année aient conduit à l'actualisation de la LPM que l'on connaît n'est pas à remettre en cause, mais les personnels civils du ministère de la Défense n'ont pas à être les victimes des décisions prises. Ils ne sont pas les ennemis de la sûreté de la nation, ils ne constituent pas une population qui empêcherait les armées de protéger les citoyens.
Et nous pouvons de moins en moins amortir cette situation avec le budget de l'action sociale, qui subit également une baisse de 2,9 millions d'euros.
Mesdames et messieurs les députés, les personnels civils sont pour le moins perplexes et se sentent abandonnés, dans un ministère qui voit pourtant son budget augmenter.