Pour le ministère de la Défense, l'année 2016 suit logiquement les décisions prises lors de l'actualisation de la LPM intervenue cette année, suite aux événements tragiques du 7 janvier.
En examinant le document présenté par le ministre, il est clair qu'un effort est visible, tant en moyens humains que financiers. Néanmoins, pour les agents de l'État et les salariés que nous représentons, le résultat n'est pas à la hauteur de ce qu'ils sont en droit d'attendre.
En ce qui concerne les fonctionnaires, le montant des mesures catégorielles n'aura jamais été aussi bas, à 1,6 million d'euros : c'est la peau de chagrin. Il s'élevait à près de 10 millions en 2015 et 11 millions en 2014.
S'agissant du recrutement, nous comprenons, au vu des différentes opérations et missions que doivent exécuter les armées, que l'augmentation des moyens humains n'intervienne que du côté militaire. Il n'en reste pas moins que, faute de recrutement civil de haute technicité, notamment dans le maintien en condition opérationnelle (MCO), la maintenance aéronautique et la maintenance terrestre ne seront plus en capacité d'assurer pleinement leurs missions. Certaines professions ouvrières sont aujourd'hui orphelines, et le manque de recrutements en ouvriers de l'État pour des métiers de haute technicité tels que ceux de mécanicien, logisticien, frigoriste ou pyrotechnicien, occasionnent pour les employeurs d'énormes contraintes, voire des atteintes à la sécurité des vols par la raréfaction des fauconniers, par exemple. Ces professions ouvrières bien spécifiques ne peuvent être puisées dans la ressource des métiers de la fonction publique. Pour la CFDT, il est indispensable de pourvoir et pérenniser ces emplois d'ouvriers de l'État. Ces alertes maintes fois répétées par notre organisation sont aujourd'hui confirmées par les plus hautes autorités militaires.
Sans prendre la place des militaires, les personnels civils en sont le complément et le soutien indispensables. Loin de nous l'idée de recruter à tout va, sans souci des contraintes économiques qui pèsent sur la France, mais il est temps de mettre fin à cette recherche effrénée d'économies qui a sapé les moyens, les compétences et même le moral des personnels civils et militaires.
Les décisions politiques prises au sommet de l'État font que les armées sont employées tous azimuts. C'est leur mission, mais, pour la CFDT, afin de les exercer sereinement avec les moyens requis, le soutien doit être à la hauteur des enjeux.
Pour la première fois depuis la professionnalisation des armées, la proportion de personnels civils va légèrement progresser, notamment au profit de fonctionnaires des trois catégories, mais au détriment des ouvriers de l'État. Il sera primordial qu'avant la fin de la LPM, le rééquilibrage entre personnels civils et militaires atteigne un niveau de l'ordre de 25 %-75 %, ce qui implique un recrutement d'environ 4 000 postes. Gageons que le rapport d'enquête du CGA sur le rôle et la place du personnel civil au sein des armées et services ira dans ce sens. La CFDT espère que, contrairement aux précédents, ce rapport sera suivi d'effets et communiqué aux organisations syndicales.
Le recrutement de personnels civils doit contribuer à un soutien de qualité et réactif. Un personnel civil ne part pas en OPEX, n'est pas utilisé pour Vigipirate et n'a pas les obligations liées au statut du militaire. Il est disponible intégralement sur son poste de travail au profit des forces, ce qui n'est pas le cas d'un militaire, si l'on se réfère au rapport de Mme Gosselin-Fleury, selon lequel la disponibilité des personnels militaires est, du fait de l'entraînement opérationnel, de 1 000 heures par an, contre 1 600 heures pour un personnel civil. Des économies substantielles pourraient donc être réalisées sur la masse salariale via un plan stratégique de ressources humaines digne de ce nom, lequel prévoirait des recrutements de personnels civils remplaçant des personnels militaires « sédentaires ». De plus, recruter de jeunes agents en pied de corps en remplacement de personnels partant en retraite diminuerait nécessairement cette masse salariale et permettrait de créer des emplois difficiles à pourvoir actuellement.
Le chiffrage du nombre socle de personnels militaires indispensable à l'exercice du soutien en opération devait être analysé et publié ; nous n'en avons jamais eu connaissance, à part pour « RHL 2 », et l'existence de nombreux militaires qui ne partent jamais en OPEX alimente un sentiment d'injustice pour bien des personnels civils, notamment ceux en recherche de reclassement suite à la suppression de leur poste. Nous attendons la détermination juste de ce socle pour les autres fonctions. Nous ne remettons aucunement en cause le principe de postes de respiration pour les militaires en retour d'opération, mais ce principe ne doit pas être une règle générale accolée au statut militaire.
Comme nous vous le disions lors de notre dernière audition, tout est vieillissant à la défense : les matériels, les compétences et les personnels. Il est urgent de recruter, eu égard aux besoins des employeurs, certes, mais aussi en fonction de l'attractivité du statut, que ce soit au SIAé, au service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer), à la direction générale de l'armement (DGA), au service interarmées des munitions (SIMu), au service d'infrastructure de la défense (SID), la liste n'étant pas exhaustive. Il ne faut pas perdre de vue que, pour certaines branches, le secteur privé attire plus que le public. Si nous prenons l'exemple de la maintenance aéronautique, actuellement pourvoyeuse de milliers d'emplois, les salaires et les conditions de travail entrent en concurrence directe avec le ministère de la Défense. Pour ce type de métiers, seul le recrutement d'ouvriers de l'État hautement qualifiés peut apporter une réponse. C'est ce qui a été fait en 2015, pour le SIAé notamment, mais c'est très insuffisant ; les recrutements prévus pour 2016 sont largement inférieurs à ce qui est indispensable, car les départs en retraite des ouvriers de l'État de ce secteur dans les cinq prochaines années représenteront la moitié des effectifs actuels.
De même, il est impératif d'endiguer l'hémorragie de départs naturels à la DGA par un recrutement massif dans tous les statuts et de mettre en place une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à la hauteur des enjeux. La DGA a décliné, il y a trois ans, la possibilité d'embauche d'ouvriers de l'État par la DRH du ministère de la Défense (DRH-MD). En 2016, la porte s'entrouvre avec vingt-cinq recrutements. Si les recrutements en ouvriers ne sont pas plus importants à très court terme, la DGA ne sera plus en mesure d'effectuer ses missions. Certaines compétences critiques – pyrotechniciens, pointeurs, opérateurs d'essais, mesureurs – auront irrémédiablement disparu.
Les embauches sont donc plus que nécessaires, et pas seulement en ingénieurs et cadres technico-commerciaux (ICT) et techniciens et cadres technico-commerciaux (TCT), car on ne fidélise pas les recrutements avec des embauches sous statut précaire et sous-payés, et, de plus, tous les postes ne sont pas du niveau d'ingénierie, mais bien d'exécution de haute technicité.
Les fonctions de soutien général et commun et, plus particulièrement, la fonction RH pourraient aussi être évoquées, tant la gestion de proximité a besoin d'être renforcée. Pour la CFDT-Défense, il est urgent de reprendre une politique de recrutements ambitieuse. Recrutement par des concours externes, ce qui permettrait le renouvellement générationnel. La moyenne d'âge du personnel civil est de quarante-huit ans ; dans ce ministère, seulement 8 000 personnels civils ont aujourd'hui moins de trente-cinq ans. Recrutement par des concours internes et des plans de requalification, ce qui permettrait de rétablir un véritable déroulement de carrière attractif, ainsi que de requalifier au corps supérieur nombre d'agents qui occupent des postes à responsabilité supérieure à leur situation statutaire.
Cela n'écarte pas le recrutement par les dispositions de l'article L. 4139, car les militaires doivent pouvoir accéder à une seconde carrière dans la fonction publique, mais ce recrutement doit rester marginal et respecter les règles d'équité en matière d'emploi et d'avancement.
Les processus de recrutement puis de formation sont longs et les nouveaux arrivants ne seront pas immédiatement opérationnels. Même si ces recrutements reprenaient en 2019, ils interviendraient trop tard : entre-temps, ceux qui auraient pu transmettre leur expérience seront massivement partis en retraite. Le ministère de la Défense doit aussi s'ouvrir fortement à l'apprentissage ; ce serait un moyen d'inciter les jeunes à rejoindre ce secteur en ayant la possibilité d'arriver aux concours ou essais professionnels avec une formation solide. Le temps presse.
Nous craignons que le ministère ait fait cette même analyse mais qu'il en ait pris son parti. La politique d'externalisation reviendrait alors dans sa stratégie, avec l'idée d'abandonner l'activité au secteur privé en lui procurant le peu de personnels civils qui lui resterait, selon le principe de la mise à la disposition de longue durée (MALD). Le ministère est-il prêt à accepter ce scénario qui va à l'encontre de notre indépendance, de la bonne gestion des deniers publics, de l'emploi, de la responsabilité sociale et de la confidentialité de nos missions ?