Intervention de Hervé Baylac

Réunion du 8 octobre 2015 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Hervé Baylac, secrétaire général de la FNTE-CGT :

Vous nous recevez une semaine après la présentation du PLF 2016 par le ministre. Si celui-ci a pu jouer avec des chiffres d'effectifs positifs en raison des recrutements de militaires pour l'opération Sentinelle, la réalité est tout autre : les déflations contenues dans la LPM 2014-2019 perdurent, notamment pour les personnels civils. Après les événements dramatiques du début d'année, dans un contexte international tendu et face à la multiplication des conflits, il est de votre responsabilité d'arrêter la gestion à la calculette.

Les missions et activités du ministère de la Défense ne sont identiques à aucune autre. Nous ne sommes pas convaincus que vous ayez une vision précise de qui fait quoi et où. Comment accepter que vous ayez cautionné la loi Macron, passée en force, loin des pratiques démocratiques, par le Premier ministre, et contenant la privatisation du groupe GIAT Nexter ? Sa fusion avec l'Allemand KMW, contrairement à ce que nous a dit le ministre de la Défense la semaine dernière, ne sera pas le nouvel « Airbus » terrestre mais va contribuer à une mise en concurrence des salariés et à rationaliser les effectifs, entraînant pertes de compétences et d'autonomie. Dans le cadre de fusions capitalistiques, un plus un n'est pas égal à deux, surtout quand, comme dans la situation présente, nous avons deux entreprises dont les appareils productifs sont concurrents en de nombreux domaines. C'est bien une division à laquelle il faut s'attendre et non à une addition.

Nous ne pouvons passer sous silence ce qui se passe depuis plusieurs semaines à DCNS. Le plan de performance que veut mettre en place son PDG, nommé par l'État actionnaire majoritaire, répond aux exigences des actionnaires et nullement aux besoins des salariés et à une politique industrielle digne de ce nom pour notre pays. Un pays sans industrie est un pays qui se meurt. La CGT porte comme priorité la recherche et le développement pour une reconquête et un développement industriel pourvoyeur d'emplois stables et statutaires. C'est pourquoi nos représentants syndicaux DCNS ont demandé à être reçus par votre Commission à ce sujet.

Il est dangereux pour notre pays de libéraliser l'armement, qui n'est pas une marchandise comme les autres. Dans le dernier numéro du magazine DSI, vous saluez, madame la présidente, le rôle de « commercial » tenu par le ministre pour les ventes d'armes à l'export. La notion de déontologie n'a pas pesé lourd, l'argent n'a pas d'odeur. Le Qatar serait-il devenu fréquentable ?

Votre responsabilité de parlementaires ne doit pas être dictée par Bercy ni par les industriels de la défense et leurs actionnaires ni par la Cour des comptes, mais bel et bien par les besoins de notre pays pour assurer la sécurité des citoyens, du territoire et des biens.

On touche aujourd'hui le fond – et les chefs d'état-major sont d'accord avec nous – en termes de pertes de compétences et de savoir-faire. Demain, la majorité des équipements de l'armée de terre et de l'armée de l'air seront bloqués faute de mains pour réaliser le MCO.

Or la politique du Gouvernement socio-libéral est de réduire coûte que coûte les effectifs, sans se soucier des conséquences. Ainsi, 1 235 emplois d'ouvriers de l'État seront supprimés en 2016, pour, dit-on, quatre-vingts recrutements – un chiffre annoncé par le ministre mais qui n'a pas encore été confirmé par les services du Premier ministre. Les conséquences sont sans appel : la perte de compétences internes place le ministère sous la dépendance monopolistique des marchands d'armes. Espérer d'eux un hypothétique patriotisme économique est totalement irresponsable.

Les ouvriers de l'État risquent par ailleurs de voir leur statut remis en cause par le Premier ministre. Tout le monde s'accorde pour dire, au ministère de la Défense, que nous devons recruter des professionnels et les fidéliser. Le seul statut apportant cette garantie est celui d'ouvrier de l'État. Nos missions demandent constance et continuité. C'est vrai depuis plus d'un siècle et ça l'est encore plus aujourd'hui, avec un nouveau cycle de matériels mis en place pour les quarante prochaines années, correspondant à la durée de la carrière d'un salarié.

Il en est de même pour les missions de soutien – sans soutien, les forces ne peuvent être opérationnelles –, ainsi que pour les fonctionnaires et contractuels, qui voient leur charge de travail augmenter un peu plus chaque jour par manque d'effectifs, de moyens matériels et du fait de désorganisations permanentes. Seule la conscience professionnelle des agents permet au ministère de fonctionner, mais jusqu'à quand ?

Il est impensable qu'un ministère employant plus de 60 000 personnels civils n'ait pas de GPEC. Comment, dès lors, recenser les métiers de demain ? Parallèlement, la souffrance au travail s'accroît. Les actes dramatiques se multiplient, tout comme les congés de longue maladie pour dépression. Et ce n'est pas le budget 2016 qui va redonner espoir et perspectives aux personnels civils et militaires.

Il est honteux de présenter une enveloppe pour mesures catégorielles de 1,6 million d'euros en 2016, alors qu'elle était de 24,2 millions il y a quatre ans. Dans le même temps, plus de 100 millions d'euros sont consacrés à casser l'emploi et plus de 3,6 milliards à la dissuasion nucléaire.

Il est honteux que les salaires soient gelés depuis cinq ans. Il ne faut pas s'étonner que les salariés fuient les urnes lors des élections politiques, alors que – on a pu le constater en fin d'année 2014 – ce n'est pas le cas lors des élections professionnelles. Les salariés ont plus confiance en leurs représentants syndicaux que dans les décideurs politiques.

Ce Gouvernement veut tout passer en force, sans concertation ni négociation. Est-ce un signe de faiblesse ou une attitude antidémocratique ? Pour la CGT, il est grand temps que vous changiez d'orientations politiques et adoptiez une véritable politique de création d'emplois stables et statutaires pour le maintien et la reconquête de nos missions spécifiques. À moins que vous n'ayez fait le choix de tout externaliser, avec les dangers que cela entraînerait pour la sécurité de notre pays et son indépendance.

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