Intervention de Jean-Luc Champonnois

Réunion du 8 octobre 2015 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Luc Champonnois, secrétaire général de l'UNSA-Défense :

Nous tenons à vous remercier de nous permettre de nous exprimer sur le budget pour 2016, mais l'UNSA-Défense serait bien plus convaincue de la sincérité de l'exercice si elle avait en retour le sentiment d'être entendue et pas seulement écoutée.

Nous l'avons souvent évoqué ici même, l'UNSA-Défense est attachée à défendre une capacité de défense et de sécurité nationale assurant la souveraineté de la France. Si elle est consciente de la nécessité de préserver les finances publiques, elle l'est tout autant de la nécessité de préserver le capital humain, présenté comme la pierre angulaire du dispositif en cours, tant au niveau des compétences que de la motivation et des conditions de travail. Dans ce contexte tendu, l'UNSA-Défense est porteuse d'un dialogue responsable, innovant, toujours constructif mais sans faiblesse.

Après une RGPP dogmatique et une modernisation de l'action publique (MAP) qui l'est à sa manière tout autant, le régime à marche forcée imposé au ministère de la Défense, associé aux fortes résistances d'un corporatisme d'un autre temps, l'a conduit au chaos. Face au report constant des mesures fondamentales, au raisonnement purement comptable, au laisser-faire, au dévoiement des quelques rares décisions courageuses, l'UNSA-Défense ne peut que dénoncer l'inconséquence des politiques qui se sont succédé depuis plusieurs décennies.

Et ce n'est pas la prise de conscience, dans l'urgence, de la réalité des risques majeurs pesant sur la sécurité intérieure qui a conduit la représentation nationale à desserrer la pression sur la réduction des effectifs et à sanctuariser un budget de la défense désormais constitué en quasi-totalité par des ressources budgétaires, qui va mettre le ministère sur la trajectoire de sa modernisation.

La modernisation du ministère est essentielle pour concilier une capacité de défense et de sécurité assurant la souveraineté de la France et la nécessaire maîtrise des finances publiques. Cette modernisation, l'UNSA-Défense la demande et la porte depuis de nombreuses années, selon quatre axes majeurs, comme nous avons eu l'occasion de le présenter à de nombreuses reprises : maintenir une capacité à renouveler les équipements, à assurer leur soutien et à engager des actions stratégiques de long terme ; assurer un meilleur équilibre entre personnels civils et militaires ; établir un dialogue social ouvert et constructif ; enfin, mener une politique d'accompagnement à visage humain.

L'UNSA-Défense rappelle que le format opérationnel des armées issu de l'analyse fonctionnelle demandée par le ministre de la Défense depuis bientôt deux ans n'est toujours pas défini. La recherche d'un meilleur équilibre entre personnels civils et militaires, porteur de son point de vue d'une économie potentielle, à terme, de l'ordre de 3 milliards d'euros sur la masse salariale, n'a toujours pas de réalité.

Le ratio du personnel militaire sur le personnel civil (PMPC) était fin 2002 de 73 %-27 %. Il était fin 2007 de 73 %-27 % et, fin 2014, de 77 %-23 %. D'ici à fin 2019, la répartition des déflations sera de 9 400 pour le personnel militaire, soit 4,5 % des effectifs fin 2014, et de 5 500 pour le personnel civil, soit près de 9 %. Le ratio PMPC d'ici à fin 2019 se dégradera une nouvelle fois pour atteindre 78 %-22 %. Entre fin 2008 et fin 2019, la déflation des effectifs militaires aura été de 19 %, alors que celle des effectifs civils atteindra 24 %.

Le dialogue social relève toujours de la concertation et non de la négociation introduite par la loi de 2010 portant sur sa rénovation. L'UNSA-Défense s'est félicitée de l'amendement à l'article 43 de la LPM voté à l'initiative de la Commission de la défense, mais le nombre très élevé, et souvent injustifié, d'organismes militaires à vocation opérationnelle (OMVO) a dévoyé la volonté politique d'étendre largement le dialogue social sur les questions d'organisation et de fonctionnement au sein des directions et services.

La forte culture hiérarchique qui marque toujours, et peut-être même encore davantage aujourd'hui, le management du ministère nous éloigne chaque jour un peu plus d'un accompagnement à visage humain pourtant essentiel lors de changements importants.

Comment accepter aujourd'hui encore des référentiels des effectifs en organisation (REO) basés sur des grades et des postes rattachés à une arme plutôt que sur des compétences et sur la disponibilité des agents ? Un des exemples le plus criant à cet égard est le SIMu, qui va supprimer en masse des postes de personnels civils tout en conservant un socle de personnels projetables important. Comment maintenir une capacité de service dans les dépôts de munitions quand la majorité des personnels sont projetables ?

Vous comprendrez donc que notre principale préoccupation concerne aujourd'hui la place et le rôle des personnels civils au sein de la communauté de défense. L'UNSA-Défense ne cherche pas à opposer le personnel civil au personnel militaire mais souhaite contribuer à la création d'une véritable communauté de défense animée par le désir de servir la nation en remplissant avec efficacité les missions qui lui sont confiées.

Cette communauté de défense a besoin d'équilibre, de nouveaux modes de fonctionnement, de synergie entre ses composantes, de moyens matériels et financiers, et, bien sûr, de reconnaissance, une reconnaissance traduite par de vrais parcours professionnels valorisants associés à un juste retour financier.

Il est temps que cessent les manoeuvres corporatistes et que nous nous penchions sérieusement sur la modernisation du ministère. Le rapport demandé au CGA devra aboutir à un plan d'action, que seule une volonté politique forte permettra de mettre en oeuvre, mais le ministre avait déjà confié une telle tâche, et cela s'est traduit par des « mesurettes » sans commune mesure avec les enjeux réels.

Revenons au budget 2016. S'agissant de l'équipement des forces, l'UNSA-Défense espère que le feuilleton des bâtiments de projection et de commandement (BPC) commandés par la Russie, qui devrait trouver son aboutissement dans leur revente à l'Égypte après adaptation, ne viendra pas grever par les surcoûts engendrés le budget d'équipement des forces. Le Sénat dénonce l'illusion d'une opération blanche et la presse, citant les sénateurs, fait état d'une facture de « 200 à 250 millions d'euros pour l'État ».

Le soutien ne doit plus être la variable d'ajustement, voire la variable sacrifiée. Des forces mal soutenues sont des forces mal préparées à intervenir, mises en danger dans leurs interventions, non reconnues dans leur capacité d'action. L'événement de Miramas est venu rappeler les conséquences d'une politique de soutien sacrifiée. Dès 2011, un rapport avait mis en évidence la nécessité de sécuriser les dépôts de munitions, pour un montant total de 56 millions d'euros. Pourquoi avoir attendu juillet 2015 pour le mettre en oeuvre ?

Les nombreux départs par limite d'âge associés à l'absence ou quasi-absence de recrutement font monter les risques liés au non-rajeunissement de la pyramide des âges, avec des pertes de compétences particulièrement sensibles dans les métiers techniques. Les recrutements actuels, notamment d'ICT-TCT en CDD, font apparaître le risque de voir ces agents quitter sans préavis la défense, ce qui mettrait des programmes majeurs en situation délicate.

Le volet des mesures catégorielles atteint cette année un montant ridicule de 1,6 million d'euros, soit huit fois moins qu'en 2015, quand le montant était déjà la moitié de l'enveloppe de 2012. Dans le même temps, les mesures catégorielles pour le personnel militaire restent identiques à 2015 et 2014, un montant qui était toutefois moitié moindre qu'en 2012.

Le moral du personnel civil, comme celui de leurs camarades militaires exerçant les mêmes activités, subit la pression du résultat, d'une charge de travail qui s'accumule et d'un management qui fuit le contact du terrain. Les conditions de travail se dégradent et la montée des risques psychosociaux (RPS) atteint le niveau d'alerte. Quant à la chaîne de prévention, rempart contre les dérives de l'organisation du travail et du management, sa complexité depuis la mise en place des bases de défense, qui a généralisé les sites multi-organismes et les organismes multi-sites, la rend inopérante et conduit à ce que les changements d'organisation ne font plus l'objet de consultation des instances de concertation. Le risque d'accident grave est chaque jour plus réel.

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