Intervention de Yves Naudin

Réunion du 8 octobre 2015 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense :

Il y a de quoi être un peu déçu par le fait que le nombre de représentants syndicaux présents soit supérieur à celui des députés, alors que votre Commission compte soixante-dix membres.

Il n'y a pas tout à fait un mois, madame la présidente, certains d'entre nous ont répondu favorablement à votre invitation, la seconde, des organisations syndicales aux Universités d'été de la défense, les treizièmes cette année, à Strasbourg, capitale de l'Europe. La CFTC vous renouvelle ses remerciements pour cette marque d'attention qu'aucun de vos prédécesseurs n'avait eue. « Savoir, Pouvoir, Agir », tel était le thème de nos échanges en ce coeur d'Europe. Le 15 septembre, en conclusion des travaux, vous avez formulé une proposition : faire reprendre par l'Europe l'objectif des 2 % de PIB de dépenses militaires que l'OTAN s'est assignée, et l'inscrire dans le Pacte de stabilité.

La CFTC est sur la même longueur d'ondes depuis les travaux en amont des deux Livres blancs de 2008 et 2013. Le Pacte de stabilité européen doit tenir compte, dans son appréciation du critère de déficit à 3 % du PIB, de l'effort de défense sans précédent consenti par la France, seule ou quasi.

Selon nous, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) demeure très insuffisante, malgré une trentaine de missions civiles et militaires et quelques réalisations au plan capacitaire et industriel. Certes, le troisième chapitre de la brochure ministérielle sur le PLF 2016 que nous a remise M. Le Drian le 1er octobre, offre une vision optimiste de la défense européenne. Coopération capacitaire, renforcement de l'industrie européenne, oui, les choses commencent à bouger, mais ne serait-il pas temps de produire un Livre blanc européen de la défense, comme le Livre blanc franco-français le proposait, et comme le proposent certains à EuroDéfense, ou encore vous-mêmes, dans cette Commission ? La plupart des menaces et des risques auxquels sont exposés les pays européens ne sont-ils pas largement communs ? Dans la logique d'atteindre cette masse critique « défense », la mutualisation des besoins et des capacités ne serait-elle pas une voie intéressante ? Nous saluons le rapport sur la relance de l'Europe de la défense dont vous avez débattu au printemps 2013 et qui comportait une résolution dans ce sens. Quelles en ont été les suites ?

Venons-en au projet de budget 2016. La dette française à 2 100 milliards d'euros, soit 95,6 % du PIB, nous inquiète beaucoup. Même si les intérêts payés tous les ans par l'État continuent de reculer depuis 2012, ils restent tout de même à 46,1 milliards d'euros.

Il est difficile de dire, en tant que citoyens, que c'est grâce aux événements de janvier 2015, auxquels se sont ajoutées les expéditions punitives sur l'Irak et la Syrie contre Daech, que l'on a pu desserrer un peu le noeud de la corde budgétaire qui pèse sur notre budget depuis la chute du mur de Berlin. Notre pays étant en guerre ici et là, en Afrique et ailleurs, le Gouvernement est contraint d'augmenter les effectifs de défense. Le ministère de la Défense est redevenu prioritaire et rejoint ainsi la justice, la police et l'éducation nationale, comme nous vous le demandions l'année dernière en cette même enceinte, tout en critiquant notre chef des armées de vouloir jouer le gendarme du monde sans en avoir les moyens.

La loi d'actualisation de la LPM du 28 juillet 2015 procure 600 millions d'euros de ressources supplémentaires dès 2016, sur les 3,8 milliards prévus pour la période. Les travaux en amont ont mis à la trappe le projet de société de leasing de matériels de la défense, ce dont nous nous réjouissons. Mais ne nous leurrons pas. Le PLF 2016 dit texto, page 40 : « l'ensemble de ces créations d'emplois correspondant à des missions nouvelles, l'allégement de déflation, ne modifie in fine pas fondamentalement les cibles de suppression de postes initialement fixées sur la durée de la LPM – de l'ordre de 30 000 postes. »

N'est-ce pas reculer pour mieux sauter ? Cette courte embellie ne fait pas oublier aux personnels les restructurations, avec leur lot d'incertitudes et de souffrances, surtout lorsqu'elles continuent à être annoncées à la petite année par le ministre, contrairement à ces prédécesseurs. Ce qui fait dire à M. Feytis, notre DRH, cité dans votre rapport Point sur la manoeuvre RH du 2 octobre 2014 : « faute de visibilité sur les déflations à réaliser pour les familles professionnelles concernées – le périmètre de l'administration et du soutien –, il n'a pas été possible de réaliser les projections nécessaires à la définition d'objectifs cibles globaux pour les besoins opérationnels et fonctionnels des armées. » On souhaite donc bien du plaisir à la nouvelle mission du CGA !

Nous sommes heureux que l'entretien programmé des matériels (EPM) bénéficie enfin d'une augmentation un peu plus significative de 7 % par apport à la LFI 2015. Nous sommes satisfaits aussi que notre département ministériel prenne sa part au développement de l'apprentissage dans la fonction publique d'État, avec 1 195 ETPT supplémentaires. Nous sommes cependant dubitatifs quant à l'énième enquête diligentée par lettre du ministre au chef du CGA le 5 août dernier sur la place du personnel civil au sein des armées et services, et sur le comment du pourquoi « rééquilibrer la place PCPM » que nous demandons tous depuis des années.

Nous déplorons l'insuffisance notoire de mesures nouvelles en matière catégorielle et indemnitaire pour le personnel civil, 1,6 million d'euros, alors que, sous d'autres majorités, nous avions atteint des sommets, à 24 millions. Pour le détail, nous attendons la rencontre de demain avec M. Feytis.

Le personnel civil vieillit, comme partout. Les compétences en MCO, notamment terrestre, vont commencer à s'estomper sérieusement d'ici trois ou quatre ans ; quatre-vingts nouveaux recrutements en ouvriers de l'État pour le MCO aéronautique, c'est mieux que rien, mais c'est trop peu pour les autres secteurs professionnels touchés par ce phénomène, même si la CFTC est consciente que le ministre de la Défense se bat bien vis-à-vis du grand argentier français pour les obtenir. Notre inquiétude concerne aussi le maintien de l'expertise de la DGA. « On était arrivé à l'os », disaient certains. De combien l'a-t-on creusée depuis ? Le squelette ne va-t-il pas finir par s'effondrer ? Nous demandons tout votre soutien sur cette délicate question.

Il est prévu 1 000 ETPT pour le nouveau service militaire volontaire (SMV). Sur ce point, la CFTC rejoint le général de Villiers, chef d'état-major des armées, qui estime que le coût de l'expérimentation du SMV – 35 millions d'euros – ne devrait pas être pris sur le budget de la défense sans moyens nouveaux. M. Le Drian nous a confirmé que cette expérimentation durerait deux ans, compte tenu de la réactivité et de la compétence légendaires de nos personnels encadrants, pour être ensuite transféré à un dispositif interministériel. Qu'il soit permis de l'espérer.

Y aura-t-il un autre rapport d'information sur le suivi des réformes au ministère de la Défense, du type de celui que les députés Mme Gosselin-Fleury et M. Meslot ont rendu le 11 septembre 2013 ?

Par ailleurs, dans la fonction publique d'État, après la signature imminente du projet d'accord « Parcours professionnels, carrières et rémunération » (PPCR) par quelques-uns des syndicats ici présents avec leurs fédérations de la fonction publique, il faudra appliquer cet accord dans ses moindres détails et mettre ainsi fin au gel des salaires à la suite des négociations de février 2016. Le ministère devra trouver bien plus que le malheureux 1,6 million évoqué plus haut.

Enfin, je ne voudrais pas terminer cette intervention sans évoquer la lettre que notre fédération CFTC a adressée personnellement à chacun des membres de cette Commission le 30 septembre, faisant part des revendications des personnels de l'Institution nationale des Invalides (INI), en grève – à la suite d'un appel conjoint de la CFTC et de la CFDT – pour l'obtention de la « catégorie active » et sa « bonification d'ancienneté ».

Je vous en lis quelques extraits : « Déjà, en fin d'année 2013, les infirmiers, les aides-soignants et les agents de service civils de la défense, sur le site de l'INI, avaient acquis le principe de recouvrer leur catégorie active. Nous pouvons effectivement dire que, dans les faits aujourd'hui, les infirmiers civils, qui en ont fait le choix, sont de nouveau en catégorie active mais que les aides-soignants et les agents de service civils de la défense ne bénéficient toujours pas de la catégorie active. Le problème de la catégorie active est presque en passe d'être réglé puisqu'il est prévu que le décret concernant les aides-soignants sorte en fin d'année.

« Toutefois, si la catégorie active permet un départ anticipé, elle ne règle pas le problème des moyens financiers d'un départ anticipé. Pour ce faire, ce qui va de pair, pour tous les fonctionnaires d'état en catégorie active, comme les policiers, les surveillants pénitenciers, les douaniers, c'est l'octroi d'une bonification d'ancienneté dite du cinquième, c'est-à-dire l'octroi d'un an tous les cinq ans : au moment du calcul de la retraite, le fonctionnaire bénéficie d'un an, qu'il n'a pas ″réellement″ travaillé, tous les cinq ans. Ce qui permet d'améliorer la pension sur le départ anticipé.

« Or l'administration nous refuse cette bonification. Le silence gardé de la fonction publique au courrier adressé le 27 mai 2015 à Mme Lebranchu constituerait un rejet implicite.

« Les aides-soignants et les infirmiers civils de la défense en catégorie active seront donc les seuls fonctionnaires de l'État à ne pas bénéficier de la bonification d'ancienneté.

« Et pourtant, si nous prenons l'exemple de l'INI, ces soignants sont impliqués dans des missions presque régaliennes : soigner le combattant, soigner l'ancien combattant, soigner le déporté, soigner le Résistant, soigner les victimes de guerre, soigner les victimes de terrorisme, aussi bien dans la partie hospitalisation que dans la partie pensionnaires. C'est pourquoi ces personnels soignants se sont remis en grève. » Il serait bon que certains d'entre vous relayent cette préoccupation au bon endroit.

Cela concerne un millier de personnels : « En 2011, il subsiste encore 5 607 instituteurs qui bénéficient de cet avantage. Cette population est amenée à décliner et pourrait être remplacée progressivement par les personnels paramédicaux des hôpitaux militaires, INI et Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), soit un millier de personnels. Dans ce sens, réintégrer les personnels civils de la défense ne constituerait pas une dépense déraisonnable et permettrait de traiter l'ensemble des fonctionnaires de l'État avec plus d'équité. » Merci de votre attention.

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