Intervention de Philippe Chalmin

Réunion du 18 décembre 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires :

Cela se discute, car il faut précisément faire le pari de la confiance. Le modèle français, marqué par une forte présence de l'État à tous les niveaux, l'est aussi par une absence de confiance dans les relations commerciales. Si l'observatoire que je préside est le seul de son genre en Europe, c'est aussi, sans doute, parce que les négociations donnent lieu chaque année à des psychodrames : en Allemagne, à ma connaissance, les tensions sont bien moindres. On parle toujours de la relation entre industrie et négoce mais, dans certaines filières, comme celle du lait, la relation entre production et industrie n'est pas marquée au coin de la plus grande confiance !

La confiance passe d'abord par la transparence, à laquelle concourent précisément les chiffres que nous vous donnons, et dont je crois pouvoir dire qu'ils sont fiables. La grande distribution a joué le jeu, comme nous avons pu le vérifier en comparant certaines données avec celles d'enseignes n'appartenant pas à la FCD. Bien entendu, on peut constater des divergences en fonction des stratégies d'entreprise et du profil des groupes : pour le rayon boucherie, notamment, les résultats varient sensiblement entre les supermarchés et les hypermarchés. Quoi qu'il en soit, je n'ai aucune raison de remettre en cause les résultats que nous avons présentés. Il est vrai, monsieur Tardy, que la FNB les a contestés – alors que la FNSEA, qui en est partie prenante, a adopté le rapport –, même si elle s'est montrée moins vociférante que d'habitude, les prix de la viande bovine ayant beaucoup augmenté. Il est incontestable qu'un éleveur de race allaitante ne gagne pas sa vie ; l'industrie sort à peine la tête de l'eau ; au surplus, le consommateur a le sentiment que la viande est chère. Il faut dire aussi que la viande bovine reste très largement un sous-produit du lait. J'avais beaucoup choqué lorsque je m'étais demandé si, au restaurant de l'Assemblée, on servait de la vache de réforme laitière, éventuellement d'origine allemande ; j'espère que des vérifications ont été faites depuis lors ; reste que ce type de viande est souvent servi dans la restauration.

Les chiffres présentés dans le tableau sont donc les meilleurs possibles. Dans le prochain rapport, nous essaierons d'y voir plus clair dans la ligne « Autres charges ». Il est vrai qu'elle inclut le foncier, lequel est souvent constitué par une SCI qui appartient au propriétaire du magasin, quand elle n'a pas été remise sur le marché par l'enseigne, comme on l'a vu récemment.

Quant aux frais financiers, ils ne dépendent pas, dans les groupes intégrés, des taux du marché mais du niveau de rentabilité exigé par la centrale. Bref, s'il existe des divergences, il ne faut pas les surestimer. J'ajoute que les différentes enseignes ont des modèles économiques très différents, qui vont d'une organisation totalement centralisée, dans laquelle le magasin n'a presque pas de comptabilité propre, au système franchisé. Les recoupements entre les données ont permis de garantir un niveau de fiabilité des chiffres correct.

Quant à la possibilité d'un raisonnement à partir des marges, nous avons essayé d'évaluer les coûts de production agricole dans chaque filière. La notion de « marge brute » n'a de pertinence que pour certaines activités, comme l'élevage de porcs ou de volailles, où l'intégration entre l'amont et l'aval est plus nette ; pour un éleveur de race allaitante, c'est la notion de coût de production qui s'impose. Il faut aussi rappeler que, sur l'élevage, la PAC a radicalement changé au cours des quinze dernières années, passant d'un soutien par les prix à un soutien aux revenus, sans lequel la filière ne s'en sortirait pas : d'une façon ou d'une autre, il faut bien rémunérer la valeur que la présence des vaches confère à nos paysages.

L'année 2012 a bénéficié des effets conjoints – et non corrélés – de la flambée des prix des céréales et oléagineux, de la forte hausse des prix du porc – 1,70 euro le kilogramme au cadran de Plérin – et de ceux de la viande bovine, compte tenu notamment des exportations vers la Turquie. L'année 2013 sera beaucoup plus difficile : on constate déjà un retournement sur le marché du porc, avec un prix retombé à 1,50 euro le kilogramme, et, si la viande bovine continue de profiter des débouchés du sud méditerranéen, les prix des céréales resteront très tendus jusqu'en mars ou avril. Pour la filière de l'élevage, certains coûts de production risquent donc de n'être pas couverts par les prix de vente.

Enfin, l'idée des circuits courts est assurément sympathique et flatteuse, mais peu compatible avec l'évolution de notre modèle de consommation alimentaire, plus urbain : nous consommons de plus en plus hors du foyer et, lorsque nous le faisons dans celui-ci, c'est de façon beaucoup plus déstructurée qu'autrefois. En d'autres termes, nous achetons de plus en plus de produits intégrant des services et directement consommables. Pour la viande bovine que l'on achète en barquette dans les supermarchés, il faut ajouter de 2,5 à 3 % de freinte par rapport à la viande traitée par le sympathique boucher de quartier, qui utilise toute la carcasse, sans pertes. On entend parfois dire que l'on pourrait nourrir le monde si 30 % des aliments n'étaient pas jetés sans être consommés ; mais c'est oublier que notre modèle de consommation, qui rejette tout risque alimentaire, est par essence gaspilleur.

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