Intervention de Jacques Creyssel

Réunion du 18 décembre 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Jacques Creyssel, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, FCD :

J'en suis d'accord. C'était d'ailleurs tout à fait indispensable : où seraient employés les 50 000 jeunes peu qualifiés que nous recrutons chaque année si nous ne pouvions plus le faire ?

S'agissant de l'oligopsone que formeraient quelques centrales d'achat, M. Law a répété les balivernes que l'on entend souvent. Existe-t-il, en France, vingt-cinq producteurs de yaourt, de lait, de boissons gazeuses ou alcoolisées ? Il y a plus de centrales d'achat que de producteurs ! J'ajoute que les bénéfices mondiaux de certains grands groupes industriels sont sans commune mesure avec ceux de l'ensemble de la grande distribution française. Il faut donc sortir des idées préconçues.

Nous avons souhaité que, avant d'être transmises à l'Observatoire, les données soient authentifiées par un cabinet indépendant – KPMG, en l'occurrence –, car nous savions bien qu'elles dérangeraient et, pour cette raison, qu'on les soupçonnerait d'être fausses. Quant aux données spécifiques à chaque enseigne, elles relèvent évidemment du secret des affaires.

On évoque des montages comptables sur le foncier, mais je rappelle que certains groupes de la grande distribution étant cotés, ils présentent des comptes consolidés, qui par définition englobent ces éléments ; ces comptes sont d'ailleurs tout à fait cohérents, en moyenne, avec les données du rapport de l'Observatoire. Ces dernières concernent la comptabilité analytique par rayon, pour laquelle nous disposions des marges brutes mais pas des marges nettes ; c'est pourquoi il a fallu un an pour les établir. Calculer la marge nette de la cerise bigarreau n'aurait aucun sens, non plus que d'évaluer le nombre de secondes qu'il faut pour sa mise en rayon ! La péréquation, je le rappelle, est la base même du métier. Un hypermarché, par exemple, propose jusqu'à 100 000 références : la marge moyenne n'étant que de 1,4 %, il faut bien que celle dégagée sur certains produits soit supérieure à d'autres. Pour les fruits et légumes, par exemple, le résultat net par kilogramme est de l'ordre du centime. Bref, si la transparence a été totale, elle s'arrête aux portes de la confidentialité et du raisonnable...

Les négociations ne sont pas bloquées, monsieur Tardy : elles aboutiront le plus tôt possible pour les PME et, en tout état de cause, d'ici à la fin du mois de février prochain pour l'ensemble des marques – même si, comme chaque année, on a entendu dire qu'elles seraient achevées à la fin du mois de décembre. Il n'y a du reste pas de difficultés particulières par rapport aux années précédentes, mais, comme dans les négociations sociales, il faut un certain temps pour parvenir à un accord global, que j'appelle bien entendu de mes voeux.

S'agissant des PME, quelques secteurs rencontrent des difficultés particulières, à commencer par celui de la charcuterie. Des groupes de travail ont donc été mis en place sous l'autorité de M. Stéphane Le Foll et de M. Guillaume Garot. Reste que la crise frappe les PME davantage que les grandes entreprises, c'est là une évidence, même si, à en croire un article récent paru dans la revue Libre service actualités (LSA), leur chiffre d'affaires dans les rayons des grandes surfaces progresse. Les PME, on le dit rarement, représentent plus de la moitié du chiffre d'affaires de la grande distribution et l'essentiel des marques de distributeur (MDD) : elles profitent d'ailleurs des circuits courts, lesquels, avant de permettre des économies sur les frais de transport, répondent à une demande des consommateurs.

Outre la transparence, dont témoigne le rapport, la meilleure solution, à nos yeux, ne réside pas dans une septième loi en dix ans, mais dans la définition de codes de bonne conduite. Un accord, en cours d'examen par la DGCCRF, vient d'être conclu avec la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), avec laquelle nous poursuivons la réflexion sur des sujets tels que les appels d'offres et la volatilité des prix. Nous obtiendrons, dans les mois qui viennent, des résultats concrets. J'ajoute que les négociations à l'étranger ne sont pas aussi simples qu'on a l'air de le croire. Au reste, la concentration de l'agriculture allemande ne me semble pas être un modèle à suivre, même s'il facilite les négociations.

Nous ne sommes pas favorables à une modification de la LME, non seulement parce que cela créerait de l'instabilité, mais aussi parce que cette loi a des effets positifs : les marges arrière ont globalement disparu, la concurrence a rarement été aussi vive – certaines campagnes publicitaires le montrent – et l'impact sur les prix est considérable, puisque, selon l'INSEE, ceux-ci ont n'ont augmenté que de 1 % en un an dans la grande distribution, contre 3,6 % dans les autres réseaux de vente. Ce dernier niveau d'inflation est sans doute celui que l'on atteindrait dans la grande distribution si la LME était remise en cause : ce serait sans doute la pire chose à faire en cette période de crise.

Je rejoins M. Chalmin sur le coefficient multiplicateur : méfions-nous des solutions faciles. La France a mis longtemps à sortir des systèmes d'indexation ; y revenir serait la plus mauvaise nouvelle pour le consommateur. De tels systèmes constituent des négations de la concurrence ; or nier la concurrence est contraire à l'efficacité économique.

Le gaspillage alimentaire est un phénomène qu'il faut combattre, même si une étude européenne montre que la grande distribution n'y contribue qu'à hauteur de 5 % ; elle est d'ailleurs la principale donatrice de produits alimentaires en France, avec 35 % des dons. Une réunion s'est tenue la semaine dernière avec les associations, pour essayer d'aller plus loin encore. L'effort doit notamment être poursuivi au niveau européen, car il s'agit d'un enjeu collectif.

La réduction des délais de paiement aux PME est la mauvaise idée par excellence, car elle avantagerait les grandes marques nationales. Chacun s'accorde à dire que les délais fixés par la LME sont satisfaisants : il convient donc de s'assurer de leur respect. La prochaine loi relative à la consommation contiendra sans doute des dispositions sur le contrôle ; nous n'y sommes pas opposés, même si cela risque de créer des complications administratives.

La situation des céréaliers est très favorable, compte tenu des niveaux de prix des grandes cultures. Les éleveurs en subissent les conséquences, mais ce n'est pas au consommateur de régler la facture, comme je l'ai dit, en fâchant le président de la FNSEA et celui de Coop de France, lors de la réunion du le 21 novembre dernier. Les éleveurs et les céréaliers doivent s'accorder sur des péréquations et des mécanismes de couverture financière. Il n'est pas normal, par exemple, que le prélèvement visant à abonder le Fonds de modernisation se limite à 2 euros par tonne de céréales, alors que le prix du blé à la tonne a augmenté de 80 euros en un an.

Le modèle de la grande distribution, qui associait jusqu'alors une forte croissance, un foncier relativement bon marché, de longs délais de paiement et des taux d'intérêt élevés, n'a effectivement plus cours, madame Vautrin. Il nous faut donc trouver d'autres voies. Le « drive », par exemple, crée beaucoup d'emplois, ou à tout le moins évite d'en supprimer. Nous avons à chercher d'autres façons de créer de la croissance, que ce soit par la qualité, à travers le travail le dimanche ou par la vente de produits pharmaceutiques, délivrés sans ordonnance, et parapharmaceutiques.

Je regrette que la loi relative à la régulation économique outre-mer ne soit pas passée devant le Conseil constitutionnel : les mesures qu'elle contient sont-elles compatibles avec les principes de liberté et de propriété ? Toutes les études préalables tendent à montrer que non. En dotant l'Autorité de la concurrence d'un pouvoir d'injonction, on lui permet de sanctionner en l'absence de faute alors que, jusqu'à présent, elle ne pouvait le faire qu'en constatant des abus de position dominante. Seuls les États-Unis et l'Allemagne ont tenté d'instaurer un tel mécanisme de sanction sans faute ; mais ils y ont renoncé car il contrevenait aux libertés fondamentales définies par leurs constitutions respectives. La solution choisie ne permettra pas de régler le problème de la vie chère dans les outre-mer, toutes les études ayant au demeurant montré que la grande distribution n'en était pas responsable. C'est plutôt sur la taxation spécifique des produits importés dans ces territoires qu'il faut s'interroger.

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