Intervention de Philippe Plisson

Réunion du 28 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Plisson, rapporteur :

Je ne reviendrai pas sur les données que nous avons récoltées sur les périodes de chasse dans les différents pays et sur l'importance des prélèvements cynégétiques. Mais il est nécessaire d'avoir en mémoire quelques chiffres : au total, on évalue à environ de 150 000 à 180 000 le nombre des oies cendrées de la population nord-ouest européenne qui sont prélevées chaque année pendant la saison « hivernale » de chasse, soit 17 à 19 % des effectifs à l'issue de la période de reproduction. À ce total, doit être ajouté le prélèvement effectué aux Pays-Bas pendant la période de reproduction : 70 000 oies durant l'été 2010, 150 000 durant l'été 2013. Les Pays-Bas procèdent à des opérations de destruction massive parce que les oies mangent les cultures.

La nouvelle enquête menée par l'ONCFS évalue le nombre de prélèvements, en France, entre 15 000 et 18 000. Les chiffres de prélèvements rapportés à la population en croissance montrent que les capacités globales de prélèvement dans notre pays ne peuvent pas représenter un risque pour les populations nord-européennes, en forte augmentation elles aussi.

Je souligne également le fait que les différences dans les dates de chasse tiennent beaucoup aux dérogations qui sont autorisées dans le cadre de l'article 9 de la directive « Oiseaux » et qui permettent des prélèvements dans des conditions précises : pour la santé humaine, dans l'intérêt de la sécurité aérienne, en cas de dégâts agricoles ou piscicoles, ou à des fins scientifiques.

L'interprétation de la directive « Oiseaux » a été donnée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), laquelle a élaboré une jurisprudence autour de la notion de « protection complète » des oiseaux migrateurs et du gibier d'eau, en précisant ainsi les notions de « petites quantités » susceptibles d'être prélevées, de « risque de confusion » entre espèces ou d' « autre solution satisfaisante ».

La protection prévue pour ces espèces, tant pour la période nidicole et les différents stades de reproduction et de dépendance que pour le trajet de retour des espèces migratrices vers leur lieu de nidification, doit être complète et exclure des risques de confusion entre espèces différentes. En conséquence, la CJUE a interdit l'échelonnement des dates de périodes de chasse en fonction des espèces ou selon différentes parties du territoire, sauf si la preuve, fondée sur des données scientifiques, qu'un tel échelonnement n'est pas incompatible avec la protection complète des espèces est rapportée. Dès que le premier oiseau commence à migrer, on décide l'arrêt de la chasse.

Par l'arrêt du 16 octobre 2003, rendu à la suite d'une question préjudicielle que le Conseil d'État lui avait soumise le 25 janvier 2002, la CJUE a précisé son interprétation concernant les possibilités de dérogation qui ne peuvent être envisagées qu'à défaut de solutions alternatives satisfaisantes et ne peuvent servir de fondement légal à des mesures qui auraient « pour seul objet de prolonger les périodes de chasse sur des territoires déjà fréquentés par ces dernières pendant les périodes de chasse ».

La jurisprudence de la Cour de justice, qui introduit ainsi la protection du « premier oiseau », est excessivement stricte car elle considère que tout vol hivernal est une migration prénuptiale. C'est le fond du débat. Reprise par les jurisprudences au niveau de chaque État, elle est à la source de nombreux contentieux nationaux.

C'est bien le cas dans notre pays où nous avons vécu une véritable saga puisque, depuis plus de vingt ans, les arrêtés fixant les dates d'ouverture etou de fermeture de la chasse aux oies cendrées ont fait l'objet de recours devant le Conseil d'État et ils ont tous été annulés par la juridiction.

Vous trouverez dans le rapport des précisions sur la jurisprudence récente du Conseil d'État et sur les raisons qui sous-tendent ses décisions, notamment celle du 23 décembre 2011 qui enjoint au Gouvernement de fixer une date de fermeture qui ne soit pas postérieure au 31 janvier, la décision du 7 novembre 2012 qui annulait l'arrêté du 3 février 2012 autorisant des prélèvements jusqu'au 10 février 2012 dans treize départements à des fins d'études scientifiques, et l'ordonnance du 5 février 2014 qui a suspendu l'arrêté du 30 janvier 2014.

Dans une démarche politique d'apaisement, la ministre de l'écologie a innové en 2015. Par lettre en date du 28 janvier 2015, elle a rappelé que la date de fermeture de la chasse aux oies était fixée au 31 janvier mais elle a donné comme instruction au directeur général de l'ONCFS que, dans la période du 31 janvier au 8 février, soit organisée « une action d'information visant à prévenir les chasseurs » et a demandé que la verbalisation ne prenne effet qu'à compter du 9 février suivant. (Murmures sur divers bancs) Si le statut juridique de cette solution est fragile, elle a le mérite d'avoir apporté une solution de court terme dans une période de blocage.

On peut comprendre les réticences du Gouvernement à prendre des arrêtés dérogatoires quant aux dates de fermeture de la chasse aux oies cendrées. Mais il me semble essentiel de souligner que les possibilités demeurent néanmoins en droit : soit pour régionaliser les dates de fermeture ; soit pour prendre en compte la situation de l'espèce, c'est-à-dire non seulement l'évolution des dates de migration que la surabondance, dans le cadre de l'article 7 de la directive « Oiseaux » ; soit enfin pour recourir aux dérogations admises par l'article 9 de la même directive – ce n'est pas parce que toutes les conditions ne sont pas remplies actuellement qu'il faut s'interdire un tel recours à l'avenir.

J'ai formulé trois propositions.

Premièrement, poursuivre les études juridiques afin de déterminer les conditions qui permettraient de fixer par arrêté ministériel des dérogations à la date annuelle de fermeture de la chasse aux oies cendrées.

Deuxièmement, effectuer des comptages plus fréquents et plus exhaustifs pour mieux évaluer les prélèvements cynégétiques en France qui aujourd'hui sont relativement vagues.

Troisièmement, poursuivre les enquêtes auprès des autres pays européens afin de connaître les données sur les prélèvements et la mise en oeuvre des plans de gestion de l'espèce.

Il m'est apparu intéressant de formuler cinq interrogations présentant l'état du débat et permettant une meilleure recherche de solutions.

Première interrogation : l'importance des dégâts causés aux cultures justifie-t-elle une régulation plus intense de l'espèce ?

Face aux dégâts causés aux cultures particulièrement importants aux Pays-Bas et dans une moindre mesure en Allemagne, en Suède et en Norvège, la plupart des organisations agricoles et les gestionnaires des zones naturelles humides soutiennent l'option d'une plus forte régulation de l'espèce. C'est ce qui explique la mise en oeuvre de plans de régulation en Norvège pour la période 2012-2020 et aux Pays-Bas depuis 2013-2014.

Les dégâts aux cultures sont indemnisés dans certains pays et coûtent de plus en plus cher. Aux Pays-Bas, le montant annuel des indemnisations directes versées aux agriculteurs par les provinces néerlandaises a atteint 12 millions d'euros en 2014, dont 9 millions pour la période hivernale et 3 millions pour la période estivale. Une des critiques apportées au système d'indemnisations est la part indirecte que l'Union européenne y prendrait. En effet, des aides européennes peuvent être accordées par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). L'Europe aide donc les pays à détruire les oies tout en interdisant, dans le même temps, de les chasser.

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