Intervention de Philippe Plisson

Réunion du 28 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Plisson, rapporteur :

Il semble bien que plusieurs provinces aient recours à cette pratique depuis cette année pour éliminer des dizaines de milliers d'animaux, en particulier en Zélande – nous l'avons vérifié – et en Frise.

Quatrième question : la notion même de migration ne peut-elle pas être remise en cause ?

Le débat sur les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse est évidemment lié à la notion même de migration.

Or les déplacements hivernaux des oiseaux migrateurs sont souvent complexes et le fait qu'ils quittent les zones d'hivernage ne signifie pas forcément qu'ils commencent la migration de retour. Des déplacements correspondent davantage à la recherche de zones d'alimentation. Certains oiseaux se déplacent en effet parce qu'ils n'ont plus à manger. La difficulté réside donc dans le fait de différencier ces « délocalisations » durant l'hivernage, qui peuvent être qualifiées d'errements, avec des déplacements prénuptiaux.

Remettre en cause les données scientifiques, en particulier sur des faits précis, ne mène à rien. Émettre des doutes sur les conclusions qui en sont tirées doit servir de base à de nouvelles approches, et c'est ce que nous faisons. Il est avéré que le pic de migration prénuptiale des oies cendrées a bien lieu durant la deuxième décade de février. Le débat porte donc sur la caractérisation de certains vols durant la dernière décade de janvier : les oies vont-elles sur leur lieu de nidification ou cherchent-elles un endroit où elles pourront se nourrir ?

Cinquième question : l'instauration d'une dérogation pour allonger la période de chasse est-elle compatible avec les normes européennes ?

Les possibilités de recours aux dérogations sont limitées et doivent être justifiées par rapport aux objectifs généraux de la directive « Oiseaux » et conformes aux conditions spécifiques décrites à son article 9. Ces conditions sont strictes et restreignent considérablement la possibilité d'utilisation, d'autant plus que la mise en oeuvre est encadrée tant par la Commission européenne que par la Cour de justice de l'Union européenne.

Trois conditions cumulatives sont rappelées dans le guide sur la chasse durable en application de la directive : premièrement, qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante ; deuxièmement, que soit faite la preuve d'un des motifs énoncés à l'article 9, paragraphe 1, points a), b) et c) ; troisièmement, que soient satisfaits des critères de forme.

La Commission européenne a rappelé sa position actuelle dans une réponse à la lettre que la ministre de l'écologie avait envoyée le 30 janvier dernier au commissaire européen Karmenu Vella : le régime dérogatoire est d'interprétation stricte et il revient aux États, pour sa mise en oeuvre, d'établir que les conditions de son application sont remplies. La première condition à satisfaire pour accéder au régime dérogatoire est l'absence « d'autre solution satisfaisante ». Or la France ne satisfait pas à cette condition puisque les espèces d'oies visées sont effectivement présentes sur le territoire national durant la période légale de chasse du 21 août au 31 janvier et que les quantités prélevées sont loin d'être négligeables. Elles peuvent être chassées durant leur première migration vers le sud.

Quatrième et dernier axe du rapport : quelles sont les démarches possibles ?

Deux démarches sont examinées en France pour adapter le cadre de la chasse aux oies cendrées : la mise en place d'un plan de gestion et l'amélioration des conditions d'hivernage.

Tant le Gouvernement que certaines associations de défense de l'environnement ou les fédérations de chasseurs semblent désormais favorables à l'adoption et à la mise en oeuvre d'un plan de gestion des oies cendrées afin de développer une logique de long terme dans le prélèvement de ces oiseaux.

L'hypothèse retenue est celle d'un plan international d'action et de gestion dans le cadre de l'AEWA qui serait décliné au niveau national. Car, si l'AEWA promeut principalement le maintien et la sauvegarde des oiseaux d'eau au statut de conservation défavorable, il peut aussi avoir comme objectif de mettre en oeuvre des dispositifs de gestion des espèces abondantes qui causent des dommages significatifs aux activités humaines.

Quels sont les avantages et les inconvénients d'un plan d'action et de gestion ?

Selon l'organisation scientifique Oiseaux migrateurs du paléarctique occidental (OMPO), la directive « Oiseaux » n'est plus adaptée aux réalités biologiques actuelles du fait notamment de l'absence d'outil de gestion. La directive européenne n'admet qu'une dérogation au cadre juridique de prélèvement des espèces chassables. Une telle dérogation n'est pas un mécanisme de gestion des espèces en accroissement mais constitue seulement une solution de court terme dans l'attente d'un plan de gestion à l'échelle européenne.

Dans l'aire de l'AEWA, d'autres pays européens sont motivés par une gestion de l'espèce à grande échelle, notamment les pays nordiques qui subissent les dégâts. L'adoption d'un plan de gestion spécifique à l'oie cendrée concernerait une dizaine de pays et intéresserait surtout la Norvège, la Suède et les Pays-Bas qui éprouvent des difficultés à gérer les oies sédentaires sur leurs territoires.

Certains pays se sont exprimés en faveur d'un plan plurispécifique qui intégrerait d'autres espèces, notamment la bernache nonnette et l'oie rieuse. La question qui se pose est celle d'un plan spécifique à l'oie cendrée ou d'un plan global pour toutes les espèces d'oies générant des difficultés similaires. Selon le ministère de l'écologie, il vaudrait mieux adopter une approche globale : un plan de gestion couvrant trois espèces d'oies concernerait alors une vingtaine de pays, ce qui représente un maximum pour que l'accord soit efficace.

Plusieurs critiques d'ordre général sont apportées au plan de gestion, touchant aux délais ou à l'articulation avec les normes européennes. Un plan de gestion prendra beaucoup de temps à être mis en place car tout plan de gestion élaboré dans le cadre de l'AEWA devra être discuté dans le cadre de l'Union européenne, ne serait-ce que pour les pays signataires de l'accord et membres de l'Union européenne.

La ministre de l'écologie a demandé à l'AEWA, le 19 novembre 2014, de se saisir de ce sujet pour la mise en oeuvre d'un plan de gestion international de l'oie cendrée avec l'ensemble des États intéressés. C'est donc une demande officielle. Une réunion préparatoire a été organisée au ministère, le 27 janvier 2015, avec la Fédération européenne des associations de chasse et des conservatoires de la faune sauvage (FACE), l'OMPO, l'AEWA, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), l'ONCFS, France nature environnement (FNE), la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et la Fondation Sommer.

La première réunion du comité technique de l'AEWA, qui s'est tenue du 3 au 6 mars 2015, pour interroger les parties sur leur intérêt à l'égard d'un tel plan de gestion, est très encourageante. Lors de la dixième réunion du Comité permanent de l'AEWA, du 8 au 10 juillet dernier, à Kampala, a été examiné un projet de résolution sur l'adoption et la mise en oeuvre de plans internationaux d'action et de gestion mono ou plurispécifiques. Le projet de plan de gestion multi-espèces « oies » concernant en particulier l'oie cendrée mais aussi la bernache nonnette et l'oie rieuse a été présenté par le directeur technique de l'AEWA. Nous sommes dans une démarche qui est entrée aujourd'hui dans une phase de réalisation.

Une fois que le plan d'action sera établi, différentes mesures de gestion détaillées seront prises. L'AEWA se tournera vers un opérateur pour gérer le plan au niveau national. Les ministères chargés de l'écologie et de l'agriculture ont proposé que l'OMPO soit l'opérateur du plan en France, ce que toutes les parties prenantes ont accepté.

C'est pourquoi je propose de soutenir la démarche du Gouvernement pour l'élaboration d'un plan d'action et de gestion de l'espèce au niveau de l'AEWA et pour sa mise en oeuvre au niveau national dès qu'il sera achevé.

Une autre piste concerne l'amélioration des conditions d'hivernage. L'effectif des oies cendrées hivernant en France semble atteindre un palier autour de 20 000 individus. L'exemple d'autres pays européens, comme l'Allemagne ou les pays scandinaves, pourrait être repris afin de créer des zones d'accueil et de tranquillité suffisamment vastes et préservées des dérangements et des aires de gagnage pour améliorer l'alimentation des oiseaux hivernant. Si nous arrivons à faire en sorte que des oiseaux s'arrêtent chez nous, éventuellement qu'ils y migrent, nous aurons alors une vraie raison de pouvoir participer à leur régulation.

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