Intervention de Christophe Rémy

Réunion du 19 décembre 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Christophe Rémy, président du conseil d'administration de LH Aviation et directeur associé de Magellan Industries :

Lorsque vous n'avez que 45 collaborateurs, vous ne pouvez pas en « dédier » un au suivi administratif d'un dossier ! Nous finissons par obtenir le visa, le dossier est transmis à la trésorerie et nous recevons le règlement le 12 décembre dernier. Huit mois se sont donc écoulés pour toucher le CIR sur des frais engagés depuis janvier 2011. Moralité, si l'entreprise n'avait pas bénéficié du soutien d'un fonds d'investissement, elle serait morte.

Autre exemple, notre demande d'autorisation d'exportation de matériel militaire. Nous la déposons le 23 mars 2012 et recevons un récépissé le 14 mai. Un avis favorable du ministère de l'intérieur intervient le 26 juillet. À partir de septembre, nous nous rapprochons sans succès de la DGA mais nous finissons par avoir une réponse du bureau de la réglementation et de la sécurité industrielle qui appartient à la sous-direction de la gestion des procédures de contrôle. Il nous est alors indiqué que de toute façon, nous n'aurions aucune réponse avant neuf mois ; pourquoi ? Parce que c'est comme ça ! Pendant ce temps, l'entreprise est autorisée à présenter l'appareil avec ses systèmes d'armes dans tous les salons, sous une version « concept » et avec l'aide de la DGA. Toutefois, il est interdit à LH Aviation de négocier et de vendre ses produits. Pendant que l'administration prend son temps, l'entreprise passe à côté de marchés.

Parallèlement, notre « grand frère » TDA, filiale de Thales, fait la promotion de notre avion et a la gentillesse de nous faire figurer parmi ses références, à côté du Mirage 2000, du Rafale ou du Tigre. Eux ont le droit d'en parler mais pas la PME qui le produit... ce qui est quand même une situation quelque peu gênante. Sans le soutien de ces grands groupes, comment voudriez-vous que nous exportions ?

La DGA nous apporte cependant un immense soutien et je tiens à rendre hommage à tous ses membres, qui, dans les salons internationaux, font beaucoup d'efforts pour aider les PME françaises. Ils sensibilisent les délégations à nos produits et leur font faire des détours pour les attirer sur nos stands.

Toutefois, le fait que l'on ne puisse pas obtenir en France des décisions administratives en moins de neuf mois est absolument inconcevable. Le législateur doit être conscient qu'une entreprise de 45 personnes ne peut pas passer son temps à courir derrière des demandes d'autorisations.

Un autre problème fondamental concerne l'absence de référencement par l'armée française, qui constitue un frein majeur à l'exportation des PME. Malgré tous les soutiens que nous avons reçus des états-majors, qu'il s'agisse de l'ancien chef d'état-major de l'armée de l'air (CEMAA), le général Paloméros, des opérationnels de Salon-de-Provence pour l'entraînement ou des responsables des services d'incendie et de secours, nous n'avons pas obtenu le sésame que constitue le label « en service dans l'armée française ».

Nous avons 60 appareils en cours de finalisation, ce qui représente deux ans et demi de production de l'entreprise, et tous nos clients nous demandent pourquoi cet avion classé en tête de tous les palmarès n'a pas été acheté par la France. Pour une petite entreprise, il est quasiment impossible de surmonter cette étape. Dès lors, peut-être serait-il pertinent de mettre en place un dispositif de type RAPID pour l'acquisition et le test ? Nous sommes prêts à offrir un ou deux appareils pendant deux ans pour qu'ils soient testés par les forces françaises dans n'importe quelle unité. Si notre avion volait avec une cocarde tricolore, cela nous débloquerait immédiatement tout un tas de marchés car cela montrerait que la France fait confiance à ses PME.

Le troisième obstacle que nous rencontrons, c'est le manque de protection et de soutien de l'État aux PME dans le cadre des appels d'offres. Aucune recommandation n'est faite pour privilégier une entreprise française qui propose un produit ou un service au moins équivalent à celui d'un autre fournisseur. Cela est pourtant autorisé par Bruxelles. Il suffit de créer un critère « PME » dans les règles d'attribution des marchés. Lors de l'évaluation de l'offre, une des notes peut être réservée au recours à des PME en vue de favoriser les candidats qui s'y prêtent.

Comment se passe concrètement un appel d'offres pour une PME ? En juin 2010, l'entreprise reçoit la visite de l'officier en charge de l'évaluation des nouveaux besoins pour les avions d'entraînement du centre de formation aéronautique militaire initiale (CFAMI). Il est très intéressé par l'avion, qu'il a vu voler au Bourget en 2009. En juillet, une délégation essaie l'appareil et elle est tellement impressionnée qu'elle nous invite à le présenter en septembre à Salon-de-Provence. Le mois suivant, nous recevons un avis très favorable, tous les opérationnels considérant que c'est l'appareil qu'il leur faut pour la formation ab initio des pilotes. Pour l'entreprise, c'est un conte de fées !

Nous scrutons alors les sites spécialisés dans la publication des appels d'offres d'acquisition. Las, rien ne se passe. Pourquoi ? Parce que l'appel d'offres d'acquisition a été transformé en appel d'offres de services, auquel une PME ne peut pas souscrire puisque seuls les grands groupes sont en mesure de présenter une offre globale de service. Par magie, alors que les opérationnels de l'armée française voulaient un avion biplace, la société qui remporte le marché propose un avion à quatre places. D'un seul coup, en plus des pilotes, on a décidé de former les opérateurs. Il a donc été acheté des avions chinois et nos pilotes seront formés sur des Cirrus. L'avion est dix fois plus bruyant que celui de LH, alors même que l'appel d'offres exigeait un appareil silencieux, il est plus cher et son coût d'exploitation est deux fois supérieur. L'argent public va donc servir à créer des emplois en Chine. Pourquoi ne pas privilégier une entreprise française alors que l'avion idoine existe en France ?

Alors que les opérationnels demandaient un biplace, par quel miracle se retrouve-t-on avec un avion à quatre places, d'autant que le Cirrus ne passe pas les vrilles, ce qui est quand même fort de café pour un avion de formation ?

Nous savons que la France est en train de préparer un appel d'offres sur des avions d'entraînement pour un pays étranger de la zone méditerranéenne. Il semble qu'elle ait choisi un avion allemand – au moins restons-nous en Europe ! – mais il est trois fois plus cher que le LH et deux fois plus en coût d'exploitation. En outre, LH va être conduit à soumissionner avec un pays étranger et si l'entreprise est sélectionnée, cela ne sera donc pas avec son propre pays.

Telles sont les principales difficultés que rencontre quotidiennement une PME de défense. L'on pourrait recourir à l'externalisation des services, mais il faudrait que le fait, pour un grand groupe, d'avoir des PME dans la liste de ses sous-traitants lui procure un avantage dans l'attribution des marchés d'État. À défaut, il sera impossible de maintenir de l'emploi manufacturier en France.

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