En plus de l'étude Ipsos-Microsoft que vous évoquiez, madame la présidente, nous avons réalisé deux autres études sur l'impact du numérique, l'une en 2013 sur la transformation des métiers, l'autre en 2014 sur les cols bleus.
M. Guilcher a évoqué la transformation des métiers : elle concerne les ressources humaines, mais aussi les contrôleurs de gestion avec le big data ou encore les commerciaux. Un commercial dans une organisation comme Microsoft doit être très actif sur les réseaux sociaux et comprendre le client avant même de l'avoir rencontré. En effet, toutes les études démontrent qu'un client à qui l'on propose un service est déjà engagé à 60 % dans son processus de décision, autrement dit il sait déjà ce qui va l'intéresser ou pas avant qu'on ne l'ait vu. Cette donnée change fondamentalement tous les métiers. Et la tendance s'accélère.
La transformation numérique doit être inclusive de l'ensemble de la population, active ou non active, en particulier des cols bleus. En effet, l'étude lancée par Microsoft a montré qu'ils utilisent davantage la technologie dans leur cadre personnel que la moyenne des populations actives ou non actives, mais qu'ils sont relativement peu équipés – ils le sont le plus souvent avec des équipements fixes. Or tous admettent que les technologies pourraient leur apporter beaucoup dans l'exercice de leur métier au quotidien.
L'étude Microsoft-Ispos de 2010, menée auprès de 500 femmes françaises actives ou en recherche d'emploi, a mis en évidence des éléments qui sont toujours d'actualité. Ainsi, 53 % des femmes interrogées en recherche d'emploi estiment que leur situation professionnelle pourrait s'améliorer grâce aux technologies numériques. Parmi elles, 60 % déclarent n'avoir jamais bénéficié d'une formation au numérique. C'est tout l'enjeu de la fracture numérique, car une femme en recherche d'emploi ne sachant pas poster un CV sur Internet sera de facto exclue de 90 % des offres d'emploi proposées.
Ensuite, quatre femmes actives sur dix ressentent une moindre disponibilité dans le travail, en estimant ne pas pouvoir équilibrer convenablement leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Cette proportion augmente chez les mères d'un enfant de moins de quinze ans, à 56 %. En outre, pour 72 % d'entre elles, cette situation est causée par des contraintes de ménage et de gestion du foyer – et je ne crois pas que les choses aient changé depuis 2010…
Tous ces chiffres révèlent que les femmes perçoivent les bénéfices des nouvelles technologies pour améliorer leur situation professionnelle.
L'étude de 2010 a également dressé une typologie de profils.
Tout d'abord, les « femmes numériques », qui représentent 61 % de l'échantillon, sont bien équipées. Elles appartiennent plutôt à la catégorie des cadres et cadres supérieurs et sont très souvent confrontées à cet enjeu d'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.
Les « techno-demandeuses », 10 % de l'échantillon, pensent que la technologie pourrait leur apporter des bénéfices et elles sont très volontaires pour s'engager dans cette voie. La majorité d'entre elles est en recherche d'emploi.
Les « techno-défavorisées », qui représentent 12 % du panel, aimeraient bénéficier du numérique, mais éprouvent un réel sentiment d'incompétence et d'incapacité à pouvoir le faire.
Enfin, les « techno-sceptiques » – 17 % de l'échantillon – sont un peu perdues, elles ne voient pas comment elles pourraient accéder aux nouvelles technologies et ne pensent pas qu'utiliser le numérique pourrait leur permettre d'améliorer leur situation professionnelle.
Au-delà de cette étude, on ne peut pas dire que les femmes sont « handicapées » face au numérique : plus de 50 % des internautes sont des femmes, elles passent en moyenne 8 % de temps de plus que les hommes à surfer, et elles sont très souvent prescriptrices de l'achat sur Internet. En revanche, les statistiques montrent que les femmes sont sous-représentées dans les métiers des technologies de l'information et de la communication, à 17 %. C'est toute la question de l'accès des filles aux professions techniques.
D'ailleurs, lorsque nous essayons de mettre en place des dispositifs pour encourager les filles à s'orienter dans les voies scientifiques, nous constatons que les stéréotypes sont très ancrés et même entretenus. Les jeunes filles en terminale S qui ne s'engagent pas dans les parcours scientifiques sont malheureusement de plus en plus nombreuses – seules 8 % de jeunes filles ont été retenues pour la première promotion dans l'école 42 de Xavier Niel. Si davantage de femmes s'orientaient vers les métiers du numérique, cela permettrait à nos entreprises d'employer plus de collaboratrices dans ce secteur, ce qui contribuerait à faire tomber les stéréotypes.
Face à ce constat, nous avons plusieurs idées à formuler au travers de pratiques que nous avons mises en place.
D'abord, ma conviction est qu'il faut faire bouger les lignes au niveau de l'individu : la loi ne pourra pas tout devant ce changement sociétal fondamental. Il convient donc de mettre en place des règles du jeu, de donner des impulsions qui seront reprises par le plus grand nombre.
Ensuite, le télétravail est un vrai sujet. Nous avons mis en oeuvre un accord de télétravail sur une population très ciblée – nous avons une population de cadres –, tout en essayant de développer des pratiques de flexibilité au travail qui permettent à nos collaborateurs de travailler de façon beaucoup plus libre. Cette pratique oblige les managers à évoluer dans leur métier, car ils doivent être beaucoup plus clairs sur les objectifs qu'ils fixent à leurs collaborateurs dont ils ne devront pas juger l'efficacité à l'aune de leur présence dans l'entreprise. Cela n'est pas sans conséquence en particulier pour les femmes dont beaucoup souhaitent équilibrer leur vie personnelle et leur vie professionnelle autrement.
Il faut donner des impulsions pour que les jeunes filles elles-mêmes évoluent dans la façon dont elles perçoivent les métiers du numérique. Les jeunes filles de quartiers difficiles que nous accueillons pour leur montrer les perspectives offertes par les métiers du numérique pensent que le travail dans l'informatique implique de porter des lunettes, de rester posté derrière un écran et… d'être plutôt un garçon. C'est pourquoi nous venons de lancer les « colos numériques », des classes accueillies par des entreprises numériques pendant les vacances scolaires où les jeunes filles peuvent apprendre à coder. Il est clair qu'on ne peut pas s'en tenir aux formations traditionnelles ou au cursus traditionnels, autrement dit qu'il faut trouver d'autres modèles.
Enfin, l'enjeu de société est d'éviter la fracture numérique. Certaines personnes vivent en effet dans des zones non connectées et d'autres n'ont pas les moyens d'avoir un téléphone portable et une connexion. Pour avoir travaillé avec l'association Force femmes, je peux vous dire qu'il est très compliqué pour une femme de se réinsérer lorsqu'elle vit dans une zone éloignée, sans permis de conduire et sans ordinateur ou téléphone portable. Cela est vrai pour les hommes, mais surtout pour les femmes qui sont plus souvent dans cette situation.