Intervention de Jean-Paul Deneuville

Réunion du 20 décembre 2012 à 9h00
Mission d'information sur les coûts de production en france

Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers :

Je tenterai de vous exposer en quelques chiffres les caractéristiques du transport routier, avant de dresser un état des lieux. Je m'arrêterai enfin sur l'impact de ce mode de transport sur le fonctionnement de l'économie.

Globalement, le secteur du transport et de l'entreposage compte environ 90 000 entreprises réalisant un chiffre d'affaires de 190 milliards d'euros et dégageant une valeur ajoutée d'environ 80 milliards d'euros. Le transport routier seul représente 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour une valeur ajoutée de 40 milliards d'euros. La filière « poids lourds » dans son ensemble, c'est-à-dire du constructeur à l'utilisateur, représente 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus d'un million d'emplois en France. Ces chiffres démontrent que ce secteur est un acteur économique de première importance. C'est surtout l'un des tout premiers pourvoyeurs d'emplois « ouvriers » en France, puisqu'il se situe dans les cinq premiers secteurs employeurs. L'impact de cette activité est donc significatif, non seulement sur l'aménagement du territoire, mais également s'agissant de l'emploi dans les territoires, nos entreprises étant généralement situées en dehors des grandes villes. Elles sont de ce fait des interlocuteurs privilégiés des élus locaux.

Le secteur est aussi un contributeur fiscal atypique, puisque nous sommes 4,5 fois plus fiscalisés que la moyenne de l'économie européenne, et sensiblement plus fiscalisés que nos concurrents européens, du fait notamment de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, anciennement TIPP.

Comme toute activité de transport, qu'il s'agisse de l'aérien, du maritime ou du terrestre, le transport routier ne peut fonctionner harmonieusement que s'il est en surcapacité structurelle. Cela a deux conséquences directes : une concurrence très tendue et des marges faibles – en année normale, notre marge moyenne nette est de 1,5 %.

Quatrième point, cette activité est de par sa nature – la mobilité – confrontée plus que toute autre à la concurrence internationale, y compris sur le territoire national, concurrence encore accrue par l'élargissement de l'Europe et la libéralisation des marchés européens, toutes les restrictions de circulation des biens et des personnes étant considérées comme des entraves à la concurrence.

Nous prévoyons que notre secteur d'activité subira en 2012 une récession de 5,4 %, pour une hypothèse de croissance du PIB de 0,3 % ; en 2013, la baisse devrait être de 1,6 %, pour une hypothèse de croissance du PIB, plutôt optimiste, de 0,8 %. L'année 2012 aura été pour nous celle d'un nouveau choc énergétique, avec une augmentation du prix du gazole de 9 %, après une hausse de 16,5 % du prix de l'énergie en 2011. Ce poste représentant 25 % de nos coûts, cette augmentation aura un impact très significatif sur l'équilibre de notre secteur.

Nous évoluons par ailleurs dans un contexte de concurrence fiscale et sociale très inégalitaire, qui nous vaut un lourd déficit de compétitivité, en particulier par rapport à nos voisins immédiats. À titre d'exemple, l'heure de conduite coûte 30 % moins cher en Allemagne – et je ne parle que des Länder de l'Ouest. D'où ce constat assez cruel : en un peu moins de vingt ans, le pavillon routier français a chuté de 67 % à l'international. Autre chiffre significatif, nos véhicules ne représentent plus que 17 % du trafic routier d'importation et d'exportation sur notre territoire.

L'enquête annuelle réalisée par la Banque de France, en liaison avec les services de la FNTR, sur la situation du transport routier indique que 18 % des entreprises de notre secteur, représentant près d'un tiers des effectifs, présentent un risque élevé de défaillance à court terme.

C'est dans ce contexte que va prochainement intervenir la mise en place de la taxe poids lourds. Cette taxe devrait rapporter 850 millions d'euros à l'État et 200 millions d'euros aux collectivités locales. L'administration estime que cette taxe entraînera pour notre secteur un surcoût de 350 millions d'euros du fait du report du trafic vers les autoroutes concédées. Devraient s'ajouter pour nos entreprises 180 millions d'euros de charges administratives, financières, techniques et organisationnelles. Les frais de collecte s'élèveront à 230 millions d'euros. L'État devrait enfin bénéficier d'une recette supplémentaire de TVA d'environ 200 millions d'euros. On voit que le coût de la taxe poids lourd dépasse très largement les 700 millions d'euros de marge nette dégagée annuellement par notre secteur. Il faut préciser que cette taxe sera acquittée à 75 % par les entreprises françaises, selon les chiffres du ministère des transports.

Outre le choc économique pour notre secteur, le mode de collecte retenu constitue une difficulté supplémentaire : le système de géolocalisation mis en place utilisera 4 100 péages virtuels répartis sur des sections de tarification de 3,8 kilomètres en moyenne, et générera 3,6 milliards de lignes de facturation par an. C'est une véritable usine à gaz.

Selon la volonté du législateur exprimée dans la loi Grenelle I, cette taxe doit être répercutée sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise. Nous sommes en train de discuter avec le ministre des transports des modalités de mise en oeuvre de ce principe, de façon que la taxe aboutisse à un renchérissement du transport routier et non à un simple alourdissement des coûts de nos entreprises, lequel serait absorbé par le marché non harmonisé au profit de concurrents étrangers, faisant ipso facto perdre à cette taxe toute valeur environnementale.

Ce que notre secteur attend aujourd'hui, c'est d'abord, compte tenu de la nature même de notre activité, une meilleure harmonisation européenne. Deuxièmement, il est impératif d'améliorer notre compétitivité dans un marché de plus en plus européen et de plus en plus dérégulé. La comparaison avec nos concurrents immédiats – Allemagne, Pays-Bas et Belgique notamment – montre sans contestation possible que l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises passe par une réduction du coût du travail. Nous souhaitons enfin un environnement réglementaire stable et lisible. L'organisation de nos entreprises est en effet régulièrement bouleversée par la nécessité de s'adapter aux changements de réglementation. À titre d'exemple, au cours de la seule année 2013, nous devrons changer la configuration de nos 44 tonnes, assurer l'affichage des émissions de CO2, ce qui ne sera pas une mince affaire, et acquitter la taxe poids lourds. En outre nos véhicules seront à compter du 1er janvier 2014 soumis aux normes Euro 6.

Je voudrais, pour finir, souligner deux caractéristiques essentielles du transport routier. Premièrement, il est le sang qui irrigue notre économie : il ne peut pas y avoir d'économie performante si les marchandises ne sont pas acheminées au bon endroit à la bonne date. Deuxièmement, le transport routier est le véritable transport collectif de marchandises. La profession de transporteur ne se réduit pas à la capacité de faire rouler des camions : il s'agit de mettre à disposition les marchandises au moyen des techniques les plus performantes. Or, le transport routier est la technique de transport la plus adaptée à la plupart des cas, par sa souplesse, sa rapidité, sa capacité d'acheminer la marchandise de porte à porte. Cela dit, nous sommes demandeurs de modes de transport, non pas concurrents mais complémentaires, tels que le transport combiné.

Il faut ajouter à cela que le transport routier n'est pas cher puisqu'il représente en moyenne 2,5 % du coût des marchandises transportées, ce qui pousse à la délocalisation.

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