Intervention de Jean-Denis Combrexelle

Réunion du 4 novembre 2015 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Denis Combrexelle :

Tous les pays utilisent un peu les trois ; ils se différencient les uns des autres par l'importance relative qu'ils accordent à chaque élément.

M. Robiliard s'est étonné que les libéraux défendent la convention collective plutôt que le contrat de travail. Mais, selon la ligne majoritaire au sein de l'Union européenne – le débat est très présent dans le cadre de la révision de la directive sur le temps de travail –, les protections collectives, qui se justifiaient dans le contexte de la révolution industrielle, sont aujourd'hui rendues inutiles par l'élévation du niveau culturel des salariés, de sorte que la régulation doit désormais se faire au niveau du contrat de travail. On aboutit ainsi à une situation très paradoxale dans laquelle les deux extrêmes se rejoignent autour de la défense du contrat de travail. Dans mon rapport, j'estime que la loi doit rester la gardienne des grands équilibres et des grandes protections, que le contrat de travail doit également jouer son rôle, mais que le centre de gravité de la régulation est la négociation collective. Je n'ai pas une vision idyllique du dialogue social, mais, si l'on estime que la faiblesse des organisations syndicale est telle que la négociation collective ne peut pas occuper cette position centrale, que reste-t-il ? La loi et le contrat de travail, c'est-à-dire le juge. Peuvent-ils tout régir ? La question est posée. En tout état de cause, le choix n'est pas très étendu. Il me semble qu'en dépit de toutes les difficultés et de l'appréciation que l'on peut porter sur les organisations syndicales et professionnelles, le choix doit plutôt se porter sur la négociation collective, d'autant que c'est le pari qu'ont fait des pays qui n'ont pas trop mal réussi au plan économique.

Par ailleurs, ne me faites pas dire, monsieur Sirugue, que l'emploi doit primer sur tout le reste. J'ai été, pendant treize ans, directeur général du travail au ministère de l'emploi et du travail, et pendant ces treize années, j'ai dit à mon collègue délégué à l'emploi que, si la question de l'emploi était importante, la qualité et la protection du travail étaient également essentielles. Je n'ai pas changé d'avis. Ce que je dis, c'est que, sur la question particulière des rapports entre accords collectifs et contrat de travail, les accords qui visent à protéger l'emploi doivent prévaloir sur le contrat de travail. C'est tout ! Il n'est pas question pour moi de faire passer à la trappe toutes les protections au nom de l'emploi. Il ne faut pas opposer le travail à l'emploi : les entreprises les plus compétitives, c'est-à-dire celles qui embauchent le plus, sont peut-être également celles qui ont le plus réfléchi à la qualité des conditions de travail de leurs salariés.

M. Cherpion m'a interrogé sur les lois Fillon du 4 mai 2004 et Bertrand du 20 août 2008. Il s'agit de lois essentielles. La première, qui « autonomise » l'accord d'entreprise par rapport à l'accord de branche, n'a pas été appliquée. En effet, si vous interrogez les DRH des grands groupes – je parle de ceux qui ont une vision sociale –, la plupart d'entre eux reconnaîtront, s'ils sont honnêtes avec vous, qu'ils négocient les accords d'entreprise en aveugle, c'est-à-dire sans vérifier que l'accord de branche les y autorise. Quant à la loi du 20 août 2008, qui va plus loin, puisqu'elle procède à une sorte d'inversion des normes en faisant primer l'accord d'entreprise en matière de temps de travail, on constate qu'elle n'est pas non plus utilisée.

Dans les deux cas, ces lois ont été discutées, votées, et cela n'« embraye » pas. C'est pourquoi il faut beaucoup insister sur la lisibilité et la compréhension du code du travail. Même les DRH des plus grandes entreprises, celles dont les services juridiques sont les plus performants, ne parviennent plus à suivre. Ce n'est donc pas uniquement une question de formation : le flux législatif et jurisprudentiel est tel, que même les grandes entreprises sont en difficulté. Il faut changer de méthode.

Peut-on faire plus, m'a demandé M. Cherpion ? Le projet de loi de Mme El Khomri montrera, je pense, en quoi on peut négocier davantage qu'aujourd'hui sur les questions de temps de travail, par exemple. Dans ce domaine, des champs importants qui relevaient jusqu'à présent de la loi ou du règlement peuvent être transférés à la négociation.

Il est vrai, monsieur Vercamer, que de nombreux rapports sortent actuellement. Je crois qu'ils témoignent d'une prise de conscience collective. Chacun de leurs auteurs a sa sensibilité propre, mais tous constatent une sorte de découplage entre la vie économique et sociale et notre code du travail. Il n'est pas anodin, d'un point de vue politique et sociologique, que plusieurs personnes réfléchissent actuellement à ces questions.

La formation des DRH est-elle suffisante ? Non. L'ensemble des dirigeants doivent, selon moi, être formés à ces questions. J'ai de bonnes raisons de penser qu'en matière de management et de dialogue social, la formation des écoles de commerce, des écoles d'ingénieurs et de certaines écoles prestigieuses de la fonction publique est lacunaire. Il ne suffit pas de faire venir pendant trois jours un cabinet qui dispensera une prétendue formation en management pour faire des dirigeants des adeptes du dialogue social. Au-delà de mon rapport, la véritable question est celle de savoir si les dirigeants, qu'ils soient commerçants, ingénieurs ou fonctionnaires, considèrent qu'ils font mieux tourner la structure dont ils ont la responsabilité en pratiquant le dialogue social ou en affichant une forme de mépris pour leurs personnels. Je ne suis pas un adepte de tout ce qui se fait en Allemagne mais force est de constater que la relation entre dirigeants et salariés y est différente de ce qu'elle est en France.

M. Vercamer m'a interrogé sur l'application des accords erga omnes. Pour inciter les salariés à se syndiquer, une solution a été adoptée en Scandinavie qui consiste à prévoir que les accords négociés par les syndicats ne profitent qu'aux adhérents de ces syndicats. Mais, outre qu'elle est assez radicale, une telle solution soulèverait, me semble-t-il, des problèmes constitutionnels.

S'agissant des propositions nos 24 et 25, qui visent à limiter le flux législatif, elles sont motivées par le constat, je l'ai dit, que même les plus grandes entreprises peinent à suivre l'évolution de la réglementation. Il est bien évident que c'est encore plus difficile pour les chefs de petites entreprises. C'est du reste la raison pour laquelle certaines professions, notamment les experts-comptables – qui conseillent souvent les petits commerçants en matière sociale –, prennent une place très importante dans l'appropriation du droit du travail. Je me souviens qu'il y a quelques années de cela, trois lois sur l'épargne salariale ont été votées en l'espace de quelques mois. Dès lors, il ne faut pas s'étonner que la réglementation dans ce domaine ne soit comprise que par une centaine de spécialistes en France et qu'elle soit très éloignée de l'intention initiale, qui était de favoriser l'intéressement et la participation.

Quel est mon sentiment sur les 35 heures ? Celles-ci ne sont, comme je le rappelle dans mon rapport, que le seuil de déclenchement de la majoration des heures supplémentaires. La loi du 20 août 2008 a déjà considérablement ouvert le champ de la négociation en matière de temps de travail, et cette possibilité n'a pas été utilisée. Les partenaires sociaux souhaitent-ils négocier sur la question du temps de travail ? Voilà la véritable question. Comme le dit M. Mettling dans son rapport, nous assistons à un bouleversement complet des méthodes et de l'organisation du travail, de sorte que la question qui se pose est celle de savoir si les cadres peuvent négocier des forfaits-jours et les salariés une adaptation de leur temps de travail. Les 35 heures ont peut-être une très grande importance politique, mais elles ne sont pas forcément au centre de tout.

Par ailleurs, on m'a interrogé sur la multiplication des accords qui résulterait du rôle central conféré à la négociation collective. Dans mon rapport, je ne parle jamais de simplification ; je préfère évoquer une réécriture ou une clarification du code du travail. De fait, le renvoi à la négociation n'est pas forcément un signe de simplification. Il y a là un choix très politique à faire, qui relève du Parlement, entre le maintien du système actuel, c'est-à-dire une règle uniforme fixée par la loi pour toutes les entreprises, et une diversité de règles adaptées à la variété des attentes des salariés et des situations des entreprises. Dans le second cas, il faut admettre une certaine forme de complexité. Lorsque la journée de solidarité a été instituée, soit on imposait à tous le lundi de Pentecôte, soit on laissait chaque entreprise choisir une journée dans le cadre d'une négociation. En France, renvoyer à la négociation à l'échelle de l'entreprise est perçu comme un facteur de désordre. Mais le choix doit se faire entre l'uniformité et la diversité.

Il en va de même pour le référendum. Celui-ci aboutit à « court-circuiter » les syndicats. Il peut y avoir de bonnes raisons de l'instituer mais, là encore, il faut choisir : soit la régulation se fait par l'intermédiaire de syndicats représentatifs, soit elle se fait en recourant à la démocratie directe au sein de l'entreprise. On ne peut pas choisir l'un et l'autre, car la démocratie directe aboutit, de fait, à fragiliser les syndicats. Or, j'ai pu constater, en tant que directeur général du travail, que, dans les situations les plus délicates, tout le monde, Gouvernement et chefs d'entreprise, était bien content de pouvoir discuter avec des syndicats responsables. Il faut être cohérent : on ne peut pas, d'un côté, vouloir renforcer les syndicats et la négociation collective et, de l'autre, choisir le référendum.

Je ne connais pas les propositions de la ministre du travail, mais il me semble qu'elles consistent à appliquer dans un champ particulier les propositions contenues dans mon rapport.

Enfin, comme l'a dit Mme la présidente, le droit du travail se construit, de fait – et nous en sommes tous responsables –, en référence aux grandes entreprises, ne serait-ce que parce que leurs DRH sont davantage présents et que les organisations professionnelles sont plus proches de ces grandes entreprises. On construit ainsi le code du travail en ayant en tête une entreprise de 1 000 personnes, dont le patron et le DRH veulent faire les choses intelligemment, avec des syndicats qui jouent le jeu. Aussi s'aperçoit-on, lorsqu'il s'agit d'appliquer cette belle règle au petit commerce, que cela ne fonctionne pas ; on crée alors un seuil. Toute la difficulté est de construire un code du travail qui ne parte pas toujours de la grande entreprise, mais parfois aussi de la petite. En tout état de cause, les branches doivent, selon moi, être prestataires de services pour ces petites entreprises en partant de leur situation.

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