Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 12 novembre 2015 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2016 — Après l'article 47

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Cet amendement présenté par le groupe socialiste est très fortement soutenu par le Gouvernement. Au-delà de cette unanimité – ou presque, mais j’apporterai quelques éléments de réponse pour vous rassurer, monsieur de Courson –, restent plusieurs questions.

Première question : devons-nous faire tout le BEPS mais rien que le BEPS, ou plus encore que le BEPS ? Je propose, et c’est une avancée absolument considérable qui était souhaitée par beaucoup d’entre vous depuis des années, que nous marquions par le vote de cet amendement la volonté du Parlement français, et le nombre de ceux qui le soutiennent montre que c’est celle de la France, de mettre en oeuvre des dispositifs de cette nature. Notre pays a été très mobilisé pour entraîner les autres pays. Ne croyez pas que tout le monde était volontaire : les obstacles étaient extrêmement nombreux, et des pays très importants du point de vue économique, parfois même le plus important, traînaient les pieds. Mais nous avons fini par emporter leur conviction.

Et puis il y a la question de la coordination – votre référence à la loi bancaire était quelque peu tordue si je peux me permettre, monsieur le président Carrez, car c’est un autre sujet. Il y a des débats au niveau européen : certains disent qu’il faut prendre les mesures avant les autres car cela va pousser l’Europe à aller dans ce sens. Mais l’exemple pris par le président Carrez montre que même si on agit avant les autres, ce n’est pas pour autant toujours adopté au niveau européen, et on se trouve alors dans une situation assez particulière. Dans la loi bancaire, s’agissant des entreprises, il est d’ailleurs prévu la publicité mais dès lors que ce sera acquis dans les autres pays de l’Union. Je propose donc qu’on s’en tienne à ce qui a été voté à l’époque.

Dès lors qu’il y aura accord au niveau européen, nous serons alors favorables à la mise en place de cette publicité. Je vois bien le raisonnement consistant à assimiler publicité et obligation morale, voire au-delà, pour les entreprises de s’y conformer. Mais la déclaration publique n’a pas ce seul objet : elle contient un certain nombre d’informations très importantes sur l’activité même de l’entreprise. Par conséquent, s’il n’y a pas une réciprocité très large ou si seules les entreprises françaises donnent des informations sur leur activité – je ne parle pas en l’occurrence de leur manière de passer outre au paiement de l’impôt –, cela risque de créer pour elles de réelles difficultés.

C’est la raison pour laquelle j’estime, même si je comprends parfaitement l’état d’esprit de ceux qui le souhaitent, que mettre en place un tel dispositif aujourd’hui sans qu’il le soit aussi au niveau européen mettrait notre pays en difficulté sans lui donner une force supplémentaire pour convaincre les autres. La France est très puissante, très intelligente, mais elle ne parvient pas toujours à faire partager immédiatement son point de vue à tout le monde. Je vous demande d’avoir ce réalisme positif, plein d’ambition et d’optimisme qui nous permettra de continuer à avancer sans nous mettre en difficulté.

Enfin, restent quelques questions d’ordre juridique.

Un paragraphe de l’amendement répond à vos interrogations, monsieur de Courson : « Une personne morale établie en France qui est détenue ou contrôlée, directement ou indirectement, par une personne morale établie dans un pays ou territoire ne figurant pas sur la liste mentionnée […] » serait tenue au dépôt de la déclaration. Il est donc prévu que cette obligation s’applique aux entreprises que vous avez décrites.

Vous vous demandez aussi ce qui se passera si tous les pays ne sont pas d’accord, ne se donnent pas la main pour lutter contre la fraude fiscale. Mais que faisons-nous déjà dans le cadre de la lutte contre la détention à l’étranger d’avoirs non déclarés ? Nous allons aboutir à un accord international, mais il était déjà nécessaire de voter les dispositions législatives. Il en en va de même aujourd’hui. Tous les pays du monde ne signeront pas, mais tout l’OCDE, dont les pays du G20, cela commence tout de même à faire beaucoup de monde. J’ajoute qu’avec l’accord sur les transferts d’informations – comme pour celui sur les comptes des foyers –, la dissuasion va jouer : je peux vous assurer que les pays qui ne sont pas aujourd’hui signataires de ces conventions commencent à en sentir les conséquences. Il faudra être déterminé pour que ces pays ne puissent plus être des lieux d’implantation légaux d’un certain nombre d’activités pour les pousser à s’y rallier parce que c’est ce qui a été signé le plus grand nombre de pays. C’est ainsi que nous allons progresser : les dispositions législatives nécessaires pour adapter notre droit à la réforme ; la convention internationale parce qu’on ne la fait pas dans un seul pays ; enfin, la mise sous pression, pas seulement morale puisqu’il y aura aussi des conséquences financières très fortes. Tous les pays de la planète en viendront ainsi à respecter des règles qui, au bout du compte, sont aussi dans leur intérêt à eux.

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