Pour répondre à votre première question, il me paraît logique que les autres constructeurs n'aient pas été au courant de la tricherie. D'abord, elle est apparue aux États-Unis qui ne sont pas le territoire vers lequel nos constructeurs – à l'exception de grands équipementiers – sont le plus tournés. Ensuite, il ne faut pas oublier que dans l'industrie automobile la succession des normes s'est accélérée – ce n'est pas une critique mais un fait –, si bien que ces mêmes industriels ont le nez dans le guidon. Nous sortons d'une crise plus qu'importante. J'ai travaillé dans le secteur des poids lourds qui a tout de même subi une baisse de 63 % de son activité en volume – et même de 80 % dans le secteur du chantier. Il faut donc gérer l'après-crise. Il nous faut répondre à un besoin d'innovation fort – on évoque beaucoup les normes antipollution mais il ne faut pas oublier la multiplication des normes relatives à la sécurité des véhicules ainsi qu'au bruit qu'ils émettent. En outre, mon expérience personnelle, en tant que patron chez un constructeur, de la stratégie de la marque et des gammes, et aussi du plan relatif aux services et à la garantie, me permet de vous assurer qu'on n'ira pas chercher les informations de ce type sur les autres constructeurs et qu'on ne les écoutera pas non plus.
Je n'ai pas lu dans le détail l'enquête d'Auto Plus puisque je suis chargé de l'ensemble de l'écosystème industriel automobile français et que l'on ne compte, parmi les 5 000 entités dont je m'occupe, que deux constructeurs principaux mais les trois ou quatre autres constructeurs implantés sur le territoire national ne devant évidemment pas être négligés. Je ne suis donc pas forcément focalisé sur ces questions. On sait qu'il existe un écart entre le niveau d'émissions constaté par l'usager et celui qui est enregistré dans le cadre du cycle d'homologation. Quant à savoir si cet écart a augmenté, plus on adopte de normes Euro 4, Euro 5 et Euro 6, plus les conditions dans lesquelles sont testés les véhicules sont sévères de sorte que cet écart ne tend pas à diminuer. En revanche, le niveau global d'émissions, lui, baisse : un usager qui effectuait le trajet de Paris à Nantes avec un véhicule des années 1990 et qui refait ce même trajet aujourd'hui, qu'il roule à l'essence ou au diesel, notera une forte baisse de la consommation de son véhicule alors même que ce dernier est beaucoup plus confortable, plus sûr et bien mieux équipé qu'à l'époque. Quant aux émissions de particules PM10 et PM2.5, elles sont 50 % moindres, alors même que le parc roulant a augmenté de 40 %. C'est en raison de ces écarts que WLTP et RDE sont des normes importantes et que les industriels français soulignent depuis le début de l'année la nécessité de les adopter le plus tôt possible – même si d'autres pays automobiles auraient préféré se donner encore un peu de temps pour réfléchir. Nous n'avons jamais été opposés à l'évolution des normes. Simplement, nous souhaitons avoir le temps de faire les travaux de recherche-développement nécessaires pour y répondre dans l'ensemble des gammes. Car tout comme les villes et les États, les constructeurs ont des obligations à respecter en termes d'émissions de leur flotte – telles que la norme Corporate Average Fuel Economy (CAFE) en 2021. Si un fournisseur a dix clients différents – équipementiers ou constructeurs –, cela représente une charge importante de R&D.
Quant à faire évoluer l'architecture des véhicules, les projets foisonnent mais sans succès pour le moment car encore faut-il trouver des solutions qui soient économiquement viables. Cela reste malheureusement difficile pour les véhicules adaptés à un seul usage. Il faut en effet veiller au business model de l'engineering en vérifiant si l'on produira des véhicules en quantité suffisante pour que cette production soit économiquement réaliste. Il convient aussi de s'assurer que la vie du véhicule sera performante : il se peut très bien qu'un véhicule très spécialisé trouve peu d'acheteurs. Si les changements sont certains, ils porteront principalement, selon nous, sur le véhicule autonome qui représente une rupture tant du point de vue de l'architecture, de l'habitacle et de la responsabilité que sur le plan sociétal. Il existe déjà dans nos gammes, européennes ou ailleurs dans le monde, de nombreux véhicules deux places. Mais on ne peut reproduire l'expérience de la Nano de Tata qui s'est soldée par un véritable échec.