Intervention de Arnaud Leroy

Réunion du 27 octobre 2015 à 16h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Leroy, rapporteur :

Cette proposition de loi fait suite au rapport sur la compétitivité des services et transports maritimes que j'ai remis, en novembre 2013, au Premier ministre Jean-Marc Ayrault et au ministre français délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, Frédéric Cuvillier. Une grande partie du titre Ier reprend les vingt-six propositions que j'y avais émises. Le texte s'inspire aussi du travail accompli depuis 2013 ainsi que des nombreuses auditions que j'ai menées. Comme je l'avais annoncé lors du débat sur la politique maritime de la France, qui s'est tenu dans l'hémicycle le 14 janvier dernier à la demande du groupe de l'Union des démocrates et indépendants, il s'agit d'une proposition de loi sur l'activité maritime au sens large. Elle ne se limite pas au transport maritime mais englobe l'ensemble des secteurs concernés. Autrement dit, c'est un texte sur l'économie bleue.

Lors des ateliers de la croissance bleue, nous avons entendu l'ensemble des acteurs impliqués de près ou de loin dans les activités liées à la mer : armateurs, syndicats, pêcheurs, ostréiculteurs, conchyliculteurs, exploitants en aquaculture, professionnels de la plaisance, spécialistes des énergies marines renouvelables (EMR) et exploitants de plages privées. Ces nombreuses auditions ont permis de bâtir une proposition de loi qui vise à répondre aux besoins des divers secteurs en termes de simplification, de clarification et parfois de financement. Elles ont également démontré la nécessité d'une approche globale qui s'impose au regard de la fragilité de l'espace maritime et de la complexité de faire vivre ensemble diverses activités.

Ce texte tente aussi de mettre en place une approche équilibrée entre les besoins de l'activité économique et les nécessités du développement durable et de la protection de l'environnement. Nous avons l'ambition d'encadrer ce que le jargon désigne sous le nom de « conflits d'usage ». En la matière, nous n'en sommes qu'au tout début.

Le report d'examen de la proposition de loi en séance publique au mois de février nous laissera un délai pour creuser plusieurs questions comme celles de la recherche, de la planification ou de la pêche de loisir.

La majorité a très tôt « embarqué » les projets pour faire avancer cette thématique. Le candidat François Hollande s'était engagé fortement vis-à-vis du monde de la mer dans un document intitulé Le défi maritime français. Par touches successives, nous avançons dans les pas de nos partenaires européens, et nous travaillons à l'élaboration d'une vraie politique maritime afin de tirer de ces espaces un bénéfice économique mais aussi stratégique. Je connais les longs combats menés par certains d'entre vous pour la conservation d'espaces qu'ils refusent de voir brader, tel que l'île de Tromelin dans l'Océan indien. Au début du mois, l'extension des limites extérieures du plateau continental français a permis à notre pays de gagner 580 000 kilomètres carrés. C'est une bonne nouvelle, mais la question se pose immédiatement : pour quoi faire ? Nous devrons aussi traiter de façon précise la question des outre-mer qui constituent un véritable gisement d'économie bleue avec des savoir-faire et des besoins en emplois. Je remercie d'ailleurs Serge Letchimy pour son aide dans l'élaboration des parties de la proposition de loi relatives à ce sujet.

Pour la France, l'économie maritime au sens large représente plus de 300 000 emplois directs, et 60 à 70 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. En Bretagne, elle pourvoit directement 60 000 emplois. C'est dire l'importance de ce secteur, de façon générale mais aussi pour la structuration de certains territoires côtiers. Nous devons, en conséquence, être à son écoute.

J'en viens aux dispositions proprement dites de la proposition de loi.

Le titre Ier comporte une série de mesures visant à renforcer la compétitivité des entreprises d'armement maritime et la protection des gens de mer. Nous devons sauvegarder des emplois qualifiés qui ont une réelle importance pour l'ensemble de notre économie. Il faut savoir que des marins travaillent aussi pour les ports, les compagnies d'assurance, les sociétés de classification, les cabinets d'avocats ou l'administration. Je milite pour que nous conservions un vivier de 20 000 marins certifiés en activité pour irriguer l'ensemble de notre économie.

Dans la lignée des propositions formulées dans mon rapport de 2013, intitulé Osons la mer, le premier chapitre du titre Ier vise à mettre en oeuvre une série de mesures de simplification administrative.

L'article 1er simplifie le jaugeage des navires. Certaines des dispositions figurant dans la rédaction initiale de l'article seront reprises dans des articles additionnels. Elles concernent notamment les règles relatives à la radiation d'office du pavillon français ainsi que la délivrance d'un document unique pour l'acte de francisation et l'acte d'immatriculation, qui relèvent de deux administrations différentes. Nous héritons, sur ces questions, d'une dualité administrative qui faisait intervenir les douanes et l'administration des transports.

L'article 2 procède à une réforme du rôle d'équipage, qui simplifie l'embauche des marins tout en préservant les droits de ces derniers. La fusion du rôle d'équipage et du permis de circulation aboutit à la création d'un « permis d'armement » recentré sur l'aspect régalien. Pour les marins, un « état des services » établira la liste des périodes embarquées, qui permet de renouveler les brevets. Il reprendra la fonction que le rôle d'équipage remplissait pour le régime social des marins (ENIM) et la consignation des périodes embarquées. Par ailleurs, contrairement à l'ancien rôle d'équipage, l'état des services pourra être établi pour un ou plusieurs navires exploités par un même armateur. Il s'agit d'un grand pas pour le management des ressources humaines dans les entreprises concernées.

Le chapitre II du titre Ier propose un ensemble de dispositions permettant de dynamiser la gouvernance des grands ports maritimes en donnant une place aux nouvelles grandes régions. Sur l'ensemble des façades maritimes, nous encourageons la réflexion en termes d'axe, telle qu'elle existe pour l'axe Le Havre-Rouen-Paris. Ces propositions sont faites à structure constante : nous ne créons pas de « comité Théodule », mais nous privilégions le travail en cours au sein des conseils de développement afin de gagner du temps et de répondre au besoin de dialogue qu'ont exprimé les industriels concernés.

Le chapitre III comporte une série de mesures permettant de renforcer l'employabilité des gens de mer et leur protection. Pour des raisons de cohérence rédactionnelle, les dispositions des articles 4 et 5 font l'objet d'un déplacement au sein du titre Ier. L'article 6 raffermit le droit des autorités à demander la présentation de la liste d'équipage. L'article 7, dans la nouvelle rédaction qui vous est proposée, permet aux fonctionnaires des affaires maritimes de procéder au contrôle de l'application des dispositions « pays d'accueil ». Le secteur maritime est touché de plein fouet par le dumping social et nous devons être collectivement particulièrement vigilants afin de ne pas fragiliser certains bassins d'emplois. Ce dumping n'est plus seulement le fait des pavillons exotiques, autrefois dits « de complaisance », il est désormais intra-communautaire. J'insiste sur la nécessité d'être vigilant à cet égard : si nous voulons conserver des emplois et assurer la présence maritime française dans les années à venir, nous avons besoin de règles fermes dont nous puissions vérifier l'application. Dans cette perspective, l'article 7 a également pour objectif de faciliter les échanges d'informations entre les services des affaires maritimes et l'inspection du travail, qui reste compétente pour l'ensemble des contrôles sur les navires battant pavillon français. L'article 8 permet à tous les pêcheurs à pied d'être intégrés au régime social des marins, ce qu'ils demandent depuis 1997. Je considère que, tout en conservant une spécificité maritime, il est possible d'assouplir le lien nécessaire entre le fait d'être embarqué et le bénéfice de l'affiliation à l'ENIM. L'article 9 procède à des ajustements techniques des dispositions « Pays d'accueil », visant à renforcer leur applicabilité.

Le chapitre IV comprend trois mesures visant à renforcer l'attractivité du pavillon français. L'article 10 propose l'ouverture du registre international français (RIF) à la grande pêche ainsi qu'aux navires de plaisance professionnelle de plus de quinze mètres. Un article additionnel, qui reprend une mesure présentée initialement dans ce même article, permettra aux armateurs de procéder au calcul de la proportion de marins communautaires à l'échelle de leur flotte sous RIF, et non plus navire par navire. Cette disposition doit favoriser la gestion de la main-d'oeuvre et renforcer l'employabilité des marins français.

L'article 12, enfin, accorde aux ferries et aux navires de croisière des avantages dont bénéficient déjà beaucoup de leurs concurrents. Il leur permet d'ouvrir au public des locaux spéciaux où seraient pratiqués certains jeux de hasard. Osons prononcer les mots de « casinos » et de « machines à sous » ! Si nous voulons qu'une filière croisière sous pavillon français survive, nous devrons avoir ce débat, et ne pas nous interdire ce que l'ensemble de nos concurrents s'autorisent déjà.

Le nouveau chapitre V du titre Ier regroupe l'ensemble des mesures de la proposition de loi visant à renforcer la sûreté et à la sécurité maritimes, actuellement dispersées entre plusieurs articles de la proposition de loi. Il modifie l'article L. 616-1 du code de la sécurité intérieure pour augmenter la durée de l'autorisation d'exercice provisoire accordée aux entreprises privées de protection des navires.

Il propose également de créer, à partir de l'ancien article 4, un dispositif similaire à celui permettant le recours aux sociétés privées de protection des navires dans les zones où existent des menaces de piraterie. Celui-ci viserait spécifiquement les zones où sont identifiés des risques de terrorisme, qui seraient définies par arrêté. Toutefois, par rapport au dispositif existant, la mesure inclut les navires à passagers de moins de vingt-quatre mètres lorsqu'ils ne transportent pas de passagers ainsi que les navires à passagers de plus de vingt-quatre mètres.

Il prévoit aussi de créer un dispositif permettant aux navires battant pavillon français d'être affectés à une flotte à caractère stratégique en temps de crise, pour assurer la sécurité des approvisionnements de toute nature – nous ne nous limitons pas aux produits pétroliers. À la suite des discussions que nous avons eues dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique, je propose, par ailleurs, de modifier les obligations de capacité de transport sous pavillon français pour les assujettis à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur des produits pétroliers.

Le titre II réunit les mesures relatives aux pêches maritimes et aux cultures marines. II convient de souligner la place nouvelle qui serait donnée aux aquaculteurs dans les premiers articles du code rural. L'article 15 vise à mieux définir l'exercice de l'aquaculture. Cette définition fait l'objet d'un amendement. La refonte de la définition de la société de pêche artisanale dans le sens d'une plus grande ouverture est essentielle afin de développer cet outil.

L'article 16 tend à demander deux rapports importants, dont l'un portera sur le développement du pescatourime pour les pêcheurs au sens large et pour les aquaculteurs. Un amendement est également déposé sur ce sujet.

L'article 18 vise à mieux intégrer les préoccupations de préservation de la qualité des eaux conchylicoles dans diverses dispositions du code de l'environnement. Le but étant de simplifier et non de complexifier, des amendements feront en sorte qu'elles s'insèrent mieux dans les dispositifs existants. Une disposition ainsi qu'une proposition d'article additionnel visent à prévoir que les schémas de cohérence territoriale (SCOT) sont compatibles avec les mesures prévues dans les schémas régionaux de développement de l'aquaculture marine (SRDAM).

Le titre III porte diverses dispositions. L'article 19 permet l'assurabilité des projets d'EMR en les exonérant des dispositifs légaux d'assurance au titre des catastrophes naturelles et du terrorisme. Cela ne signifie pas que les installations concernées ne seront pas protégées au titre de ces risques ; elles le seront par des dispositifs particuliers issus du monde des assurances maritimes.

L'article 20 a pour objet de permettre aux entreprises ayant une activité internationale d'établir leur comptabilité en devises. Nous avons longuement discuté de ce sujet avec les douanes et d'autres services de Bercy. Des évolutions sont à prévoir. Compte tenu des implications très larges de la mesure proposée et des décisions récentes – quoique non encore applicables – prises par l'autorité des normes comptables en matière de couverture des risques de change, je défendrai un amendement visant à supprimer cet article. Cela ne doit pas nous empêcher de garder un oeil sur ce sujet qui concerne particulièrement les entreprises soumises à la concurrence internationale.

L'article 21 tire les dernières conclusions législatives du processus d'adossement du Crédit maritime mutuel au groupe BPCE.

L'article 22 prévoit que les restaurateurs affichent sur leurs cartes le pays d'origine ou la zone de pêche des produits aquatiques distribués.

Enfin, l'article 23 demande la remise d'un rapport au Parlement sur la création d'un code de la mer, car le portage politique des sujets liés à la mer souffre d'un véritable émiettement. J'ai constaté que l'action de certains grands ministères était souvent adossée à un code. Un tel document pourrait contribuer à mener une politique plus efficace. Il serait aussi un facteur de simplicité pour les utilisateurs qui pourraient, par exemple, avoir accès à un portail internet. Nous travaillons sur la question.

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