Intervention de Michel Costes

Réunion du 4 novembre 2015 à 12h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Michel Costes, président du cabinet Inovev :

Avant de répondre à vos questions, Madame la présidente, je me propose de dresser un état des lieux du marché automobile français, autrement dit les véhicules vendus en France et roulant en France, et de la production automobile des constructeurs français.

Permettez-moi, en guise d'introduction de dire quelques mots d'Inovev, société indépendante à base de capitaux privés indépendants, dont les actionnaires sont des individus. Ses clients sont principalement européens et asiatiques. Inovev a été fondée récemment, en 2010, mais son équipe dirigeante est composée d'experts de l'industrie automobile, le plus âgé et le plus jeune d'entre eux ayant respectivement une expérience de quarante et de dix ans dans ce secteur – il s'agit de moi-même et de M. Jamel Taganza qui m'accompagne.

Les membres de l'équipe d'Inovev ont observé et analysé le marché automobile mondial et réalisé des prévisions. Ils ont analysé la conception d'une centaine de véhicules en procédant à leur démontage complet en coopération avec les constructeurs automobiles et leurs fournisseurs.

Les analyses et les prévisions d'Inovev s'appuient sur des données fiables et une méthodologie rigoureuse. Inovev achète ou se procure des données relatives aux immatriculations et aux ventes de tous les véhicules pour le passé et le présent. Nous les traitons après les avoir homogénéisés et les avoir mises en place dans un référentiel commun. À partir des ventes, nous estimons les productions par un calcul complexe mais très fiable lorsque celles-ci ne sont pas fournies par les constructeurs, ce qui est le cas le plus fréquent.

Nous prévoyons ensuite le futur à partir de l'analyse des facteurs clés de changement en nous fondant sur l'examen des éléments qui expliquent les plus récentes évolutions : réglementation, normes et essais, politique des constructeurs, influence des orientations générale à caractère politique et des médias. Nous réalisons des prévisions, modèle par modèle, motorisation par motorisation, usine par usine. Nous bouclons finalement la boucle en comparant nos prévisions à ce qu'il est réellement advenu, afin de toujours améliorer nos méthodes et modélisations.

Je veux d'abord évoquer le marché français, c'est-à-dire les véhicules roulant en France.

Le parc français se classe, au 1er janvier 2015, au troisième rang de l'Union européenne avec 31,5 millions de véhicules – on en compte 42,3 millions en Allemagne, 36,6 millions en Italie, et 29 millions en Grande-Bretagne. Le taux de motorisation de la France, défini comme le nombre de véhicules particuliers par habitant, se situe dans la moyenne de l'Union européenne – le pays européen le plus largement motorisé étant l'Italie, et la Pologne se situant au niveau de la France et de l'Allemagne.

Si l'on passe du stock au flux et que l'on considère les immatriculations annuelles, la France se place également au troisième rang de l'Union Européenne, mais cette fois derrière l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Les immatriculations françaises de véhicules particuliers et de véhicules utilitaires légers ont varié de manière assez stable au cours de la dernière décennie contrairement à ce qui s'est produit en Allemagne où elles ont connu quelques soubresauts. En revanche, la production en France, tous constructeurs confondus, s'est écroulée durant la même période, passant de 3,5 à 2 millions de véhicules par an.

La crise automobile de 2008 n'a pas été vécue de la même manière en France et en Allemagne. Les deux pays ont mis en place des primes à la casse, mais de façon différente : en Allemagne, il a été annoncé que la mesure serait ponctuelle et limitée dans le temps, alors qu'en France, la mesure a duré plus longtemps et elle est donc devenue, dirons-nous, plus « habituelle ». Cela dit, nous constatons que ces dispositifs n'ont généralement qu'une incidence faible sur le niveau moyen du marché sur cinq ans. Ils créent un effet d'aubaine qui permet d'anticiper des ventes mais non de les additionner : l'augmentation des ventes est généralement suivie de leur baisse, ce dernier mouvement annulant l'effet du précédent sur le moyen terme. Le procédé présente néanmoins l'avantage de soutenir le marché à court terme.

Je dois dire un mot du mix énergétique des marchés européen et français.

La forte proportion de véhicules particuliers à motorisation diesel, soit 53 % en 2014, constitue une spécificité marquante de l'Europe par rapport au reste du monde où seules la Corée et l'Inde ont un marché de véhicules particuliers comportant une part élevée de diesel, soit respectivement 43 % et 47 %.

La motorisation diesel a véritablement commencé en France à la fin des années 1980. Le diesel représentait 10 % du marché en 1980, 15 % en 1985, et 33 % en 1990. Une telle progression, qui a eu lieu dans le cadre d'une politique énergétique visant à l'utilisation des coupes lourdes du pétrole, est restée une spécificité française jusqu'à la fin des années 1990. À partir de cette période et du début des années 2000, le diesel a en revanche décollé dans tous les pays européens, principalement du fait des progrès techniques accomplis par les constructeurs. La France a augmenté la diésélisation de son parc de manière continue de 1998 à 2008 pour atteindre un taux de près de 80 % en 2008, juste avant la crise. L'Espagne a pour sa part accru sa proportion de diesel jusqu'à 70 %. Même le Royaume Uni, qui a pour spécificité en Europe de proposer un prix de carburant diesel plus élevé que l'essence, a atteint et conservé depuis 2008 un taux de diésélisation proche de 50 %.

Les motorisations électrifiées, les véhicules hybrides et les véhicules électriques à batterie, n'occupent pas, à ce jour, de place significative sur le marché. Le développement des véhicules hybrides, qui représentent aujourd'hui environ 3 % du marché français, a rencontré deux obstacles. D'une part, leur compétitivité est difficile à mettre en évidence auprès des utilisateurs au regard des avantages de la motorisation diesel. Dans les pays où le diesel est peu répandu, les véhicules hybrides se font une place beaucoup plus facilement que lorsque le diesel est très présent. D'autre part, l'offre des constructeurs européens reste faible. La société Toyota a toutefois développé une forte politique de vente de ses véhicules hybrides en Europe, et plus particulièrement en France, voyant là un moyen d'affirmer sa différence par rapport aux constructeurs européens : 43 % des véhicules Toyota vendus en France sont des hybrides. Les véhicules électriques à batterie ne représentent aujourd'hui que 1 % du marché français. Ils n'ont pas encore trouvé leur place malgré le leadership mondial et incontesté du groupe Renault Nissan qui fabrique la Leaf, véhicule mondial, et la Zoé, véhicule européen.

J'en viens à la production automobile française. Il est nécessaire de distinguer la production des constructeurs français dans le monde, de la production sur le sol français et d'éviter ainsi tout amalgame entre deux notions qui peuvent porter le même nom.

On peut considérer que les constructeurs européens occupent la première place mondiale en termes de production de véhicules légers dans le monde. Cette première place n'est toutefois acquise que si l'on fait deux hypothèses : l'une selon laquelle la société Nissan est contrôlée par l'Europe, l'autre qui permet de comptabiliser les véhicules chinois produits dans le cadre de joint-ventures avec les constructeurs européens, notamment allemands, comme des véhicules sous contrôle européen. Le groupe Renault Nissan a connu une forte croissance : il atteint le quatrième rang mondial, derrière Toyota, Volkswagen, et General Motors, devant Hyundai et Kia qui le talonnent. Le groupe PSA se place au neuvième rang mondial.

Si la France est un pays majeur pour la production automobile dans le monde, ce n'est pas le cas pour ce qui est de la production sur son propre territoire : elle ne fait plus partie du top ten des pays du monde producteurs d'automobiles.

La question du mix énergétique mérite aussi d'être examinée pour ce qui concerne les constructeurs européens. Les groupes Ford, PSA et Renault Nissan sont les plus diésélisés : le diesel compte pour 60 % de leur production automobile. Renault Nissan et PSA produisant beaucoup de petits véhicules, et ces derniers étant peu diésélisés, la proportion de véhicules diesel produit par ces deux groupes est, en fait, supérieure à 60 % pour les moteurs de cylindrée supérieure. Ces groupes se voient d'autant plus impactés par une baisse de la motorisation diesel qu'une partie de leur production plus importante que celle de leurs concurrents est destinée à la France, pays dans lequel le diesel baisse le plus rapidement après avoir progressé rapidement.

Dans nos prévisions, nous prenons en compte les politiques probables et très certainement efficientes des groupes de constructeurs diésélisés qui auront pour objectif de freiner la décroissance du diesel, puis de stabiliser son ratio. Selon nous, en Europe, il se situerait probablement autour de 50 % en 2018. Ces stratégies lutteraient par exemple contre la désinformation actuelle assimilant souvent les motorisations diesel à des motorisations sales, alors même que les normes Euro 6 et Euro 6c les contraignent à être aussi propres que les motorisations essence, voire davantage. Un amalgame est en effet entretenu entre les anciens véhicules diesel plus polluants que les véhicules à essence, et les nouveaux véhicules diesel qui ont quasiment les mêmes résultats en termes de pollution que ces derniers, quand ces résultats ne sont pas meilleurs.

Le diesel a en effet aujourd'hui beaucoup d'avantages client à faire valoir par rapport à la motorisation essence, notamment en termes d'émission de CO2, de consommation, mais aussi de prestations. Les clients aiment le diesel. Certains pays nous l'envient même : dorénavant, le Japon considère par exemple le diesel comme un objectif de développement alternatif.

Nos prévisions prennent également en compte le fait que les groupes de constructeurs confirmeront le développement de nouvelles générations de véhicules diesel répondant aux normes les plus contraignantes. Ce processus est déjà très largement engagé chez Renault Nissan ainsi que chez PSA. Les groupes renforceront aussi très certainement le développement de véhicules électrifiés.

Quels sont les facteurs clés de changement qui auront un impact sur l'industrie automobile dans les prochaines années ?

Dans notre scénario moyen, le marché automobile français devrait rester quasiment stable d'ici à 2020, passant entre 2015 et cette date de 2,2 à 2,3 millions de véhicules vendus en France. Le marché automobile européen devrait en revanche connaître une croissance d'environ 2 % par an en moyenne, et atteindre 16,5 millions d'unités vendues en Europe en 2020, alors qu'il se situe, en 2015, à 15 millions d'unités. La croissance européenne sera donc basée sur celle de marchés « hors France », notamment sur les marchés italien, espagnol, portugais et grec, qui se trouveront en phase de rattrapage après une très forte chute des ventes, et sur une croissance des ex-pays de l'Est où le taux de motorisation reste encore assez faible.

Dans ce marché mature, des facteurs clés de changement peuvent impacter le paysage automobile de façon plus ou moins importante. Je pense notamment à des mesures de modification fiscale, comme la baisse du différentiel des taxes sur le diesel et l'essence ou l'évolution de la TVA, au renforcement des normes, au retrait de la circulation de véhicules anciens, à la limitation de la vitesse en Europe pour un redimensionnement des véhicules, au soutien au développement des transports et aux motorisations alternatifs. Ces mesures joueront en particulier sur cinq thématiques : le niveau du marché français, le niveau du marché européen, la production des constructeurs français, la baisse des émissions de CO2, la baisse des émissions de polluants hors CO2, et la réduction du bruit. Nous analysons, dans le document qui vous a été distribué, l'impact de chaque changement sur chaque thématique.

Je profite de ces éléments de prospective pour évoquer l'impact prévisible de l'affaire Volkswagen. Selon nous, elle aura très peu d'incidence sur le marché français.

Un petit fléchissement se produirait à court terme par rapport à nos prévisions, mais il serait suivi d'un rattrapage en 2016. Les fondamentaux n'ayant pas été touchés, nous considérons que cette crise n'aura pas davantage d'incidence à plus long terme. L'affaire Volkswagen pourrait provoquer une légère accélération de la baisse des immatriculations de véhicules diesel en France, mais une forte baisse avait déjà été anticipée avant cette crise et, à nouveau, les fondamentaux n'ont pas évolué. Un nouvel équilibre de mix d'énergies devrait apparaître en 2018, le diesel restant une composante forte compte tenu de ses grands avantages en termes de bilan prix, prestations et environnement.

L'affaire Volkswagen aurait par ailleurs très peu d'incidence sur la production des constructeurs français en raison de la stabilité des fondamentaux que j'ai déjà évoquée. Assez paradoxalement, le groupe Volkswagen pourrait à moyen et long terme tirer le plus parti de la crise : il dispose en effet d'une offre très diversifiée. Il pourrait donc être tenté de se donner une image « verte » en développant plus rapidement que prévu des véhicules électrifiés. Les dépenses relatives à l'affaire pourraient toutefois contraindre le constructeur à ralentir certains investissements comme certains développements. Cette crise pourrait également peut-être donner un avantage à moyen et long terme au groupe Renault Nissan qui tirerait bénéfice de son avance en matière de véhicule électrique.

Pour revenir aux évolutions prévisibles des marchés en Europe et en France, les graphiques que nous vous avons distribués montrent bien une croissance du marché mais essentiellement en dehors de la France. Le marché français est en phase de stabilisation. Globalement, en Europe, le diesel décroît jusqu'à atteindre 50 % du marché d'ici à cinq ans. Ce point d'arrivée est également celui de à la France qui part pourtant d'une situation de « surdiésélisation ».

Si nous nous intéressons à la production sur les sols nationaux, qui tient compte des exportations, qui sont par exemple très importantes en Allemagne, nous prévoyons pour les vingt-neuf États membres plus la Turquie, qui produit les mêmes véhicules que les pays européens, une poursuite de la croissance avec un retour aux chiffres de 2005. La production sur le sol français devrait également croître, en particulier en raison de la localisation de nouveaux véhicules par les constructeurs français.

Pour conclure, nous anticipons une stabilité du marché français entre 2015 et 2020, fondée sur celle des modes de mobilité alternatifs. Sur ce marché, un assainissement de l'air aura « mathématiquement » lieu entre 2015 et 2020 en raison du retrait des anciens véhicules polluants remplacés par des véhicules récents plus propres. Ce phénomène pourrait être accéléré par des mesures visant à augmenter la vitesse de ces retraits. À plus long terme, le développement des véhicules à batteries électriques devrait permettre de diminuer encore la pollution locale tout en réduisant le bruit. Par ailleurs, le moteur diesel restera très vraisemblablement en Europe une motorisation importante dans les années qui viennent, du fait de sa contribution aux objectifs draconiens de diminution de CO2, de sa moindre consommation et de prestations-clients appréciés d'une grande partie de la population.

Nous anticipons à court terme une croissance de la production des constructeurs français. Cette croissance sera d'autant plus forte qu'ils pourront continuer à vendre en Europe des diesels appréciés des consommateurs, ce qui leur donne un avantage certain par rapport à des constructeurs ne possédant pas cette technologie. À moyen et long termes, nous prévoyons une croissance encore plus forte en cas de développement des véhicules électriques, soutenu par des évolutions technologiques et une politique volontariste des pouvoirs publics.

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