Le présent projet de loi était annoncé depuis longtemps ; j'ai déjà eu l'occasion de vous en parler lors de mes précédentes auditions et, dès la première d'entre elles, je vous avais informé de la volonté du Gouvernement de mettre en oeuvre des « contrats de génération » fondés sur la négociation.
La situation est connue : parmi les jeunes, le taux de chômage atteint un niveau record, 24 %, et moins d'un salarié sur deux est en contrat à durée indéterminée (CDI) ; les autres subissent la précarité de l'emploi, sous la forme de contrats courts, de missions d'intérim ou de stages. À l'autre extrémité de la pyramide des âges, les seniors ont un taux d'activité extrêmement faible : 41 % pour les 55-64 ans en 2011.
Le contrat de génération, proposé par le Président de la République durant la campagne électorale, vise à remédier à cette situation. Il propose un changement de regard et de méthode et, plutôt que d'opposer les politiques en faveur des jeunes et celles en faveur des seniors – les unes ayant des effets négatifs sur les autres –, de conclure un pacte entre les générations. L'enjeu est d'importance, y compris pour la compétitivité de nos entreprises, puisque plus de 5 millions d'actifs partiront à la retraite d'ici à 2020 tandis que 6 millions de jeunes feront leur entrée sur le marché du travail.
Le contrat de génération s'inscrit dans la bataille du Gouvernement pour l'emploi, et, plus particulièrement, pour l'emploi des jeunes. En complément des emplois d'avenir et à la différence de ces derniers, il s'adressera à tous les jeunes, quelle que soit leur qualification, et à toutes les entreprises du secteur privé. En outre, sa création intervient juste avant l'aboutissement de la négociation sur la sécurisation de l'emploi, dont l'enjeu est de lutter contre la précarité sur le marché du travail, qui touche tout particulièrement les plus jeunes. Il participe donc d'un continuum.
Ce projet repose aussi sur une méthode, dont je souhaiterais qu'elle porte davantage de fruits : celle du dialogue social. Lors de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet derniers, le Gouvernement avait invité les partenaires sociaux à négocier sur les modalités du contrat de génération. Celui-ci est issu d'un accord national interprofessionnel, conclu le 19 octobre après un mois et demi de travaux de grande qualité. Fruit de la volonté gouvernementale, dans la continuité de la campagne électorale, et résultant d'un accord entre les partenaires sociaux, ce contrat ne pouvait naître sous de meilleurs auspices !
Le texte qui vous est présenté reprend l'essentiel des dispositions de l'accord national interprofessionnel relevant du domaine législatif, moyennant quelques précisions nécessaires ; il devra être complété par une transcription du même type pour les aspects réglementaires.
Le contrat de génération sera également l'occasion d'un diagnostic et d'un réexamen des pratiques dans les entreprises et dans les branches. Chaque entreprise de plus de 50 salariés aura à réaliser un état des lieux sur la situation des jeunes et des seniors ainsi que sur les savoirs et les compétences décisifs pour son activité. Seront notamment identifiés les métiers dans lesquels la proportion des femmes et d'hommes est déséquilibrée, en vue d'y apporter des remèdes.
J'en viens au contenu à proprement parler du texte.
L'article 1er fixe les modalités de mise en oeuvre du contrat de génération en fonction de la taille des entreprises.
S'agissant des entreprises de 300 salariés et plus – seuil que nous avons retenu, en accord avec les partenaires sociaux, dans un souci d'harmonisation avec d'autres dispositions du code du travail –, nous considérons qu'elles disposent en interne de moyens suffisants pour lancer la dynamique du contrat de génération sans qu'une incitation financière soit nécessaire. Ces entreprises seront donc obligées d'engager une négociation, qui se traduira par des engagements concrets de progrès. La réflexion sur les pratiques sera particulièrement importante. En effet, plus la taille de l'entreprise augmente, et plus la part des embauches de jeunes en CDI diminue : il convient de remédier à cette situation. Par souci de cohérence et de simplicité, les accords sur les contrats de génération se substitueront aux « accords seniors » antérieurs, afin d'inclure dans un même dispositif ambitieux l'emploi des jeunes et leur intégration dans l'entreprise, le maintien dans l'emploi des salariés plus anciens ainsi que la gestion et la transmission des compétences.
Les partenaires sociaux ont souhaité que la recherche d'un accord au sein de l'entreprise soit privilégiée, le « plan d'action » unilatéral de l'employeur ne venant qu'en dernier ressort, après l'échec d'une négociation menée de bonne foi, attesté par un procès-verbal de désaccord. Mes services, dans leur action de validation des accords et plans d'action, seront particulièrement attentifs à l'ambition et au contenu de ces documents, au regard de ce qui a pu être observé sur les précédents plans d'action « seniors » – que, souvent, l'entreprise adoptait sans avoir véritablement recherché un accord entre les partenaires sociaux. En l'absence d'accord ou de plan d'action, l'entreprise sera soumise à une pénalité, fixée par l'autorité administrative, et plafonnée à 10 % du montant des exonérations de cotisations patronales dont elle bénéficie ou, si ce montant est plus élevé, à 1 % de sa masse salariale.
Les entreprises de moins de 300 salariés, qui disposent de capacités plus limitées pour la gestion de leurs ressources humaines, bénéficieront d'une incitation financière pour s'engager dans cette démarche. Cette aide s'élèvera à 2 000 euros par an, pour un temps plein, pour l'embauche d'un jeune comme pour le maintien dans l'emploi d'un senior – soit 4 000 euros par an et 12 000 euros sur la durée maximale de l'aide.
Les entreprises de 50 à 300 salariés auront accès à cette aide si elles négocient un accord d'entreprise ou, à défaut, mettent en place un plan d'action ou sont couvertes par un accord de branche étendu. Leurs obligations seront allégées par rapport aux plus grandes. Ainsi, elles n'auront pas à transmettre chaque année un document d'évaluation, car cela représenterait une charge trop importante pour elles. Le contrat de génération sera aussi un outil de soutien de la compétitivité des petites et moyennes entreprises (PME), car il favorisera le développement de l'emploi.
Les entreprises de moins de 50 salariés auront accès à l'aide sans obligation de négociation préalable, en pratique difficile à réaliser. Elles pourront prétendre à cette aide dès lors qu'elles embaucheront en CDI un jeune de moins de 26 ans, ou un jeune reconnu travailleur handicapé de moins de 30 ans – disposition similaire à celle que vous avez souhaitée pour les emplois d'avenir – et qu'en parallèle, elles maintiendront dans l'emploi un salarié de 57 ans ou plus – ou de 55 ans ou plus s'il s'agit d'un salarié reconnu travailleur handicapé – ou qu'elles recruteront un salarié âgé d'au moins 55 ans, ce qui peut être intéressant pour de petites entreprises qui ne comptent pas de seniors dans leurs effectifs.
L'aide relative au jeune sera individuelle et maintenue pendant trois ans ; celle qui est attachée au senior pourra être accordée jusqu'au départ de celui-ci à la retraite, tant qu'il sera associé à un jeune – dans le cadre d'un contrat de génération, un senior pourra en effet être associé avec deux jeunes embauchés à la suite l'un de l'autre.
L'entreprise pourra bénéficier d'autant d'aides au titre du contrat de génération qu'elle compte de salariés seniors de 57 ans et plus, dès lors qu'elle embauchera un nombre équivalent de jeunes en CDI. Elle aura en outre la possibilité d'augmenter le nombre de seniors éligibles au contrat de génération par l'embauche de salariés âgés de 55 ans ou plus.
Afin d'éviter tout détournement du dispositif, l'aide ne sera pas accordée si l'entreprise a procédé à un licenciement économique sur le poste occupé par le jeune éligible au contrat de génération dans les six mois précédents, ou si elle a licencié, dans le même temps, un salarié de 57 ans ou plus.
À la demande des toutes petites entreprises, le contrat de génération vise également à favoriser la transmission d'entreprise ; à cette fin, il pourra associer l'embauche d'un jeune avec le maintien du chef d'entreprise à son poste jusqu'à son départ à la retraite.
L'article 2 prévoit la complémentarité entre les accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et les thématiques relevant du contrat de génération. Les deux négociations pourront même être conjuguées afin de simplifier les choses.
L'article 3 introduit une coordination avec le code de la sécurité sociale pour l'application de la pénalité.
L'article 4 habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance, dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le code du travail applicable à Mayotte, afin d'y rendre applicables les dispositions du texte.
L'article 5 est relatif à l'entrée en vigueur du dispositif. Pour les entreprises de plus de 300 salariés, la pénalité sera applicable faute d'avoir déposé un accord collectif ou un plan d'action auprès de l'autorité administrative compétente avant le 30 septembre 2013.
Il est toujours difficile d'évaluer en amont les effets d'un tel dispositif ; tout dépendra de la manière dont les entreprises s'en saisiront – mais il semble qu'elles l'attendent avec intérêt compte tenu des conversations que je peux avoir avec elles. L'objectif du contrat de génération est en tout cas d'infléchir profondément leurs pratiques dans quatre directions : accroissement du nombre d'embauches de jeunes en CDI ; ralentissement, voire arrêt des départs anticipés des seniors ; amélioration de la transmission des compétences ; relance du recrutement des seniors.
Outre les embauches nettes qui devraient être favorisées par les dispositions négociées et par les aides financières, nous espérons une substitution d'embauches en CDI aux embauches en CDD. Le contrat de génération devrait ainsi contribuer à faire de nouveau du contrat à durée indéterminée la norme des embauches, y compris pour les jeunes.
Pour les entreprises de moins de 300 salariés, où les contrats de génération seront individuels, nous avons fixé des objectifs chiffrés : 500 000 contrats conclus sur cinq ans, à raison de 100 000 par an – soit un million de personnes concernées. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, en revanche, le contrat de génération aura un caractère collectif et seules pourront être comptabilisées les nouvelles embauches en CDI. Au total, notre objectif – certes ambitieux – est de multiplier par deux, au titre du contrat de génération, les embauches de jeunes en CDI.
Le coût du dispositif est difficile à apprécier : tout dépendra de son rythme de montée en puissance. Nous considérons que, pour l'année 2013, quelque 200 millions d'euros seront nécessaires ; ils seront mis à la disposition du ministère à l'occasion de la plus prochaine loi de finances rectificative. En régime de croisière, ce coût devrait s'élever à un peu plus de 900 millions d'euros ; il sera intégré au dispositif de financement du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi.
Quand les contrats de génération entreront-ils en vigueur ? Dans les entreprises de plus de 300 salariés, je l'ai dit, ils devront être signés avant septembre 2013 ; certaines grandes entreprises étant déjà prêtes à engager des négociations, j'espère que les premiers le seront dans les premières semaines de 2013 et que cela aura un effet d'entraînement. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, où aucun préalable n'est nécessaire, le dispositif sera applicable dès la promulgation de la loi. Il serait même envisageable que le Parlement fixe une date d'application anticipée, afin d'éviter les rétentions d'embauches. Je n'y verrais pas d'inconvénient.
En conclusion, je voudrais insister sur la cohérence de ce texte : cohérence avec le projet présidentiel, puisque nous mettons en oeuvre un engagement qui avait marqué la campagne électorale ; cohérence avec la lutte que nous menons contre le chômage, entre emplois d'avenir et négociation sur la sécurisation de l'emploi ; cohérence avec la priorité accordée aux jeunes et à la lutte contre le travail précaire ; cohérence avec les autres mesures en faveur de la compétitivité : compétitivité prix, sous la forme d'une aide pour l'embauche des jeunes, et compétitivité hors prix, grâce à l'organisation de transferts de compétences au sein de l'entreprise ; cohérence enfin dans la méthode, ce texte résultant d'un accord des partenaires sociaux.
Le Gouvernement a fixé les grandes orientations, les partenaires sociaux ont négocié les modalités d'application et les ont adoptées à l'unanimité : n'est-ce pas un gage d'efficacité pour la mise en oeuvre du dispositif ?