Je m'exprimerai à la fois au nom d'Arkema et de l'AFEP, pour vous faire part de nos convictions sur le sujet de la compétitivité.
L'AFEP représente plus de cent grands groupes français et internationaux, qui emploient au total 5,8 millions de salariés et génèrent 1 500 milliards d'euros de chiffre d'affaires, une part significative des emplois et de cette valeur ajoutée étant d'ailleurs localisée en France.
Dès le mois de juin 2012, l'AFEP a lancé des groupes de travail sur le sujet de la compétitivité. Les directeurs généraux et les équipes des entreprises adhérentes s'y sont impliqués avec la volonté de constituer une force de proposition, de mettre en lumière certaines faiblesses et, surtout, de contribuer à la recherche de solutions concrètes avec le Gouvernement.
Arkema est le numéro un français du secteur de la chimie, et l'un des leaders mondiaux, face à des sociétés américaines, allemandes, chinoises et japonaises. Notre groupe exporte 75 % de sa production ; il réalise 10 % de son chiffre d'affaires en France, mais y emploie 50 % de ses salariés et y effectue 45 % de ses investissements industriels. Arkema est l'une des sociétés qui investit beaucoup en France, à hauteur de 150 à 200 millions d'euros par an. Par ce fort ancrage national et le fait qu'elle exporte beaucoup hors de France, notre société est directement concernée par le sujet de la compétitivité.
Quelques grands projets sont en cours de réalisation en France, parmi lesquels la conversion des sites de Lacq Mourenx, dédiés aux dérivés du soufre extrait du gaz du gisement, la transformation de Jarrie – près de Grenoble – où nous investissons la meilleure technologie disponible pour la production de chlore, et la modernisation du site de Carling, en Lorraine. Ces trois projets représentent à eux seuls 200 millions d'euros d'investissements.
Par ailleurs, 75 % de notre recherche est implantée en France, nouvelle preuve - s'il en fallait une - du lien entre emploi et compétitivité. La situation serait bien différente sans le crédit d'impôt recherche, outil qui permet à la recherche française d'être compétitive. Enfin, notre société est cotée à Euronext Paris.
Malgré le fait que les grands groupes chimiques soient moins nombreux dans notre pays qu'en Allemagne - qui en compte cinq ou six – et qu'ils aient traversé des difficultés dans le passé, la France reste une terre de tradition chimique. Elle est le deuxième pays européen dans ce secteur et le cinquième dans le monde, même si le Brésil et la Corée du Sud l'ont rattrapée. La chimie française emploie 156 500 salariés sur notre sol, et jusqu'à 200 000 si l'on inclut les emplois indirects, sans compter les filières de la sous-traitance. Le solde commercial du secteur, très positif, est le troisième en France dans l'industrie, derrière l'aéronautique et l'agroalimentaire.
Toute mesure touchant à la compétitivité a un impact direct sur l'activité du secteur, qui emploie une large part de main-d'oeuvre très qualifiée : 44 % des salariés d'Arkema ont des salaires supérieurs à 2,5 fois le Smic. Les investissements industriels supposent également d'importants besoins de financement, qui génèrent un endettement significatif.
Notre industrie est par ailleurs très consommatrice en énergie, notamment en gaz et en électricité, secteurs dont la compétitivité nous est par conséquent essentielle. Nous sommes également au coeur de bien des réglementations – notamment environnementales –, beaucoup des quelque 1 200 sites chimiques en France étant classés Seveso. Nous dépendons par ailleurs de façon très importante des transports, qu'il s'agisse du train, des pipelines, de la route ou des ports. Enfin, notre secteur est toujours l'un des premiers concernés par toute mesure de fiscalité environnementale.
La répartition moyenne des coûts de production peut être appréhendée à partir de ce qui serait une usine-témoin, représentative du secteur chimique en France dans son ensemble. Cette répartition s'établit comme suit : 44 % pour les matières premières – dérivés du pétrole ou produits biosourcés –, 10 % pour l'énergie – électricité et gaz –, 5 % pour le transport, 14 % pour les autres achats, 20 % pour les salaires – mais cette proportion monte à 40 ou 50 % hors achat de matières premières –, 3 % pour les taxes de production et 5 % pour les amortissements. La répartition peut bien entendu varier d'une usine à l'autre, mais elle illustre bien la situation moyenne en France.
Si l'on transpose la même usine-témoin en Allemagne ou aux États-Unis, la comparaison des comptes d'exploitation respectifs reflétera assez fidèlement les différences de rentabilité. Cette différence tient en premier lieu à la masse salariale, appréhendée du point de vue du salaire unitaire, des charges et de l'organisation du travail.
La deuxième source de différences concerne l'accès à l'énergie, dont le coût représente en moyenne 9 % en France, contre 8 % en Allemagne – compte tenu notamment des récentes mesures sur le prix de l'électricité – et 6,5 % aux États-Unis, qui profitent de plus en plus de l'exploitation des gaz de schiste. Des différences existent également dans le domaine des transports, les réseaux d'acheminement des produits chimiques étant sensiblement plus développés aux États-Unis – notamment à travers les pipelines – et en Allemagne. Ces infrastructures rendent également, dans ces deux pays, l'accès aux matières premières moins coûteux, de façon plus marginale en Allemagne mais sensible aux États-Unis.
Ces différences, qui portent donc sur quelques postes clairement identifiés, sont le fruit de l'histoire et des dispositions législatives successives. J'ajoute que la marge opérationnelle mentionnée pour les usines françaises est une moyenne : dans certaines d'entre elles, cette marge est très positive et dans d'autres, elle est devenue très négative, la rentabilité s'étant dégradée au fil des années.
Nous souhaitons appeler votre attention sur un certain nombre de points qui peuvent avoir un impact majeur dans le futur. Le premier concerne le coût de la transition énergétique, avec l'annonce de la baisse assez sensible de la part du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Selon diverses estimations, le coût de cette transition devrait avoisiner les 300 milliards d'euros en Allemagne. Or la compétitivité de la fourniture d'électricité est indispensable aux grandes industries, notamment celles qui sont délocalisables. L'Allemagne met par ailleurs en oeuvre un certain nombre de mesures très favorables, qui requièrent toute notre vigilance car une différence est en train de se créer de part et d'autre du Rhin, s'agissant de l'accès à l'électricité des grands consommateurs électro-intensifs. Pour ceux-ci, l'avantage en faveur de l'Allemagne atteint aujourd'hui 20 %, alors que la situation était inverse il y a quelques années. Le coût de l'électricité, souvent encore perçu comme un avantage français, risque ainsi de devenir un handicap de compétitivité par rapport à des pays tels que l'Allemagne ou les États-Unis.
Le développement des gaz non conventionnels procure un indéniable avantage compétitif aux États-Unis : nous le constatons tous les jours, puisque nous y achetons du gaz et de l'électricité. Cet avantage se ressent aussi, de façon très sensible, sur le prix de revient des produits dérivés du gaz, comme certains plastiques, dont les exportations sont amenées à se développer. C'est là un point d'importance pour la pétrochimie et les fabricants de ces plastiques en France. En Europe, le prix du gaz relève de deux mécanismes : une formule industrielle d'une part, indexée sur le prix du pétrole brut, et le prix spot, apprécié à Zeebrugge. Selon que l'on se réfère à l'un ou l'autre de ces niveaux de prix, la différence entre le prix du gaz entre les États-Unis et l'Europe peut atteindre un rapport de 1 à 3, voire 1 à 4.
Par ailleurs, la chimie étant émettrice de gaz à effet de serre, elle est en première ligne sur les questions de fiscalité environnementale. Le problème est que toute nouvelle mesure en ce domaine peut pénaliser sa compétitivité par rapport à nos voisins européens. Nous vous lançons donc un cri du coeur, si vous me passez l'expression, pour vous demander d'exempter le secteur de toute nouvelle mesure à cet égard.
Nous ne sommes évidemment pas opposés à la réglementation, d'autant que des programmes tels que ceux issus du règlement REACH, dans lesquels nous sommes impliqués, ont aussi leurs bénéfices ; mais, bien que le sujet dépasse la France, la réglementation a un coût élevé sachant que l'on ne dénombre pas moins de 800 directives et règlements européens concernant la chimie. En d'autres termes, nos sites doivent se mettre en conformité avec plusieurs centaines de directives, ce qui suppose une main-d'oeuvre dévolue, sans compter les coûts induits par l'évolution des sites concernés. À cette réglementation européenne s'ajoute parfois une réglementation spécifiquement française : les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) par exemple, qui entraînent des coûts élevés, les règles anti-séisme ou anti-vieillissement des installations, par exemple.
Les transports constituent un autre point de vigilance : qu'il s'agisse du fret ferroviaire, des ports, des pipelines ou de la route, certaines évolutions suscitent des inquiétudes. La Belgique, la Hollande et l'Allemagne disposent d'importants réseaux de pipelines pétrochimiques pour différents produits (éthylène, propylène) ; en France, les réseaux sont non seulement moins nombreux, mais aussi concentrés à l'est, sur un axe nord-sud, et réservés au seul éthylène. Ces différences concernent également d'autres types de transport.
Pour répondre à ces problématiques, un certain nombre d'actions, pas nécessairement très coûteuses, pourraient avoir des effets sensibles sur l'emploi et la compétitivité. Les industries électro-intensives ont beaucoup investi dans le consortium Exeltium qui, créé il y a deux ans, représente l'équivalent d'une demi-tranche nucléaire ; son coût, pour des raisons qui tiennent à la fiscalité qui s'y applique et à sa structure financière, a néanmoins dérivé, à telle enseigne que les prix qu'il propose sont désormais les plus élevés du marché. Il est donc urgent de restructurer cet outil, sur la compétitivité duquel la limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt prévue par la loi de finances pour 2013 aura de lourdes conséquences. Nous nous demandons donc pourquoi Exeltium, qui était conçu pour être compétitif, n'est pas exempté d'une telle mesure de limitation, d'autant que le prix de l'énergie qu'il fournit se répercute directement sur la compétitivité des sites qui en dépendent.
Le crédit impôt recherche étant un excellent outil, il convient de le maintenir. Toutefois, sur le montant total qu'Arkema consacre à la recherche et développement en France, seuls 60 % sont directement concernés par ce crédit d'impôt ; un tel décalage tient sans doute à la définition de l'outil.
S'agissant du coût du travail, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est une mesure positive, simple et lisible. Pour Arkema, il représentera un gain de 7 millions d'euros, qu'il convient néanmoins de rapporter aux 12 millions de taxes et contributions sociales supplémentaires qu'il nous faudra acquitter suite aux mesures nouvelles prises depuis juillet dernier. En outre, plus de la moitié de notre main-d'oeuvre, hautement qualifiée, ne pourra entrer dans le calcul du CICE : il faudrait donc, selon nous, ajuster celui-ci aux industries délocalisables et qui emploient ce type de main-d'oeuvre, pour inclure dans ses modalités de calcul les salaires allant jusqu'à trois Smic.
Quant aux actions plus ciblées, la première pourrait viser les coûts de transport de l'électricité, et s'inspirer pour ce faire du modèle allemand.
S'agissant du coût de transport du gaz, on constate une forte différence entre le nord et le sud ; il nous semble donc nécessaire d'accélérer la mise en place du gazoduc « arc de Bourgogne ».
Nous souhaiterions par ailleurs qu'une partie du revenu des enchères de quotas CO2 soit allouée, comme c'est le cas en Allemagne.
Il nous paraît également nécessaire d'engager, en complément du récent décret relatif au passage des camions à « 44 tonnes », une adaptation des règles du transport transfrontalier, puisque ces camions ne peuvent, par exemple, passer la frontière entre la France et la Belgique, bien que ces deux pays aient adopté le 44 tonnes !
Quant aux pipelines pétrochimiques, des désenclavements sont nécessaires, à appréhender cependant au cas par cas.
Dans un autre domaine, pour ce qui concerne l'organisation du travail une plus grande flexibilité est également souhaitable.
Nous appelons enfin à une pause sur la réglementation, dont le niveau dépasse aujourd'hui les besoins. Il convient également de poursuivre le travail de simplification amorcé dans le cadre de la Conférence nationale de l'industrie.
Au-delà du cas de la chimie française, les recommandations de l'AFEP sont évidemment plus larges. La première concerne la transition énergétique, qui ne doit pas pénaliser la compétitivité et l'emploi. Elle doit donc faire l'objet de projections et d'évaluations, quant à son coût, son calendrier et son contenu.
L'AFEP ne peut que partager le constat de la nécessaire réduction des dépenses publiques, tant le décalage s'est creusé, en ce domaine, par rapport à un pays comme l'Allemagne. Des mesures sont donc nécessaires, sur les dépenses de fonctionnement comme sur les dépenses de prestations.
Le CICE va dans le bon sens ; cependant, il s'attaque sans doute davantage à la conséquence, c'est-à-dire au coût final pour l'entreprise, qu'à la cause, à savoir le financement d'une part très importante de la protection sociale par les entreprises. La réflexion doit donc être poursuivie.
Enfin, la rentabilité est un préalable à la fiscalité : compte tenu de la faible rentabilité des entreprises, par exemple, au sein du secteur de la chimie en France, il est logique que l'impôt sur les sociétés qu'elles acquittent reste faible. C'est par une fiscalité qui libère les énergies au sein des entreprises et favorise leur compétitivité que l'on inversera cette tendance, au bénéfice des recettes fiscales.