Intervention de Frédéric Gagey

Réunion du 4 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires sociales

Frédéric Gagey, président-directeur général d'Air France :

Permettez-moi, dans un premier temps, de vous reprendre sur deux points. Tout d'abord, le conflit de septembre 2014, qui a douloureusement marqué la vie de la compagnie, a abouti à un accord concernant la compagnie Transavia France. Une partie du débat, lors de ce conflit, portait sur la possibilité d'augmenter la flotte de Transavia, créée en 2007 avec une contrainte limitant sa flotte à quatorze avions. J'avais souhaité pouvoir me libérer de cette contrainte, d'où, en partie, le conflit de septembre 2014. Si ce conflit s'est terminé sans accord, quelques semaines plus tard un nouvel accord a été finalisé, portant la flotte de Transavia à quarante avions. C'est ainsi que Transavia a pu exploiter au départ d'Orly vingt et un aéronefs l'été dernier.

Ensuite, il n'y a pas eu de courriers envoyés à des salariés susceptibles de quitter l'entreprise. Aucun plan de départs involontaires n'a pour l'instant été engagé.

Ces deux remarques étant faites, je souhaite vous présenter la situation d'Air France, ce qui a été fait et ce que nous souhaitons faire. Le secteur du transport aérien présente de grandes opportunités. Une part importante de la population mondiale n'a pas encore l'habitude de voyager, et c'est souvent un des premiers souhaits des gens quand leur niveau de vie augmente. Il est donc clair que ce secteur restera en forte croissance, même si le centre de gravité s'est déplacé vers des zones où l'activité n'a pas la maturité que connaissent l'Europe et les États-Unis.

La deuxième caractéristique forte de ce secteur est le niveau de la concurrence. Sur les mêmes aéroports et les mêmes voies, avec des aéronefs correspondant aux mêmes contraintes de sécurité et des pilotes obéissant aux mêmes contraintes de formation, les nouveaux entrants augmentent très fortement l'intensité concurrentielle de cette activité.

Dans ce contexte, Air France se réforme et progresse. Partant de résultats très négatifs en 2009, 2010 et 2011, la compagnie, après la déclinaison du plan 2011-2015, le fameux plan Transform, devrait parvenir à l'équilibre opérationnel autour de 2015. C'est un progrès considérable, attesté par une augmentation de la performance économique proche du milliard d'euros. On ne peut afficher une telle performance sans un travail intense et un engagement quotidien de l'ensemble des salariés.

Même si les résultats se sont améliorés, il est important d'atteindre une performance économique en ligne avec notre chiffre d'affaires. Il est de notre responsabilité, avec l'ensemble des parties prenantes de la compagnie – les salariés mais également les partenaires sociaux –, que nous poursuivions dans cette voie, en nous appuyant sur un élément essentiel de la vie d'Air France : la cohésion de l'entreprise. Air France se caractérise par la coexistence de trois catégories, les personnels du sol, les personnels navigants commerciaux et les pilotes, et une entreprise ainsi constituée ne peut fonctionner sans une forte cohésion de l'ensemble. De ce point de vue, les images du 5 octobre ne sont pas le vrai visage d'Air France.

Selon les statistiques de l'IATA (International Air Transport Association), le transport aérien devrait croître de 4 à 5 % par an, et ce beaucoup plus dans les zones en développement qu'au départ de l'Europe. Air France, et notre pays, doivent prendre leur place dans ce développement. La France possède une longue tradition aéronautique, et un énorme savoir-faire dans l'aérien nous est reconnu. L'idée qu'Air France ne participe pas au développement du transport aérien remettrait en cause notre souveraineté nationale : il n'y a pas de grand pays sans grande compagnie aérienne et sans grands aéroports. Le transport aérien contribue de manière significative à notre rayonnement international, participe au développement des régions et soutient le dynamisme du tourisme sur le territoire français. En outre, le transport aérien représente en France un million d'emplois, 300 000 directs, 650 000 indirects, et contribue à hauteur de près de 2 milliards d'euros à la balance des paiements française.

Le transport aérien est aussi un secteur extrêmement difficile, dont le mode de fonctionnement s'est par ailleurs largement modifié au cours des dernières décennies. Alors que nous étions très protégés en matière de droits de trafic, nous avons assisté à une forte libéralisation, et ce d'abord en Europe, avec la totale liberté des vols intra-européens. En dépit de cela, le secteur reste très fragmenté, alors que certains de nos fournisseurs, les avionneurs, les aéroports, les motoristes, les systèmes de distribution, se sont organisés, par un fort mouvement de consolidation conduisant à des monopoles ou oligopoles.

L'ouverture du ciel ne concerne pas seulement l'Europe. Des accords de ciel ouvert sont signés entre des pays lointains et la France ou d'autres pays européens. Par ailleurs, de nouveaux acteurs de long-courrier émergent, dont certains se développent de manière spectaculaire en profitant de l'ouverture du marché européen. Certains, vous les connaissez, bénéficient en outre d'un soutien massif de leurs États actionnaires, qui font du développement de leurs compagnies un outil stratégique majeur. Elles n'ont pas les mêmes contraintes fiscales, sociales et réglementaires, et sont donc des concurrents terribles pour le transport aérien français et, plus généralement, européen.

Les compagnies low cost, qui ont introduit une nouvelle approche très imaginative du marché, ayant conduit à des billets de moins en moins chers, constituent un autre élément concurrentiel nouveau et, de ce point de vue, le développement de Transavia France à la suite du conflit de septembre 2014 est pour le groupe Air France un point très important. Par ailleurs, le développement du TGV a également heurté de plein fouet l'économie de nos lignes intérieures. Le client, enfin, qui est au coeur de nos préoccupations, change ses habitudes, se tourne vers d'autres modes de commercialisation. Avec la digitalisation des moyens d'information, il a aujourd'hui accès en quelques clics à toutes les offres possibles pour se rendre d'un point A à un point B.

Nous ne pouvons donc rester inactifs, ni ne pas chercher à saisir les opportunités que nous offre le marché. Les choses sont, de mon point de vue, extrêmement claires : il nous faut poursuivre notre réforme interne. Le plan Transform a introduit entre 2011 et 2015 un ensemble de modifications stratégiques majeures – restructuration du moyen-courrier avec Hop! Air France, nouvelle offre en matière de long-courrier, restructuration de l'activité de cargo, développement de l'activité de maintenance… – qui auront permis d'améliorer considérablement les résultats de la compagnie. En 2011, ces résultats étaient proches de moins 600 millions ; en 2013, proches de moins 200 millions ; ils devraient être cette année positifs de quelques centaines de millions. Cette amélioration de près d'un milliard est la première trace du travail en profondeur entrepris par Air France et ses salariés, avec le support des organisations syndicales. Il aura permis de sortir enfin du rouge la compagnie nationale.

Qui plus est, alors que l'écart de profitabilité entre Air France et KLM était proche de 800 millions d'euros en 2011, il était de 475 millions d'euros en 2013, et les deux compagnies devraient présenter au cours de l'année 2015 des résultats d'exploitation à peu près équivalents.

Ces chiffres traduisent les deux piliers de l'économie de l'entreprise : la maîtrise des coûts unitaires et la performance commerciale. Sur la période 2011-2015, la réduction des coûts unitaires a oscillé chaque année entre 2,9 % et 1,5 %, là aussi avec l'appui de l'ensemble des parties prenantes. Ces résultats sont extrêmement encourageants. Ils sont associés à des performances commerciales de plus en plus grandes : des évolutions en matière de produit, sur le long-courrier, mais également les réseaux moyen-courrier européens, avec une nouvelle cabine introduite au printemps de cette année, la restructuration des forces de vente sur l'ensemble du réseau domestique, avec la création de la structure Hop! Air France, ainsi que la digitalisation et les évolutions de nos modes de service, centrées autour du concept de relation attentionnée.

Les résultats du troisième trimestre, annoncés il y a quelques jours, sont en ligne avec ce que je viens d'indiquer. Rien n'aurait été possible, dans une structure focalisée sur le service au client, sans la contribution des personnels. Ces résultats confirment également le succès de la stratégie mise en oeuvre par le plan Transform, même si nous avons également bénéficié sur la période d'un allégement de la facture pétrolière.

Au regard de la taille d'Air France – 15 milliards de chiffre d'affaires –, ces résultats, je l'ai dit, restent insuffisants. Une entreprise de cette taille devrait produire, pour s'assurer d'une croissance de l'ordre de 2 à 3 %, un résultat d'exploitation autour de 740 millions d'euros par an. Nous avons donc fait une bonne moitié du chemin. Nos grands concurrents, Lufthansa et IAG British Airways, présentent sur le trimestre des résultats qui sont soit le double soit le triple de ceux d'Air France. Ne rien faire serait donc la pire des options.

Le contexte fiscal et social français ne nous aide pas toujours. À cet égard, le rapport de M. Bruno Le Roux insiste sur différents éléments, tels que la maîtrise des dépenses de sûreté, l'élargissement de l'assiette de la taxe de solidarité, la modération de l'évolution des redevances aéroportuaires, la possibilité d'envisager un régime sectoriel en matière de charges sociales. Si l'État accompagnait les réformes, cela aiderait beaucoup la compagnie.

La suite, c'est le plan, largement discuté avec nos organisations syndicales, Perform 2020. Ce plan est centré sur la croissance et a trait essentiellement à la poursuite de la restructuration du réseau long-courrier, dont 45 % des lignes ne sont aujourd'hui pas rentables. C'est ce point qui illustre le mieux la fragilité d'Air France. La croissance ne pourra se poursuivre qu'à la condition que nous soyons capables de ramener notre réseau long-courrier à la performance économique. Cela suppose l'ouverture de nouvelles lignes, l'arrivée de nouveaux avions, la conclusion de nouvelles alliances. Nous poursuivrons naturellement l'amélioration de nos produits, et il nous faut en même temps continuer de réduire l'écart en termes de coûts unitaires avec nos grands concurrents.

Ce plan prévoit en outre un partage des fruits du redressement. Il est normal, si nous atteignons notre objectif de 740 millions de résultat d'exploitation en 2017, qu'une partie de ce succès soit partagée avec nos salariés.

L'idée, depuis le début de l'année 2015, était donc d'ouvrir des négociations. C'est dans ce cadre qu'a également été évoqué avec nos personnels un plan alternatif. Si nous ne parvenons pas par le dialogue et la signature d'accords à évoluer en matière de coûts unitaires, le développement du long-courrier pourrait être remis en cause, ce qui n'est en aucun cas une option pour la direction d'Air France.

Le compromis est une tradition dans notre compagnie. Une centaine d'accords ont été signés avec les partenaires sociaux en 2013, quatre-vingt-dix en 2014. C'est d'ailleurs par des accords que le plan Transform avait été initié. Nous consacrons aujourd'hui toute notre énergie à la défense de l'emploi futur et au développement d'Air France par des accords qui permettent de travailler à l'optimisation de notre performance commerciale et de nos coûts unitaires. L'impact, en termes d'emplois, d'un scénario de reprise de la croissance dès 2017 serait le moins sensible des scénarios envisageables. Repousser les problèmes, au lieu de les régler le plus tôt possible, c'est mettre en cause l'avenir, et personne, je crois, ne saurait s'y résoudre.

Le dialogue social, une activité quotidienne chez Air France, doit, dans le cadre du plan Perform 2020, nous permettre de trouver les moyens d'une maîtrise de nos coûts unitaires, qui nous pénalisent aujourd'hui vis-à-vis de certains de nos concurrents et grèvent l'opportunité pour Air France de profiter du formidable potentiel qu'offre le développement du transport aérien.

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