Certains continuent à faire vivre le dialogue social chez Air France, mais il est clair que le climat social est absolument délétère. Nous ne nions pas ce constat, mais pensons qu'il n'y avait pas de raison d'en arriver aux extrêmes du 5 octobre. Ce jour-là, comme le 22 octobre, 90 % des salariés n'étaient pas en grève et l'exploitation n'avait en rien été perturbée. Une bonne partie du personnel – sans doute proche de nos syndicats – ne partage pas l'outrance dans laquelle on est entré aujourd'hui. La direction porte évidemment une part de responsabilité dans ce blocage, et cette situation dure depuis un an et demi. Les choses ont commencé à se dégrader dans le cadre du dialogue entre la direction générale et les pilotes – personnel central dans une compagnie aérienne. Il nous est difficile d'apprécier la part de responsabilité de chacun dans cet échec car dans cette entreprise, les négociations sont depuis toujours conduites par catégorie : pilotes, personnel navigant commercial, personnel au sol. La CFDT, première organisation syndicale parmi le personnel au sol, ne participe donc jamais aux discussions avec les pilotes.
Vous demandez ce qu'il est possible de faire. Même si nous sommes d'accord sur tout un ensemble de points, nous ne formons pas une intersyndicale, la CFDT comme la CFE-CGC tenant à leur autonomie de fonctionnement, à leur libre arbitre et à leur indépendance de parole. Dès le mois de juin, avons suggéré à la direction d'instaurer des négociations intercatégorielles pour parvenir au moins à un accord de cadrage intercatégoriel, quitte à revenir à des négociations catégorielles pour tenir compte des spécificités de chaque métier. Mais la direction comme les syndicats de pilotes et de personnel navigant commercial refusent le principe de négociations intercatégorielles. Nous y voyons l'une des raisons du blocage. En effet, les négociations catégorielles sont possibles lorsque tout va bien et que chacun récupère un peu du fruit de la croissance et des résultats de l'entreprise ; mais lorsque la situation se corse – et elle est problématique depuis maintenant sept ans –, l'exercice montre vite ses limites. Je ne sais pas si c'est la direction qui monte les salariés les uns contre les autres, mais la grève des pilotes, l'année dernière, quelle qu'en aient été les raisons, fut un séisme pour l'entreprise. Air France n'avait pas connu de grève aussi longue depuis 1998, et un conflit aussi dur laisse forcément des traces. Quant à nous, nous sommes fatigués du rôle de spectateurs observant la discussion entre la direction générale et ses pilotes.
Pour récapituler : oui, la direction générale porte une énorme responsabilité dans ce qui se passe ; non, les salariés n'en comprennent pas la stratégie. Nous sommes suspendus, de mois en mois, voire de semaine en semaine, aux résultats des négociations entre la direction et les pilotes. Cette situation dure depuis un an. Le management est parfaitement démotivé et ne sait plus quoi dire aux équipes. Il y a donc un problème majeur de communication. Mais les raisons de cette détérioration invraisemblable de la situation remontent au blocage entre la direction et les pilotes – personnel essentiel dans une compagnie aérienne. La CFDT n'accepte plus ce rôle de simple spectateur, sachant qu'au final, ce sont nos syndiqués – le personnel au sol – qui serviront de variable d'ajustement.
Nous avons été à l'initiative du droit d'alerte, donc nous l'avons évidemment voté. En effet, la CFDT est absolument opposée au plan B – un plan d'attrition qui consiste à supprimer quatorze avions de la flotte en cas d'échec des négociations. La direction entretient cette menace depuis plus d'un an, mais lorsque la date butoir tombe, le conseil d'administration redonne finalement du temps à la négociation en votant la mise en oeuvre du plan B en deux temps : le retrait de cinq avions en 2016, puis le reste en 2017. Pour apprécier les positions de chacun, vous pouvez consulter les procès-verbaux du CCE. Alors que la direction cite l'exemple de British Airways et de Delta – qui ont réussi à rebondir après avoir mis en place des plans difficiles –, ce n'est pas ce scénario-là qui nous attend, mais celui d'Alitalia, inacceptable. Le plan B n'étant pas totalement enclenché, il reste encore du temps pour la négociation, et la CFDT demande précisément à négocier pour parvenir à un accord de cadrage intercatégoriel. À chacun de prendre ses responsabilités et de mesurer sa capacité de dialogue, mais le plan B est inenvisageable pour notre syndicat.