Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir invitée et je vous suis très reconnaissante de l'accueil que vous avez réservé aux députés allemands lundi, ainsi que de la possibilité offerte à mon collègue M. Ischinger et au général Finster d'apporter leur contribution aux débats sur votre Livre blanc. Je suis heureuse que cette fructueuse coopération – dont les jumelages, idée révolutionnaire, sont un autre pilier – coïncide en outre avec les préparatifs du cinquantenaire du traité de l'Élysée.
J'aborderai tout d'abord sous l'angle de la politique de sécurité la réforme de la Bundeswehr, qui, vous le savez, a déjà subi une profonde transformation il y a une vingtaine d'années, devenant l'« armée de l'unité » après la fin de la partition de l'Allemagne. Je vous présenterai ensuite les principes directeurs de la politique de défense qui président à sa restructuration.
La réforme de la Bundeswehr en est actuellement à la phase de mise en oeuvre. À l'issue de ce processus, l'armée aura été en grande partie restructurée. La réorientation est rendue nécessaire par la modification du cadre international : les défis en matière de politique de sécurité se font plus complexes et leur nombre ne semble pas près de diminuer. La réorientation de la Bundeswehr permet ainsi à l'Allemagne de conserver sa capacité d'action et d'être un allié fiable.
Depuis l'époque de la guerre froide, la notion de sécurité s'est étendue. Outre les menaces que représentent les armes de destruction massive, on voit émerger des menaces d'un nouvel ordre, dont les cyberattaques. La mise en danger potentielle d'infrastructures sensibles, telles que les systèmes d'information ou les circuits de commercialisation, devient un enjeu de plus en plus crucial de la prévention nationale des risques. Aux menaces concrètes s'ajoute un nombre croissant de dangers d'un nouveau type – je pense aux réseaux internationaux du crime organisé ainsi qu'aux conséquences des catastrophes climatiques et écologiques. Par ailleurs, nous devons tenir compte de la raréfaction des matières premières, des difficultés d'approvisionnement en ressources ainsi que des épizooties et des épidémies.
La sécurité ne se définit donc plus exclusivement selon des critères géographiques, puisque les événements qui ont lieu dans des régions situées à la périphérie de l'Europe peuvent avoir des répercussions immédiates sur la sécurité de l'Allemagne. Des crises et conflits peuvent surgir à tout moment, et de manière imprévisible. Il faut alors pouvoir agir rapidement, parfois à grande distance. Les expériences des dernières années et l'analyse des évolutions récentes nous conduisent ainsi à modifier les instruments de notre sécurité. Les forces armées ne sont pas toujours concernées, mais elles sont confrontées à de nouvelles exigences qui relèvent d'un projet interministériel.
Les pays émergents pèsent de plus en plus, y compris du point de vue de la sécurité. Nouveaux acteurs sur la scène internationale, ils cherchent leur place. Nous devons aussi nous adapter à cette réalité. Par ailleurs, des régions entières, au Proche-Orient et en Afrique du Nord, connaissent des bouleversements parfois violents. Il n'est jamais totalement exclu que les conflits se propagent à d'autres régions, on le voit en Syrie, avec des menaces sur la frontière entre la Syrie et la Turquie, le Liban ou la Jordanie. Nous en faisons également la triste expérience depuis de nombreuses années dans l'ouest des Balkans.
Si l'Allemagne veut prévenir efficacement les nouveaux dangers, elle doit les combattre assez tôt et, surtout, activement. L'action du gouvernement fédéral est guidée par deux critères. Premièrement, nous utilisons tous les instruments dont nous disposons, selon une approche globale (comprehensive approach). Cela signifie que les mesures économiques, de développement, diplomatiques, policières et militaires doivent aller de pair, car aucun des conflits auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui ne saurait être résolu par des moyens purement militaires.
D'un autre côté, les moyens militaires ne doivent pas être exclus. L'intervention de la Bundeswehr n'est qu'un instrument parmi d'autres, mais un instrument essentiel. Quelle que soit la zone d'intervention, le gouvernement fédéral est mû par cette conviction : pas de développement possible sans sécurité, pas de sécurité possible sans développement. En Afghanistan, nous avons appliqué ce principe à de multiples égards.
Deuxièmement, dans un monde globalisé, l'Allemagne, pas plus qu'un autre pays, ne peut résoudre seule les conflits. Comme tous ses partenaires, y compris les États-Unis, elle doit compter sur les alliances et les partenariats. L'OTAN, et notre étroite relation avec les États-Unis restent le pilier de notre politique de sécurité. Au cours des dernières années, l'Allemagne s'est impliquée pour que notre alliance soit moderne et efficace. Elle a participé à plusieurs missions de l'OTAN : l'Allemagne est le troisième contributeur de troupes de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) et le premier fournisseur de contingents de la KFOR. Les budgets de la défense étant eux aussi soumis à des restrictions, la mutualisation et le partage des ressources – pooling and sharing – permettent aux États d'accéder ensemble à des capacités au sein de l'OTAN qu'ils n'auraient plus individuellement.
Parallèlement à l'OTAN, notre action en matière de sécurité s'insère également dans la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'Union européenne. Pour l'Allemagne, l'OTAN et la PSDC forment un tout cohérent ; elles se complètent et chacune apporte une valeur ajoutée spécifique et incontournable. Par le biais de ses missions, la PSDC oeuvre en faveur de la sécurité et de la paix en de nombreux lieux dans le monde. Depuis la création de la Communauté économique européenne (CEE), la politique allemande se définit par sa défense d'une Europe libre et unie ainsi que par sa volonté de concourir à une intégration européenne englobant tous les domaines politiques concernés. En tant que communauté politique, l'Europe doit désormais accroître sa capacité d'action en matière de sécurité afin de pouvoir exercer ses responsabilités et relever de manière autonome les défis de la sécurité commune à l'intérieur et en dehors de l'Europe.
Actuellement, l'Europe travaille activement à son futur engagement au Mali. On ne peut accepter que le terrorisme international bénéficie d'une zone de repli sûre au nord du pays. Or, nous savons que les forces armées maliennes, trop faibles pour agir, ont besoin d'un soutien extérieur. C'est la raison pour laquelle la chancelière fédérale a déclaré très tôt que l'Allemagne était prête à participer à une mission de soutien au Mali si les conditions en étaient définies et réunies. Nos partenaires français ont réagi très favorablement à cette prise de position, ce dont je me réjouis. Comme eux, nous jugeons décisif que tout ce qui se passe au Mali soit pris en main par l'Afrique elle-même et s'appuie sur des décisions du Conseil de sécurité de l'ONU. Nos ministres des Affaires étrangères, MM. Fabius et Westerwelle, ont souligné dans une tribune conjointe le consensus franco-allemand sur la question du Sahel.
L'Allemagne est très engagée dans les missions de la PSDC. Souvenez-vous par exemple de la mission de sécurisation des élections en République démocratique du Congo en 2006, dont l'état-major stratégique était installé à Potsdam. L'implication de l'Allemagne s'illustre également dans les missions en cours, par exemple EULEX au Kosovo ou encore l'opération Atalante de lutte contre la piraterie dans la Corne de l'Afrique. Vous le savez, toute participation à une opération militaire armée requiert un mandat du Bundestag ainsi qu'un mandat international conformément à l'article 24(2) de la Loi fondamentale, sauf s'il s'agit d'un cas de légitime défense collective au sens de l'article 51 de la Charte des Nations unies.
La politique de sécurité européenne est caractérisée par une étroite imbrication des moyens civils et militaires. L'Allemagne est favorable à son optimisation et au renforcement du volet civil de la PSDC. Mais cette évolution doit être sous-tendue par un consensus sur les défis, les intérêts et les actions possibles.
Grâce à sa réorientation, la Bundeswehr s'adapte avec cohérence au nouveau contexte de ce début de XXIe siècle. Ses structures et capacités sont revues pour tenir également compte des évolutions démographiques et pouvoir être financées à long terme. La réforme de la Bundeswehr repose sur les principes directeurs de la politique de défense présentés en 2011 par le ministre fédéral de la défense, M. de Maizière. Ces principes s'articulent autour des axes suivants : préservation des intérêts nationaux, prise de responsabilités sur la scène internationale et action commune pour la sécurité. Ils décrivent le cadre stratégique de la vocation et des missions de la Bundeswehr et formulent les objectifs de la politique de sécurité et les intérêts de la République fédérale d'Allemagne dans ce domaine.
Outre le contexte stratégique de sécurité que je viens d'évoquer, des questions essentielles sont en jeu, qui ont conduit à définir des valeurs, des objectifs et des intérêts. Je ne citerai ici que les principaux. D'abord, les intérêts de l'Allemagne, sa responsabilité dans l'Europe et le monde. Parmi eux figurent notamment la sécurité et la protection des citoyens allemands ainsi que la préservation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de l'Allemagne et de ses alliés. L'Allemagne entend contribuer à prévenir et résoudre les crises, et défendre ainsi de manière durable et crédible ses positions en matière de politique étrangère et de sécurité. L'Allemagne défend le respect des droits de l'homme, des principes démocratiques et du droit international dans le monde entier. Parmi nos objectifs figurent également la réduction de la fracture entre régions pauvres et riches du globe, un commerce mondial libre et sans entraves ainsi que la garantie du libre accès à la haute mer.
Ensuite, la Bundeswehr doit être dotée des capacités qui lui permettent d'exercer ses missions dans tous les domaines. S'agissant de la coopération internationale, les partenariats servent à nouer des liens de confiance, à promouvoir la stabilité et, par là même, à prévenir les conflits armés. En ce qui concerne la protection du territoire et la prévention à long terme en matière de sécurité, une attaque conventionnelle et directe du territoire allemand étant aujourd'hui improbable, il n'est plus nécessaire de conserver le personnel tenu auparavant à disposition dans cette seule hypothèse. Cependant, en vue d'une prévention adéquate, le potentiel évolutif des forces armées est conservé et le service militaire universel et obligatoire reste inscrit dans la Loi fondamentale, malgré la suspension de la conscription obligatoire.
L'évolution cohérente des capacités civiles et militaires de l'Europe, de même que la coopération technologique et industrielle au sein de l'Union européenne, sont au service du renforcement politique de l'Europe, donc des intérêts nationaux en matière de sécurité. Sur ce point, l'Allemagne est en accord avec ses partenaires. En élaborant des projets bilatéraux et multilatéraux, elle affiche des initiatives constructives. Du fait de leur caractère spécifique, souligné par le traité de l'Élysée, et de leur exceptionnelle densité, les relations franco-allemandes jouent dans ce domaine un rôle primordial. Disposer d'une base technologique performante dans les domaines clés est la condition pour oeuvrer activement à la préservation et, le cas échéant, au développement d'une industrie européenne de l'armement qui soit compétitive.
Pour pallier les impondérables stratégiques durables et imprévisibles, la Bundeswehr doit pouvoir conserver un éventail large et flexible de capacités militaires. Les opérations en cours ne constituent qu'une base d'orientation. La Bundeswehr doit disposer des ressources nécessaires pour mener des opérations de toutes sortes allant jusqu'aux missions d'observation, d'assistance, conseil et formation, ou encore de prévention en matière de sécurité.
Mais parvenir à exercer toutes ces missions reste un défi. Les adaptations se font toujours dans des conditions difficiles. À l'instar de la France, l'Allemagne est soumise à des contraintes budgétaires. Des fermetures de sites et des réductions d'effectifs seront inévitables. Ainsi, le nombre des installations de la Bundeswehr passera de 394 à 264 et celui des soldats de 220 000 à 185 000. En ce qui concerne le matériel, l'industrie allemande de l'armement continuera d'apporter une contribution décisive à la production d'équipements modernes et performants ainsi qu'à la fourniture d'une assistance technique et logistique en vue de leur utilisation. L'Allemagne acquiert ce dont elle a besoin et ce qui est financièrement accessible, et non ce qu'elle voudrait bien avoir ou ce qui est proposé.
Cela étant, du fait de la baisse des stocks, le renforcement de la coopération militaire entre les États européens doit également se traduire dans le domaine industriel. Il sera essentiel d'adopter une démarche synergique concertée dans la mise au point, l'acquisition et l'utilisation de systèmes militaires afin de garantir à l'Europe les capacités militaires dont elle a besoin. Cela vaut également pour la coopération en matière de technologies de l'armement au sein de l'Alliance ainsi qu'avec d'autres partenaires internationaux. Les capacités industrielles seront d'une grande importance partout où la Bundeswehr apportera des capacités significatives et reconnues pour l'exécution de missions nationales ou de missions au sein des alliances. À l'image de la Bundeswehr, l'industrie de l'armement devra faire preuve de souplesse face à des objectifs qui évoluent. Ce sera pour elle le seul moyen de contribuer à la prévention nationale à long terme en matière de sécurité.
L'enjeu de la réforme de la Bundeswehr est double. Il s'agit, d'une part, de supprimer la bureaucratie et les doublons dans la répartition des compétences ; d'autre part, de montrer que la Bundeswehr est non seulement une armée efficace, mais aussi un employeur attrayant. Après la suspension du service militaire obligatoire et au vu de l'évolution démographique en Allemagne, c'est là un double impératif. La Bundeswehr doit rester une organisation moderne et efficace. C'est ce qui a motivé l'ouverture du grand chantier de la réforme.
Quelques mots enfin sur la dimension parlementaire. La Bundeswehr est une armée parlementaire. Chacune de ses interventions armées doit être décidée par le Bundestag. Le mandat délivré par le Parlement a toujours une durée de validité limitée et s'appuie en premier lieu sur le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. Par ailleurs, il précise et limite en principe la zone d'intervention – en Afghanistan, par exemple, il s'agissait du nord du pays. Et le contrôle parlementaire s'exerce en permanence grâce aux informations communiquées régulièrement par le gouvernement au Bundestag, en l'espèce à ses commissions de la défense et des affaires étrangères. En cela, l'Allemagne se distingue fondamentalement de la France.