Intervention de Marie-Christine Steckel-Assouère

Réunion du 4 novembre 2015 à 9h00
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences HDR, présidente de la commission « Réforme territoriale » du GRALE-CNRS :

En 1947, Jean-François Gravier écrivait Paris et le désert français. Je me demande si, à l'horizon 2020, nous ne risquons pas, sans mesures de correction, de déplorer autour des grandes métropoles françaises des déserts ruraux.

Grâce à votre commission et sans doute aussi aux revendications des associations d'élus, le Premier ministre a annoncé le report de l'entrée en vigueur de la réforme de la DGF en 2017. C'est une sage décision. Dès lors que les schémas de coopération intercommunale sont encore en cours d'élaboration, cette réforme était prématurée.

À mon sens, il est indispensable de lier les réformes territoriales et les réformes institutionnelles. La recentralisation financière ainsi que la réorganisation territoriale en cours, à marche forcée, provoqueront, à l'horizon 2020, deux déséquilibres pour le bloc local : l'un provoqué par le financement des investissements, l'autre par le désengagement de l'État dans le financement du bloc local.

S'agissant du premier, les perspectives négatives pourraient être adoucies par des mesures de correction, sans pour autant que celles-ci permettent de renverser la tendance. Ces perspectives négatives tiennent à l'effet ciseau qui ne cesse de s'aiguiser, avec des dépenses de plus en plus importantes mais des ressources de plus en plus faibles pour les financer. Il est légitime et louable de prévoir l'accès des services publics aux handicapés, d'appliquer les normes issues du Grenelle ou d'augmenter la rémunération des catégories C. Mais il est difficile pour les collectivités de faire face à ces dépenses dès lors que, parallèlement, on diminue leurs ressources mais aussi les moyens de jouer sur leurs ressources propres.

Parmi les dépenses en augmentation, il y a les mises aux normes obligatoires en matière d'hygiène et de sécurité. Mais il y a aussi la mutualisation imposée au sein du bloc communal. Il ressort des enquêtes que nous avons menées par le Groupement de recherche sur l'administration locale en Europe (GRALE) qu'il n'y a pas d'économies d'échelle à attendre, ni à court ni à moyen terme. Les économies seront réalisées sur le long terme. Dans un premier temps, une augmentation des dépenses est même plus probable. Parallèlement, les ressources sont moindres puisqu'il a été décidé que les subventions apportées par les départements et les régions seraient limitées et que la part des communes maître d'ouvrage devait être de 20 %. Ces règles restreignent les investissements. Quant à l'emprunt, il peut certes constituer une ressource pour financer l'investissement, d'autant que les taux d'intérêt sont bas. Mais, contrairement à l'État, qui est tombé dans la spirale de l'endettement, les collectivités y ont échappé parce qu'il leur est interdit d'emprunter pour rembourser un emprunt ou pour financer du fonctionnement.

À force d'augmenter les dépenses et de diminuer les ressources, il est à craindre une diminution de l'investissement mais aussi des problèmes pour faire face aux dépenses de fonctionnement, plus précisément pour les communes. Au regard des réformes menées, la situation des intercommunalités sera plus confortable.

Quelles mesures prendre pour atténuer ces perspectives négatives ?

S'agissant des dépenses, l'idée d'un moratoire sur les normes, qui imposent des dépenses contraintes aux collectivités et les mettent en difficulté, commence à être mise en application. Les communes nouvelles semblent se présenter comme une solution plus consensuelle que les fusions pour limiter les dépenses d'investissement et d'équipement. La mutualisation pour une utilisation beaucoup plus importante des équipements publics est une autre piste à explorer.

La réforme de la DGF est intéressante en ce qu'elle permet de prendre en compte les dépenses de ruralité et de centralité. Mais alors qu'elle relève normalement de la péréquation verticale, la DGF est de plus en plus utilisée pour de la péréquation horizontale. À enveloppe constante, voire réduite, on donne plus aux collectivités les plus défavorisées en prenant sur les communes les plus favorisées, qui subissent donc une baisse supplémentaire de leurs dotations.

On peut aussi trouver des solutions du côté des ressources. En matière d'investissement, La Banque postale, la Banque européenne d'investissement et la SFIL (Société de financement local) prêtent aux collectivités pour faciliter leurs investissements. Encore faut-il que celles-ci puissent rembourser. Or, si leur capacité d'autofinancement ne cesse de se réduire, comment feront-elles pour inscrire dans la durée les dépenses ? La constitution d'un fonds pour l'investissement local doté de 1 milliard d'euros est certes une bonne chose en ce qu'il permettra d'orienter les dépenses vers l'investissement. Néanmoins, toutes ces mesures ne feront qu'atténuer les effets de la baisse des dotations, elles ne les compenseront pas.

À l'horizon 2020, on observera aussi un déséquilibre provoqué par le désengagement de l'État dans le financement du bloc local.

Les conséquences négatives ne sont pas que des perspectives. D'ores et déjà, certaines collectivités réduisent les horaires de certains services publics ou les ferment ; elles baissent les subventions, notamment en faveur des associations ; elles jouent sur les recettes en augmentant les tarifs des services publics. Avec la diminution des dépenses, qu'en est-il des services de proximité et de l'aménagement équilibré de notre territoire ?

Des mesures positives pourraient nuancer ce tableau. S'agissant des ressources fiscales, s'il n'y a pas de levier pour les départements et les régions, les communes et les intercommunalités peuvent jouer sur le taux, mais celui de quels impôts ? Taxe d'habitation ou taxe foncière ? Les ménages supportent déjà une pression fiscale très importante. Cotisation foncière sur les entreprises ? Là encore, la hausse doit être limitée, car la suppression de la taxe professionnelle était précisément justifiée par ses effets contre-productifs sur l'économie. Reste la révision des valeurs locatives, dont le processus est engagé pour les bâtiments industriels et commerciaux, pas encore pour les habitations. Une fois de plus, la marge de manoeuvre est assez faible, car il faudra un lissage dans le temps. Pour les bâtiments commerciaux, un coefficient de neutralisation devrait être appliqué. Quelle est donc la marge réelle des collectivités ?

J'en viens à la péréquation horizontale. Le fonds de péréquation intercommunale (FPIC) part d'une bonne intention. Mais le système actuel a des effets pervers : des communes riches dans des intercommunalités pauvres ne vont pas contribuer et, inversement, des communes pauvres dans des intercommunalités riches sont appelées à contribuer. Quant au transfert des frais de gestion aux collectivités, il ne faut pas en attendre des miracles. Cette mesure, intéressante au demeurant, produira des résultats assez faibles.

Le pilotage doit être global : toutes les administrations publiques sont concernées. Les mesures de compensation – qu'il s'agisse du fonds pour l'investissement, du transfert des frais de gestion ou du FCTVA dans un premier temps – ont pour conséquence de déshabiller l'État. La situation budgétaire permet-elle véritablement de faire ces réformes ?

Nous sommes à un carrefour. Cette période difficile devrait inciter l'État à réfléchir au rôle des administrations publiques. Il est temps d'engager des discussions sur un pacte social au travers duquel on s'interroge sur les dépenses qui doivent être financées en priorité par les collectivités. Je rejoins ici l'idée intéressante d'une consultation populaire, quoique bien difficile à réaliser, j'en conviens.

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