Intervention de Guy Gilbert

Réunion du 4 novembre 2015 à 9h00
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Guy Gilbert, professeur émérite, Centre d'économie de la Sorbonneécole normale supérieure de Cachan :

Je suis à l'origine des premiers travaux en France sur l'évaluation des effets péréquateurs des dotations de l'État. Ils ont donné lieu à la rédaction d'un article dans la LOLF qui impose que cette péréquation soit effectuée de façon quinquennale. Cet article n'est plus appliqué dès lors que certaines mesures prises ont eu un caractère anti-péréquateur, en contradiction avec une lecture littérale de l'alinéa 5 de l'article 72-2 de la Constitution à laquelle il serait temps de revenir.

J'ai bien étudié les dispositifs de péréquation territoriale dans le monde et les ingrédients qui en font le succès ou, tout au moins, qui facilitent leur bonne insertion dans les systèmes nationaux de finances publiques. Premièrement, il s'agit de péréquations modestes : on n'affiche pas des objectifs sauvages de redistribution si on veut un système pérenne. Deuxièmement, si le système est pérenne, il produit des effets de « ciseaux ouvrants », qui sont réellement péréquateurs, et non pas des gesticulations barémiques. Mes propos n'ont rien de métaphorique : ils sont en phase avec l'histoire de la montée en puissance des fonds de péréquation consécutive à la réforme fiscale de 2010. Troisièmement, ce sont des systèmes transparents, qui reposent sur deux piliers. Le premier, c'est la compensation des écarts de richesse fiscale. Mais on ne corrige pas n'importe quoi, on corrige du potentiel fiscal. Une bonne partie des effets pervers que vous soulignez tient à ce que nous avons aujourd'hui un mauvais critère de potentiel fiscal, et nous savons en partie pourquoi : parce que nous y avons intégré des éléments qui n'avaient rien à voir avec le potentiel fiscal. Cela a été dit et redit, mais il n'y a pas eu de changement et on comprend pourquoi : il suffit de regarder l'ampleur des montants que représentent les transferts.

Un système qui fonctionne est un système lisible. C'est facile avec le critère du potentiel fiscal ; c'est difficile avec le critère de charges, à tel point que certains pays ont abandonné ce critère – le deuxième pilier. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Enfin, les systèmes doivent être régulièrement évalués. Or ils ne le sont pas vraiment. Il suffit de parcourir les différents rapports récents consacrés à cette question pour s'en convaincre. Nous possédons les outils mais nous ne les utilisons pas. Le problème n'est donc pas technique.

S'agissant de l'articulation éventuelle entre des mesures de redistribution individuelle et une péréquation territoriale, on a tendance, individualisme aidant, à remettre en cause la péréquation territoriale au motif qu'on pourrait se contenter d'enlever aux plus aisés pour redonner aux plus démunis. Les objectifs poursuivis par la péréquation individuelle et la péréquation territoriale ne sont pas les mêmes. Ils sont même fortement décorrélés. Avec la seule péréquation individuelle, le territoire serait composé d'hyper-agglomérations et d'espaces interstitiels vides.

La péréquation territoriale offre une réponse à ce problème. Les deux politiques sont certainement plus complémentaires que contradictoires. On comprend les intérêts de certains à minorer la péréquation territoriale et à se contenter de la redistribution entre les individus. Je crois que c'est une très mauvaise idée.

La montée en puissance de la péréquation en France a été facile et très efficace. Nous avons pu montrer en 2004 que 40 % des inégalités de potentiel fiscal corrigé des charges d'une commune à une autre étaient corrigées par le système de péréquation. On peut regretter que ce ne soit pas 100 %, mais 40 %, ce n'est pas négligeable.

Le contexte est extraordinairement difficile : la France est attachée à un émiettement territorial qui trouve ses racines dans l'histoire et présente certainement de nombreux avantages, mais qui a au moins un inconvénient : il génère des inégalités de richesse fiscale considérables. On veut les corriger, c'est une bonne chose, mais il faut y consacrer beaucoup de ressources.

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