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Intervention de Dominique Potier

Réunion du 10 novembre 2015 à 16h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Madame la présidente, je sais qu'il n'y a aucune ironie de votre part lorsque vous parlez de mon côté poète. Cette touche de sympathie me va droit au coeur.

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant la commission des affaires économiques sur un sujet qui a une dimension économique très forte. Je suis convaincu que le plan Ecophyto est la mesure la plus pointue du plan agro-écologique, qui est la politique gouvernementale aujourd'hui. Elle en est à la fois l'indicateur et le signe de réussite.

Cette mission m'a été confiée par le Premier ministre il y a un an et demi. Tout au long de cette mission, qui a duré six mois, j'ai été entouré de cinq ingénieurs. J'ai eu l'occasion de rencontrer près de 200 personnes à travers quatre-vingt-dix auditions et sept déplacements qui m'ont conduit dans différents systèmes d'exploitation en France. J'ai pu voir ceux qui explorent les « champs du possible » et, en tout cas je l'espère, les « champs du futur ».

Cette mission passionnante m'a permis de renouer avec mon ancien métier, avec le monde agricole que je n'ai jamais abandonné et que j'ai pu redécouvrir sous l'angle de l'innovation et des coopérations telles qu'elles se déroulent aujourd'hui un peu partout.

Il s'agissait d'évaluer à mi-parcours le plan Ecophyto qui a été conçu dans le cadre du Grenelle de l'environnement et qui constitue également la mise en oeuvre française de la directive de 2009128CE instaurant un cadre communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Nous sommes donc dans le contexte du Grenelle de l'environnement avec un foisonnement d'initiatives, une tradition très collégiale et très participative. Comme il était très peu question d'énergie dans le Grenelle de l'environnement, il fallait donc donner des signes très forts dans d'autres domaines comme ceux du traitement des déchets ménagers et des produits phytosanitaires. Cela peut expliquer l'ambition portée à l'époque de diminuer de 50 % l'usage de la phytopharmacie dans notre pays dans un délai de dix ans. L'histoire raconte que le Président de la République ou le Premier ministre ont ajouté, derrière cet objectif de 50 %, les mots « si possible », ce qui peut tuer l'ambition.

Je suis profondément convaincu que les auteurs de ce plan ont fait preuve de sincérité et qu'ils ont vraiment pris conscience des dangers sanitaires et environnementaux, du mésusage et de l'usage excessif des produits phytosanitaires et du désir partagé, par la majorité comme par l'opposition, et par toutes les parties prenantes, de sortir de ce que l'on peut appeler une addiction à l'usage des pesticides tels qu'ils étaient en place dans le paysage français.

95 % des pesticides répandus sont à usage agricole et 5 % à usage non agricole – jardins publics ou privés, golfs, etc. Nous sommes donc pour l'essentiel sur des questions agricoles, dont les deux tiers concernent les cinq cultures dominantes que sont le blé, le colza, la pomme de terre, l'arboriculture et la viticulture. Alors que l'arboriculture et la viticulture représentent moins de 5 % de la surface agricole utile, plus de 20 % des usages sont concentrés sur les productions de blé et le colza, deux productions extrêmement sensibles qui ont fait l'objet d'études particulières dans la mission qui m'a été confiée.

Le plan Ecophyto a permis au monde agricole de prendre conscience du danger pour les agriculteurs eux-mêmes d'une mauvaise pratique des produits phytosanitaires. 200 000 agriculteurs ont obtenu le Certiphyto où sont dispensés à la fois une mise en garde et des conseils d'usage. Personne ne nie aujourd'hui les risques liés pour les praticiens eux-mêmes.

À côté de Certiphyto, toute une série de dispositifs ont été inventés, notamment par le ministère de l'agriculture et le ministère de l'environnement. Je pense au bulletin de santé du végétal, aux fermes Dephy, et à une dizaine de dispositifs de recherche et de développement et de vulgarisation, qui ont permis d'outiller notre pays sur l'usage des produits phytosanitaires. Une politique publique est donc mise en place, en lien avec les organisations agricoles dans leur diversité.

Pour autant, les résultats ne sont pas au rendez-vous puisque, après un premier résultat positif en 2012-2013, force est de constater que la tendance est à la reprise et que nous ne parvenons pas à diminuer l'usage des produits phytosanitaires. Nul besoin d'être un grand mathématicien pour comprendre que l'objectif de diminution de 50 % sur dix ans de l'usage des produits phytosanitaires ne sera pas atteint puisqu'il s'est traduit par une augmentation de 2 % au bout de cinq ans. Il faut donc avant tout comprendre pourquoi la prise de conscience culturelle et l'outillage mis en place ne suffisent pas à modifier la donne.

Comment notre pays a-t-il évolué entre 2009 et 2014 ?

Les prix des matières premières végétales sont restés élevés durant trois années. Dès lors, le décideur, c'est-à-dire, l'agriculteur, arbitre très souvent en faveur du maintien d'une certaine intensification à la fois en intrants chimiques et en engrais qui lui garantissent plus sûrement un rendement qui sera rémunérateur et qui contribuera à son revenu. L'arbitrage économique est donc défavorable dès lors que le prix des matières premières végétales, notamment le prix des céréales, connaît des oscillations à la hausse.

À cela s'est ajoutée une longue période de météorologie défavorable, des printemps ou automnes « pourris », comme on dit dans la profession, qui n'ont pas favorisé la maîtrise des produits phytosanitaires puisqu'il faut intervenir plus fréquemment pour lutter contre les agresseurs.

Une mauvaise météorologie et des prix élevés : voilà le mauvais cocktail qui rend difficile la maîtrise de l'usage des phytosanitaires.

Un autre phénomène a été constaté, celui de l'agrandissement des exploitations agricoles, de leur spécialisation et, par là même, de la dépendance plus importante aux solutions phytopharmaceutiques. Dans le même temps, on a observé un recul de la polyculture élevage, des rotations longues et une tendance à la spécialisation sur des rotations sur deux années, notamment des colza-blé très consommateurs de pesticides.

On pourrait se satisfaire de cette situation puisque, si nous stagnons, d'autres pays continuent de progresser dans l'usage des produits phytosanitaires. Mais ce discours n'est pas de nature à nous consoler ou atténuer l'évaluation du plan Ecophyto.

Tous les travaux que nous avons faits révèlent que depuis 2008-2009 tous les indicateurs de risques se sont renforcés. Nous sommes quasiment sur une terra incognita en ce qui concerne l'air et la microbiologie du sol. Nous savons en effet très peu de chose des effets à long terme des pollutions chimiques sur la santé du sol et sur la qualité de l'air. Une des recommandations fortes de la mission est d'augmenter notre connaissance et notre exploration en la matière.

Un rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pourrait justifier une évaluation et une remise en cause des pratiques agricoles telles que nous les connaissons. En effet, le travail collectif qui a été réalisé par l'INSERM et publié à mi-parcours de la mise en place du plan Ecophyto modifie la donne en matière d'appréhension des questions de santé puisque les intuitions deviennent des quasi-certitudes. Puis apparaissent ce que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) appelle les pollutions à bas bruit, les effets cocktail et tous ces risques qui vont se manifester à travers des perturbations endocriniennes qui sont aujourd'hui l'objet d'études et d'attention dans la communauté scientifique. L'INSERM révèle qu'il ne s'agit pas d'un risque fantasmé mais d'un risque réel et qu'il convient de multiplier les efforts en la matière.

Si les quantités d'usage ont stagné ou légèrement augmenté sur la période, il convient de souligner que le retrait des molécules à l'échelle européenne mais aussi française a certainement permis de baisser la pression d'impact dans les domaines que nous connaissons sur les plans sanitaire et environnemental. Il reste que le bilan est globalement négatif. Force est de constater que, malgré tous les efforts déployés – près de 40 millions d'euros par an de redevance pour pollutions diffuses perçus sur l'agrochimie –, les moyens d'action sont inefficaces sur des leviers majeurs. Ces leviers majeurs, ce sont notamment les rotations, la sole de la ferme France, la régulation des marchés et surtout la décision économique de l'agriculteur lui-même.

C'est à l'aune de ces résultats et à travers le tour de France qui nous a conduits jusqu'à l'île de La Réunion que j'ai pu, avec toute une équipe et en lien avec les ministères concernés, faire soixante-huit propositions qui permettent de fixer un nouveau cap et de donner des moyens d'action publique pour les atteindre.

Tout d'abord, il s'agit de maintenir le cap, de prendre acte que nous n'avons pas progressé pendant cinq ans, et qu'il convient de redonner un espace-temps significatif. Plutôt que de fixer une période de dix ans pour obtenir l'objectif de 50 % de réduction de l'usage des produits phytosanitaires, je propose deux étapes : une première étape de cinq ans avec un objectif de réduire de 20 à 25 % l'usage des produits phytosanitaires, et une seconde étape qui nous permettra, à l'horizon de dix ans, d'aller vers un objectif de 50 %. Pour cela, nous installons une vigie des impacts à 360 degrés qui nous permet de mobiliser des indicateurs nouveaux. Nous voulons élargir le champ. Nous ne pouvons pas traiter des produits phytosanitaires si nous ne parlons pas de politique des nitrates ni, plus globalement, d'agro-écologie. Nous ne pouvons pas séparer une politique phytosanitaire d'une politique d'agro-écologie telle que Stéphane Le Foll la promeut depuis qu'il est ministre de l'agriculture.

Il faut remettre l'entreprise au centre. De nombreuses infrastructures de recherche et de conseils sont engagées autour du plan Ecophyto et 40 millions d'euros ont été mobilisés. Mais nous savons qu'au final c'est l'agriculteur qui prend la décision avec des pressions et des indicateurs qui ne sont pas seulement ceux des chambres d'agriculture ou des instituts, mais des distributeurs dans leur diversité. C'est bien autour de l'entreprise et dans le B to B qu'il faut trouver une partie des solutions.

Il faut jouer collectif. Les solutions passent par une agriculture de groupe en termes de conseillers et d'émulation. Les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) seront le cadre idéal de ces solutions alternatives et de déploiement de l'agro-écologie.

Il faut aussi des moyens supplémentaires. J'ai demandé à ce que soient mobilisés au minimum 60 millions d'euros supplémentaires, au-delà des 40 millions d'euros déjà dégagés. J'avais même fixé une trajectoire à 100 millions d'euros qui s'ajoutaient aux 40 millions existants. Lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative l'année dernière, j'ai défendu un amendement qui prévoit de majorer la redevance pour pollutions diffuses et d'augmenter de 30 millions d'euros les crédits. Si nous ne sommes pas au niveau que j'aurais souhaité, nous sommes parvenus à un quasi-doublement des moyens publics avec une condition : que chaque euro supplémentaire mobilisé retourne à la parcelle, aide à la mutation dans l'entreprise sous forme de conseil matière grise, de matériel ou de solution alternative. Mais c'est bien un recyclage et un principe de mutualisation des moyens qui est visé à travers cette fiscalité.

Il faut territorialiser l'action. En effet, on ne peut pas régler de la même manière le problème du Midi viticole et celui de la Champagne. Les régions doivent être mobilisées. Elles ont des leviers d'action nouveaux. Par exemple, la compétence en matière de fonds européens va leur permettre, à travers le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), d'intervenir de façon beaucoup plus directe dans les outils d'accompagnement des entreprises agricoles. Les régions politiques, les régions administratives et les agences de l'eau doivent avoir des politiques territorialisées beaucoup plus affirmées.

Il faut aussi une culture positive sur ce sujet car nous voyons des guerres de tranchées s'organiser entre les pour et les contre. Les fantasmes et les positions radicales nuisent très souvent à un climat efficace pour l'action. Il me semble très important que cette recommandation soit prise en compte et que soit créée autour du plan Ecophyto II une culture positive qui permette de rassembler les consommateurs, les producteurs, les écologistes et les syndicats agricoles dans une démarche de progrès qui respecte des étapes et qui vise la triple performance économique, sociale et environnementale.

Pour atteindre l'objectif de réduction de 20 à 25 % de l'usage des produits phytosanitaires, les solutions, qui sont plutôt technico-économiques, sont aujourd'hui à notre portée. De façon un peu mystérieuse et étonnante, les solutions d'agro-équipement qui sont pourtant relativement rapides et efficaces, n'ont pas été prises en compte dans le plan Ecophyto I. Elles ont été victimes d'une politique très fragmentée. Il existait des politiques de modernisation du matériel mais qui n'étaient pas reliées entre elles et qui n'ont pas fait l'objet d'un suivi national de bon niveau. Voilà pourquoi je préconise que les solutions d'agro-équipement soient prises au meilleur niveau. Les outils de guidage numérique associés à du matériel de précision permettent d'obtenir des gains considérables.

Une piste qui est très valorisée mais dont il ne faut pas tout attendre est celle du biocontrôle. C'est une alternative biologique à une pratique chimique. Le biocontrôle représente aujourd'hui près de 5 % des solutions. Les plus optimistes estiment que, dans la décennie à venir, ce pourcentage pourrait passer à 15 %, c'est-à-dire qu'une pratique phytosanitaire sur sept pourrait s'exonérer de la dépendance à la chimie. Le ministre de l'agriculture a encadré le biocontrôle et les conditions de son épanouissement par des dispositions qui figurent dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, dans une logique de cluster, dispositions qui sont extrêmement prometteuses et qu'il est urgent de mobiliser.

Dans le même registre, il existe une démarche autour de la génétique végétale. Nous devons faire attention à sélectionner des variétés plus résistantes aux agresseurs, et notamment à ceux qui seront liés au changement climatique. Sans parler de mutagénèse, nous avons une véritable marge de manoeuvre du point de vue génétique rien que sur la collection des variétés primitives et sur une recherche réorientée vers la résistance aux maladies.

Enfin, des rotations allongées, s'appuyant notamment sur le maintien de la polyculture élevage mais aussi sur des rotations qui intègrent une troisième, voire une quatrième culture, offrent des perspectives intéressantes. On voit bien qu'elles sont en lien avec le plan protéines, à mon avis insuffisamment doté en France, qui vise à retrouver une autonomie fourragère et dont le gain en matière d'économie de phytosanitaires est immédiat. Une quatrième, voire une cinquième culture sous forme de protéagineux est de nature à diminuer très fortement la pression des maladies, des agresseurs, et à mieux maîtriser notre phytopharmacie.

Telle est la gamme des outils que je suggère de mobiliser dans la première partie de ce plan Ecophyto. La démultiplication des pratiques passe par l'augmentation du nombre de fermes Dephy, ces fameux laboratoires qui ont été accompagnés par la profession, les chambres consulaires mais aussi les coopératives agricoles. Ces fermes, qui passeraient de 2 000 à 3 000, ont démontré que le changement de pratiques, à coût des matières végétales égal et à météorologie égale, est une démarche pionnière, exigeante, alternative, innovante, qui permet d'obtenir les résultats visés. Il faut surtout enclencher le facteur dix, c'est-à-dire rayonner sur dix exploitations autour de chaque ferme Dephy et atteindre le seuil de 30 000 entreprises engagées dans la transition agro-écologique en France.

Ce seuil de 30 000 exploitations nous permettrait d'atteindre le seuil d'un sur sept » qui me semble être celui de la vulgarisation agricole. Lorsqu'une entreprise sur sept est dans cette démarche où tout le monde est en meilleure santé économique, environnementale et sanitaire, où il y a une certaine fierté des résultats obtenus, un effet d'entraînement peut alors s'opérer sur 50 % des exploitations agricoles. C'est le pari que nous pouvons faire : passer en cinq ans à 3 000 fermes laboratoires rayonnant sur 30 000 fermes engagées dans des formes très diverses – réseaux des chambres d'agriculture, des centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM), GIEE, coopératives d'utilisation du matériel agricole (CUMA) qui ont des objectifs de développement. Toutes les formes sont bonnes, elles ne s'opposent pas. Au contraire, elles doivent se compléter.

L'autre facteur de démultiplication, ce sont les certificats d'économie de produits phytosanitaires inspirés des certificats d'économie d'énergie. Les distributeurs, qu'ils soient coopératifs ou privés, ont comme objectif de proposer des CEPP à leurs mandants, leurs adhérents ou leurs clients, suivant leur statut. Ce sont bien les entreprises elles-mêmes qui, plutôt que de vendre des produits phytosanitaires, vont proposer des solutions de biocontrôle, d'agro-équipement ou des filières alternatives allongeant les rotations. Celles qui réussiront auront un bonus, celles qui échoueront auront un malus. Nous sommes dans une phase d'expérimentation avec des impacts financiers qui resteront mineurs. Il s'agit d'éviter des injonctions contradictoires : une chambre d'agriculture qui, d'un côté, dirait qu'il faut lever le pied, faire attention à la compétitivité globale de l'entreprise et à son impact sur l'environnement, et, d'un autre côté, d'autres indications qui, tirant parti d'opportunités économiques, négligeraient les facteurs d'externalité.

Tels sont les éléments qui, dans les cinq années à venir, peuvent permettre de parvenir à baisser de 20 à 25 % l'utilisation des produits phytosanitaires.

Si nous voulons aller au-delà, des réformes plus structurelles sont nécessaires. D'abord, il faut vérifier qu'il y a harmonisation des pratiques à l'échelle européenne. Je pense à la lutte contre la fraude pour éviter les contrefaçons et que certains échappent aux redevances fiscales. Il faut surtout harmoniser le régime des autorisations à l'échelle européenne. Il existe aujourd'hui des distorsions de concurrence en raison de régimes très disparates. Un producteur de pommes de terre dans les Ardennes est en concurrence directe avec des producteurs belges qui ont l'autorisation d'utiliser des produits qui sont interdits en France. Il faut aller vers une harmonisation par le haut des autorisations. Il faut aussi lutter contre les fraudes aux frontières. Je pense à l'Espagne et au quart nord est de la France. C'est un enjeu capital si nous ne voulons pas décourager nos producteurs.

Des outils de régulation à tous les niveaux sont nécessaires. La politique foncière, même si elle a connu quelques améliorations avec la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, est loin de tenir ses promesses. Réguler le foncier, permettre l'installation de jeunes agriculteurs, le renouvellement des générations d'agriculteurs, la diversité des structures d'exploitation agricole, c'est garantir la biodiversité de nos paysages et de nos sols. Sans régulation du foncier, tout le reste risque de n'être que littérature.

Il faut inventer une politique agricole commune 2020 qui amplifie l'effort agro-environnemental tel qu'il a été marqué par les mesures agro-environnementales et climatiques du deuxième pilier de la réforme de la politique agricole commune (PAC) en 2013. La PAC 2020 doit dès maintenant faire l'objet d'études et de prospectives. Jean Boiffin et moi-même avons largement suggéré une logique de production intégrée. Cette production intégrée, qui est la définition européenne de l'agro-écologie, devrait peut-être nous permettre de sortir d'une logique de guichet à partir de pratiques environnementales qui sont séparées les unes des autres pour avoir, entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle, un ou deux niveaux de pratiques agricoles qui, par leur cohérence et leur force, manifestent cette double performance économique et environnementale.

Déterminer un ou deux échelons de production intégrée et différencier les aides de la PAC, segmenter les marchés de l'alimentation locale et, pourquoi pas, l'accès à des marchés publics dans le cadre des plans alimentaires territoriaux : voilà un beau chantier pour ceux qui, dès maintenant, doivent commencer à bâtir une nouvelle PAC.

Il ne faut pas du tout désespérer des solutions scientifiques qui sont ouvertes aujourd'hui, tant par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) que par des instituts privés. Il y a des solutions qui n'existent pas encore mais qui sont dans les couveuses, dans les laboratoires, et qui apporteront en 2020, j'en suis certain, des réponses nouvelles à nos interrogations et aux impasses constatées sur le terrain.

L'une des propositions paradoxales de ce rapport est de permettre l'usage des produits phytosanitaires là où nous connaissons actuellement des impasses. Outre-mer, pour des productions spécialisées comme des productions semencières ou légumières, les fournisseurs de l'agrochimie, qui sont souvent des grandes multinationales, n'ont aucun intérêt, pour quelques centaines ou quelques milliers d'hectares, à instruire un dossier d'autorisation de mise sur le marché pour leurs produits, ce qui met les producteurs dans des situations d'impasse redoutable. Ces produits, que l'on ne peut pas ou plus produire sur le continent ou outre-mer, sont substitués par des produits issus de pays tiers dont le contrôle sanitaire et la charge en molécules chimiques sont moins sûrs que nos propres productions. Je propose donc que, de façon mutualisée, soit par un fonds dédié – j'ai imaginé une extension de l'usage du fonds destiné à la phytopharmacovigilance dont j'ai porté l'amendement lors de l'examen de la loi de finances pour 2015 – soit par l'extension de la redevance pour pollutions diffuses, nous prenions en compte la question des usages orphelins.

La France, par sa tradition sanitaire mais aussi par la radicalité des défis qui lui sont posés outre-mer en ce qui concerne l'exigence de qualité environnementale et sanitaire, a inventé des solutions tout à fait innovantes dans les Caraïbes autour de la banane. De même, j'ai vu des choses passionnantes en ce qui concerne la canne à sucre et la mangue à La Réunion. Nous pouvons être fiers des pratiques agronomiques et agroalimentaires des outre-mer qui servent un peu de laboratoires par la radicalité des situations pédoclimatiques et qui très souvent rayonnent de manière très positive dans l'Océan Indien ou dans les Caraïbes. C'est une vraie fierté que de voir l'agronomie et la sécurité sanitaire de la France à l'oeuvre dans ces régions du monde.

En conclusion, je préconise surtout un développement extrêmement important d'une alimentation de meilleure qualité. Produire autrement suppose que les consommateurs décident de consommer mieux – je les appelle les consommateurs éclairés. La relocalisation, la territorialisation de la question alimentaire et de la vocation des sols me semblent être de véritables pistes du futur. Elles doivent permettre aux producteurs de retrouver leur dignité et aux consommateurs d'être fiers de cette grande tradition française que sont les arts de la table et la qualité de l'alimentation. Bien sûr, la dimension européenne ne se résume pas à l'alignement des normes. Je plaide également pour une infrastructure de recherche-développement puissante à l'échelle européenne. Il nous faudrait un Airbus de la phytopharmacie, alternative du biocontrôle, de l'agro-équipement et des pôles de compétitivité démultipliés. Ce pourrait être une belle ambition pour notre pays, dont la compétitivité ne vise pas à tirer l'agriculture et l'agro-alimentaire vers le bas ou vers une segmentation des marchés qui méprise à la fois les populations du sud et les populations les plus fragiles, mais qui participe au renouveau productif et à une qualité des aliments pour tous, bref qui contribue au récit républicain.

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