Madame la présidente, voir des jardiniers amateurs qui viennent de tous horizons – ils peuvent être issus du monde rural ou être des néoruraux ou des urbains – faire revivre des variétés anciennes, planter un mirabellier, un pommier, etc. est peut-être la marque d'une mutation de notre société. Il faut encourager de telles pratiques autour de l'alimentation, des circuits courts et de l'autoproduction. Le plan Ecophyto I a beaucoup aidé les jardiniers amateurs et a accompagné les villes. Avec le plan Ecophyto II, nous proposons de passer à la vitesse supérieure. Pour ce faire, nous pourrons bénéficier d'expériences très positives. Je pense à la région Poitou-Charentes, qui a mis en place le plan Terre saine, et à la région Bretagne qui ont montré que les résultats sont au rendez-vous quand il y a une volonté. Sur leurs pancartes d'accueil, certaines communes affichent leurs pratiques avec des slogans comme « Commune zéro phyto ».
Madame de La Raudière, mon rapport est extrêmement détaillé. En fait, derrière ces soixante-huit propositions, il y a 150 solutions harmonisées. Toute une panoplie de solutions concerne les cités. Par exemple, nous avons proposé que, dès 2016, les produits les plus toxiques, les plus dangereux soient placés à l'arrière du comptoir, c'est-à-dire qu'ils ne soient plus en libre-service et qu'ils fassent l'objet d'un conseil adapté. La ministre de l'environnement a créé une accélération médiatique et réglementaire sur ce dossier. Seul le label « phyto doux » pour des produits naturels peu préoccupants (PNPP) ou de biocontrôle seraient accessibles directement au grand public.
Nous proposons que « Plante & cité », qui est basée à Angers devienne l'institut national des collectivités en la matière afin de vulgariser les bonnes pratiques. Pour ma part, j'ai renoncé à des propositions radicales parce qu'une certaine radicalité peut être l'ennemi du bien.
Vous avez raison, madame la présidente, même dans les cimetières on peut faire des progrès en la matière. Mais nous aurons bien travaillé lorsqu'il ne restera plus que ce problème à traiter.
À l'instar de l'agriculture, il nous faut trouver des technologies plus modernes que les alternatives actuelles. Les systèmes de brûleurs thermiques ou mécaniques sont peu performants. Mais il ne faut pas désespérer des progrès en la matière qui nous permettront d'installer dans les villes des éléments de propreté. Avec un peu de fermeté et beaucoup de pédagogie, on a vu qu'on pouvait changer les comportements en ce qui concerne le tabac dans les lieux publics. La même révolution culturelle existera peut-être sur les produits phytosanitaires qui deviendront insupportables parce qu'on aura évolué et compris que l'endroit où l'on circule à pied ou à bicyclette doit être protégé.
Madame Battistel m'a interrogé sur les sanctions. Jean Boiffin, qui est un ancien chercheur de l'INRA, et qui a dirigé toute la partie experte et scientifique du plan Ecophyto I, estime que c'est le rapport de la deuxième chance. Pour ma part, j'ajoute que c'est le rapport de la dernière chance. Certains se sont offusqués des certificats d'économie de produits phytosanitaires. Contrairement à ce qui a été véhiculé ici et là, il n'y a pas de surtransposition européenne, pas de surfiscalisation. Le plan Ecophyto II ne prévoit pas de sanctions financières. C'est un plan volontariste qui contient des instruments nouveaux. Mais, s'il échouait, nous n'échapperions pas à des éléments que les plus productivistes, les plus libéraux, les plus conservateurs du monde de la production doivent absolument prendre en compte. En effet, en cas de crise sanitaire ou de crise d'image forte, il n'y aurait pas d'autre alternative que des interdictions de molécules qui, intervenant brutalement, pourraient mettre beaucoup de filières ou de régions dans des impasses brutales. Une autre solution serait une fiscalisation massive des produits phytosanitaires, ce qui aurait un impact sur l'économie des exploitations.
Plusieurs publications, dans Le Monde, dans L'Obs, ont évoqué les conséquences des perturbateurs endocriniens, même s'ils ne sont pas démontrés, sur les phénomènes de puberté précoce. Nous sommes face à des phénomènes très traumatisants sur le plan psychologique. Le jour où ces informations seront avérées, elles auront un effet dévastateur si elles sont amplifiées et connues du grand public. Ce ne seront plus alors la raison ou la modération qui l'emporteront. Face à ces craintes justifiées, l'opinion publique peut s'emporter, ce qui aurait pour conséquence que des décisions radicales seraient prises dans la précipitation. J'invite ceux qui ont muré la permanence du suppléant de la ministre de la santé Marisol Touraine à penser que les préconisations en matière de santé visent plutôt à protéger notre modèle de production agricole et à lui permettre d'évoluer tranquillement dans un pacte positif qui ne soit pas trop contraignant. Mais si nous échouions, nous aurions affaire à une radicalisation des mesures qui serait contre-productive et qui renverrait dos à dos les uns et les autres. Ce n'est pas ce que je souhaite ni ce que vous souhaitez. Ne créons pas un monde qui opposerait les agriculteurs et les consommateurs. Tous nos efforts doivent viser à réconcilier ces deux univers. Les consommateurs doivent être fiers de notre agriculture et les agriculteurs doivent être fiers de produire pour la population française et pour exporter dans un juste équilibre.
Madame de La Raudière, vous avez l'impression que l'on va casser le thermomètre. J'ai intégré dans mon rapport une étude sur les fermes Dephy qui a été pilotée par Coop de France et qui concerne les mois d'octobre et de novembre 2014. Celles qui ont obtenu les meilleurs résultats en termes d'impact environnemental sont également celles qui ont eu des rendements équivalents aux autres. Au final, elles ont de meilleurs revenus parce qu'elles ont eu recours à moins d'intrants et que leurs produits sont peut-être mieux valorisés.
Cette étude concerne un échantillon pionnier, l'élite agroenvironnementale de l'agriculture. La modélisation ne s'impose donc pas. Mais atteindre cet objectif par la démultiplication des bonnes pratiques est plutôt un élément de compétitivité. D'autres indicateurs que la marge brute d'une exploitation ou le produit intérieur brut (PIB) permettent de mesurer la prospérité ou la santé économique d'un pays. Ces indicateurs sont très sérieux ; ce n'est pas de la poésie. Mais vous avez raison, à l'instant t, un marché au Caire est saisi par un opérateur allemand ou un opérateur français qui parfois sont concurrents et ce sujet doit être pris en compte. Nous devons naviguer avec ces contraintes. La perspective d'un marché mondial et d'une compétition mondiale ne doit pas nous distraire de notre exigence d'excellence en matière environnementale et de sécurité sanitaire. Je suis persuadé qu'à court, moyen et long termes c'est la marque d'une authentique compétitivité. Mais d'un marché à l'autre, d'une agriculture à l'autre, les temporalités ne sont pas les mêmes. C'est pour cela que l'on parle de transition.
Madame Allain, vous avez dit que l'agriculture biologique et les pratiques alternatives auraient été peu mises en valeur. J'entends bien vos remarques, mais je vous indique que l'examen par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) de toute solution de biocontrôle sera désormais plus rapide qu'une solution chimique. Par ailleurs, le traitement des PNPP et celui des produits qui concernent des usages orphelins ont été pris en compte grâce à des moyens budgétaires spécifiques. Les produits qui ne trouvent pas leur place sur un marché doivent pouvoir être proposés comme des alternatives.
Je n'ai pas fait de propositions en matière d'agriculture biologique sans prendre l'attache des filières et de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB). Ces propositions, qui vont plus loin que le programme ambition bio 2017, ciblent deux domaines où l'efficacité sur les phytosanitaires serait avérée. Vous le savez, augmenter la surface en maraîchage bio d'une association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) a peu d'impact sur le nombre de doses unités (NODU) de la France. Il en est de même pour les prairies du Massif central. En revanche, ce n'est pas du tout la même chose sur un hectare de céréales dans le Bassin parisien. Parvenir à une autonomie en protéines bio pour les élevages de monogastriques est une autre piste importante.
Vous avez évoqué la question des néonicotinoïdes. Je sais que la pression est très forte sur ce sujet. Je suis resté à distance de ce combat et je me suis plutôt posé comme médiateur. Les néonicotinoïdes regroupent une grande famille de produits qui sont très divers dans leurs usages, dans leurs pratiques. Globaliser le sujet revient à mettre dans l'impasse des productions et des pratiques qui n'ont pas forcément d'impact sanitaire ou environnemental avéré. Toutefois, je suis partisan d'un examen sans concession des risques sanitaires et environnementaux liés à ces produits, notamment leur impact sur les pollinisateurs qui sont un des indicateurs de la bonne santé et une condition de la productivité et de la compétitivité de notre agriculture. Pour les remplacer, des milliards d'euros seraient nécessaires. Ce serait une gabegie totale.
Il est important que l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) puisse délibérer de façon sereine, sans subir la pression des lobbies. J'ai interrogé la ministre de la santé et le ministre de l'agriculture sur l'action et la position de la France au sein de l'Union européenne pour vérifier que les agences n'étaient pas trop distraites dans leurs délibérations et dans leur discernement par la pression de l'agrofourniture et des firmes multinationales dont les enjeux économiques sont énormes. Cette question n'est pas très éloignée de celle des néonicotinoïdes. Plutôt qu'une logique de pétitions d'intention, je m'attache à ce que les institutions qui sont chargées de trancher objectivement sur le retrait ou le maintien des molécules délibèrent dans la sérénité.
Si les OGM n'étaient pas un des sujets de ma mission, je n'ai pas pu y échapper. S'il doit y avoir des OGM en France, leurs pratiques doivent être obligatoirement encadrées par la recherche publique. Elles doivent concourir à l'intérêt général. Il s'agit d'une nouvelle génération d'OGM. Celle qui précède a montré ses limites et ses effets pervers, tant sur la nature que sur les marchés, et peut-être aussi sur les conditions sanitaires. Je n'ai pas de dogme en la matière. Je pose les conditions dans lesquelles une nouvelle génération d'OGM peut contribuer à des solutions. Les chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) dont la moitié travaille dans des pays tiers et l'autre moitié dans les territoires d'outre-mer, me disent que la collection des variétés primitives de notre planète et l'accès open data, si je puis dire, par les paysanneries du monde sont un enjeu aussi capital que celui de la mutagénèse qui est fantasmée par certaines firmes qui veulent s'approprier le monopole du droit du vivant.
La question de la loi du droit du vivant et du libre accès aux collections primitives est un enjeu aussi capital que celui de la mutagénèse pour laquelle je n'ai pas de position dogmatique mais une immense attention. L'appât du gain et les réussites à court terme ne doivent pas être en contradiction avec l'intérêt général de ce que le Pape François appelle la « maison commune », c'est-à-dire toute la planète et toutes les paysanneries du monde.
Mme Battistel me demande comment a été perçue la démarche. Mon travail a été plutôt de chercher le dialogue, de rassembler les points de vue. Je l'avais fait en présidant le comité Ecophyto, comité qui rassemble toutes les parties prenantes, soit quarante personnes dont les intérêts et les points de vue idéologiques sont très différents. Mon enjeu était de les faire travailler ensemble, ce qui a plutôt bien réussi. La plupart des délibérations sont prises en commun. Nous sommes parvenus à un travail de médiation que j'ai poursuivi dans le cadre de la mission.
Mon rapport a été accueilli très favorablement au mois de janvier 2015. Les syndicats, les organisations environnementales, les consommateurs, les scientifiques ont salué le rapport et proposé une voie réaliste. Certains la trouvent un peu trop rapide, d'autres un peu trop lente. Sincérité, raison, sérieux : tels sont les mots qui ont été employés pour qualifier cette mission. Puis la crise agricole est survenue, crise qui n'a pas grand-chose à voir avec la phytopharmacie et l'agro-écologie mais qui a été l'occasion pour les plus conservateurs, les plus libéraux ou les plus productivistes, de repartir au combat. Les propositions du Gouvernement ont fait l'objet d'une forte opposition. L'enquête publique a permis la mise en cause de l'unité de mesure, le NODU – il fallait mesurer les impacts plutôt que l'usage – et du CEPP considéré comme un élément de surtransposition européenne.
Les rapports de force font qu'il y a parfois une coalition de syndicats agricoles, de la coopération et de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) qui s'opposent en commun. Mais le dialogue plus fin avec le monde consulaire et avec les jeunes agriculteurs montre que ces questions font débat à l'intérieur du bloc majoritaire syndical et des organisations agricoles. Aujourd'hui, un syndicat de jeunes agriculteurs affiche comme idéal « producteur d'alimentation, de santé et d'environnement ». Je crois que le ministre est sur la même ligne. Les chambres d'agriculture savent qu'elles ont une responsabilité dans les territoires ruraux, sur le long terme, sur l'eau, qu'elles ont une mission de service public. Elles sont aussi plus nuancées dans leurs propos.
Quant aux associations écologistes, elles sont plutôt dans la nuance et dans la reconnaissance des étapes de transition. Mais elles sont arc-boutées sur la question des mesures d'usage plutôt que des mesures d'impact, rejoignant en cela les propositions politiques que formule très souvent Brigitte Allain. Lors du dernier comité d'orientation stratégique qui a été ouvert par le ministre, j'ai proposé, avec toutes les parties prenantes, que trois groupes de travail fassent des propositions au début de 2016 sur la régionalisation du plan et sa diffusion à un nombre important d'agriculteurs et sur le CEPP et son unité de mesure.
Le NODU ne mesure pas la toxicité. Les indicateurs de toxicité sont des indicateurs imparfaits et lacunaires. Il nous faut trouver un compromis entre un usage qui traduit peu la moindre toxicité supposée des produits aujourd'hui et un indicateur global. À l'issue de la réunion et de la conférence de presse, j'ai senti une volonté d'avancer ensemble. En tout cas, je mets toute mon énergie pour que cela devienne un défi commun. Ce qui agace profondément la profession et que je vis parfois mal pour ma part, ce sont les attaques sur le food bashing, c'est-à-dire les émissions qui, de façon radicale, condamnent la mauvaise nourriture ici et là. À chaque fois, on entend des réactions très vives des agriculteurs qui se sentent globalement mis en cause. Je rêve que nous puissions nous rassembler, dépasser les conflits et avoir des fiertés communes sur l'alimentation, l'eau, l'agriculture et les sols.