Intervention de Cécile Duflot

Séance en hémicycle du 16 novembre 2015 à 16h10
Débat sur la déclaration du président de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, ils ont frappé, lâchement, violemment, cruellement, mortellement. Et les mots manquent pour dire l’effroi qui nous saisit.

Ils ont frappé, et nous sommes tous blessés, meurtris pour toujours. Ils ont frappé, et je veux dire aux familles endeuillées que leur deuil est aussi le nôtre, que nous les accompagnons, non pas seulement de notre solidarité et de notre compassion, mais aussi de notre fraternité la plus profonde. Je veux dire à la jeunesse de mon pays, qui vient de payer un lourd tribut au fanatisme, que nous sommes ensemble dans cette épreuve.

J’interviens à cette tribune au nom du groupe écologiste. Mais je suis aussi députée du onzième arrondissement de Paris. Ces quartiers qui ont été touchés, ce n’est pas un hasard s’ils ont été ciblés. Nos ennemis ont en horreur le mélange, la tolérance, le métissage et le brassage social, qui sont la marque des endroits où ils ont choisi de frapper.

Leur stratégie de l’épouvante a précisément visé ce qu’ils tenaient pour les symboles de notre prétendue dépravation : une salle de concert – le Bataclan et ses soirées qui finissent souvent sur le trottoir du boulevard –, des cafés – la bande des Anges, les filles de La Belle Équipe –, des restaurants – Le Petit Cambodge et sa rieuse terrasse –, qui accueillent une jeunesse multiple, des lieux où circulent librement, jour après jour, des personnes de toutes confessions et de toutes origines. Cette France-là, ils veulent l’assassiner. Mais nous la défendrons sans faiblir, et nous resterons debout !

Les écologistes s’inscrivent pleinement dans l’unité nationale à laquelle le Président de la République a appelé. Cette unité nationale n’impose à personne de renoncer à ses convictions, mais intime à chacune et chacun de se sentir plus que jamais responsable du destin de son pays. En conscience, les écologistes mettent donc leurs pas dans ceux du Président de la République pour appeler au dépassement de nos clivages traditionnels et faire face à la menace qui pèse sur notre population. Notre liberté reste entière, notre esprit de responsabilité sera total.

Pour protéger les Françaises et les Français, pour protéger notre pays, nous avons un triple devoir. Le premier, je viens de le dire, est un devoir d’unité. Il ne vaut pas seulement pour les responsables politiques, mais pour le pays tout entier. L’ignoble stratégie de Daech est de nous diviser par la peur, de nous entraîner dans une spirale de haine, d’opposer ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas, de sommer les Français musulmans de se démettre de leur identité démocratique pour se soumettre à une loi barbare. Je veux rappeler ici que notre unité est la meilleure garantie de notre sécurité. C’est ensemble que nous sommes forts, c’est solidaires que nous sommes puissants, c’est rassemblés que nous sommes la France.

Notre deuxième devoir découle du premier : c’est un impératif de dignité et de vigilance. Notre dignité sera de ne renoncer en rien – jamais ! – à nos valeurs. Nous serons vigilants pour que notre démocratie n’ait pas à pâtir de la lutte contre le terrorisme. Ce serait permettre aux terroristes de gagner que de faire reculer nos droits fondamentaux.

L’État de droit, c’est la garantie que la force de l’État respecte les droits de chacun pour défendre les droits de tous. On ne peut toucher aux libertés publiques qu’en tremblant, parce que les défendre, c’est défendre le pays tout entier, son histoire, prévenir les dérives et l’emballement engendré par la dureté du combat qui est le nôtre. Face à des fous fanatiques, nous avons plus que jamais besoin de garde-fous démocratiques.

Notre dernier devoir, c’est la lucidité sur ce qui se passe dans notre pays et sur le contexte international. On parle de radicalisation. Je veux dire ici que le premier pas vers la radicalisation, c’est la désaffiliation – le sentiment de ne pas appartenir au même monde, de ne pas partager les mêmes valeurs. C’est elle que nous devons combattre avec la plus grande et la plus ferme énergie.

De jeunes Français, nés et élevés en France, rejettent notre société si radicalement qu’ils en viennent à faire sécession et à se bricoler un imaginaire refuge, véhiculé par les réseaux sociaux et alimenté par le ressentiment. Leur morale est altérée, leur esprit déraisonne sous les appels au meurtre lancés par des prédicateurs qui font de la violence une éthique. Quand leur pathologie croise la route de manipulateurs sans scrupules, ils finissent, gorgés de haine, par se lancer dans des attentats-suicides. Haine des autres, haine d’eux-mêmes, nihilisme morbide.

Nous devons donc assécher, par tous les moyens, le marais dans lequel se développent les apprentis djihadistes. Cela passe par l’éducation et la coercition, le renforcement des moyens humains consacrés au renseignement, la lutte contre les ghettos et les discriminations, la plus grande fermeté dans notre politique de sécurité, la plus grande détermination dans notre politique de cohésion sociale. Cette guerre ne se mènera pas seulement sur le terrain militaire. Ils veulent embrigader chez nous des esprits fragiles, rendus manipulables par les frustrations accumulées. Ils enrégimentent des déséquilibrés pour en faire des soldats de la haine. Nous devons, en réponse, renforcer notre cohésion nationale, rebâtir un sens commun, veiller à ne laisser personne au bord du chemin.

La lucidité, c’est aussi de regarder notre monde en face, et le rôle qu’y joue la France. À ceux qui pensent que la COP 21 aurait dû être annulée, je veux dire ceci : elle est plus que jamais nécessaire. À cause de l’urgence climatique, évidemment, mais aussi à cause de l’argent, qui est le nerf de la guerre. Daech se finance notamment grâce au pétrole de contrebande. Dès lors, notre politique écologique devient une arme en tant que telle. Réduire la place du pétrole et des hydrocarbures, développer l’autonomie énergétique de chaque État grâce aux énergies renouvelables permettra de se soustraire à la toute-puissance des producteurs de pétrole et ainsi de tenter d’assécher la manne financière de Daech.

Mais surtout, les effets du dérèglement climatique sur l’environnement auront des conséquences géopolitiques importantes. Il n’y a pas, d’un côté, la lutte pour le climat, et de l’autre, la lutte contre le terrorisme. Les deux sont liées. Le climat peut aussi être le nerf de la guerre. Le changement climatique démultiplie les menaces. Le cas de la Syrie est éloquent : le déplacement intérieur d’un million de personnes, lié à une sécheresse historique entre 2006 et 2010, a contribué à la dislocation du pays.

C’est du désordre du monde que nos ennemis tirent leur funeste énergie. Chaque injustice les renforce. La souffrance n’est pas seulement leur arme, elle est leur carburant. Dans le monde, l’armée de réserve des terroristes s’abreuve à la source de la pauvreté, des sécheresses, de la captation des richesses par une minorité. Les Boko Haram, Aqmi, Daech prospèrent tous par le chaos, pour le chaos. L’éducation est l’arme la plus affûtée pour leur résister. Formons des esprits libres, créons les conditions de l’émancipation des peuples de la tutelle de l’ignorance !

Dans ce combat, la place des femmes est essentielle. Je pense aux combattantes kurdes de Kobané, et à toutes celles qui résistent à l’injonction barbare qui leur est faite de se soumettre à la loi de certains hommes. Il est des hommes si faibles qu’ils masquent leurs abominables forfaits en se drapant dans la prétendue obéissance à la loi de Dieu. Mais quel dieu peut ordonner de soumettre, d’avilir, de violer, de torturer des femmes ? Aucun dieu ne commande d’enlever des enfants à leur famille pour en faire des enfants soldats. Ceux qui tuent au nom de la religion tuent la religion même. Ceux qui sèment la mort au nom d’Allah avilissent le dieu qu’ils prétendent servir, et jettent le manteau d’un injuste opprobre sur l’islam.

Car, à la vérité, voilà un autre piège qu’ils nous tendent : nous faire craindre nos concitoyens musulmans, nous imposer leur vision folle d’un monde fracturé entre les croyants et les autres. Ils veulent nous terroriser ; nous ne leur offrirons pas ce cadeau ! Nous resterons nous-mêmes. Parce que nous sommes la France, et qu’aucun acte de guerre ne nous fera renoncer à nos valeurs. Les musulmans de France sont d’abord des citoyens. Ils sont nos frères et nos soeurs en République.

La France, depuis la Révolution, s’avance dans le concert des nations sous le pavillon d’une devise qui lie indéfectiblement liberté, égalité et fraternité. C’est la poutre porteuse de notre identité politique, à laquelle nous donnons le beau nom de République. Elle est née ici, à Versailles, avec la convocation des États généraux. Sous ce régime, nous défendons les droits imprescriptibles des individus. Notre laïcité n’est pas la négation des croyances, mais l’organisation harmonieuse de la liberté de chacun de pouvoir croire ce que lui dicte sa foi ou sa raison. L’intime diversité de nos consciences n’est permise que parce que nous avons proclamé inaliénable le droit de vivre sa religion, ou son athéisme, en paix. La laïcité est notre bien le plus précieux, et nous continuerons à la défendre.

Les messages de solidarité du monde entier nous demandent de tenir bon, nous enjoignent de demeurer fidèles à la meilleure part de notre histoire. Pour le monde, pour l’ensemble du monde, la France est belle de ses valeurs, magnifique par sa diversité, louée pour son esprit rebelle. C’est tout cela qu’ils ont voulu abattre en frappant lâchement Paris la cosmopolite, Paris la festive, Paris l’érudite, Paris la belle. Paris qui ne sombre pas, et qui ne sombrera jamais dans la haine dont ils nous abreuvent par torrents sanglants.

La France est capable d’être grande. Voilà qu’une fois de plus, nous sommes tous sommés de donner le meilleur de nous-mêmes pour ne pas répondre à l’appel du pire. L’esprit de résistance doit désormais guider chacun de nos actes. Que nos ennemis le sachent : nous ne capitulerons en aucune manière. Ni sur le terrain de la sécurité de notre peuple ni dans le domaine des valeurs qui nous fondent comme nation. Le Président de la République, votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, pourront compter sur notre soutien, à chaque fois qu’il s’agira de défendre la population de notre pays, l’unité de notre nation, et la force de nos valeurs.

Mes chers collègues, notre démocratie est leur cible. Elle sera notre arme.

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