C'est pourtant la réalité… Cette enquête a donc révélé non seulement que Volkswagen trichait mais que les autorités de régulation européennes étaient complices. Cette affaire remet en cause le choix européen du diesel alors que les Américains ont fait celui de l'essence et les Japonais celui de l'hybride. Et nous avions, nous Français, cru que nous pourrions sauter une marche en passant directement à l'électrique – je reviendrai sur l'échec complet de la Norvège en la matière.
J'en viens à ma troisième et dernière partie et vais tâcher de dégager quelques perspectives technologiques et économiques dans le secteur automobile. Si nous voulons que les choses changent vraiment, notamment en ce qui concerne les moteurs à basses émissions, il faudra bel et bien faire le pari d'une évolution technologique disruptive, notamment en matière énergétique et dans le domaine numérique, et non en rester à une évolution incrémentale. L'Allemagne est le champion toutes catégories de la recherche incrémentale et a poussé le plus loin possible les raffinements pour améliorer le rendement des moteurs, réduire les émissions – mais sans parvenir à respecter les nouvelles normes.
Soit, dès lors, on constate que c'est un immense échec et l'on revient sur l'arbitrage NOx-CO2 qui est à la base de la régulation européenne et l'on révise ces normes en réduisant davantage les NOx parce qu'on les considérerait comme particulièrement attentatoires à la santé humaine, quitte à ce que les émissions de CO2 augmentent – c'est d'ailleurs une solution pratiquée par certains producteurs de véhicules de haut de gamme pour lesquels l'argument du poids est moins important ; soit, au cours des dix prochaines années, il faudra, j'y insiste, faire le pari d'une technologie disruptive, auquel cas il conviendra de savoir si les autorités politiques sont disposées à prolonger les délais – ce que la Commission européenne a accepté – jusqu'en 2020.
Toutefois, même avec des innovations disruptives, il faut savoir que l'automobile présente la particularité d'être une industrie de masse. Le design d'un nouveau produit et celui de son outil de production sont tels qu'il faut viser des quantités très importantes et une qualité très élevée puisqu'il s'agit d'un secteur formidablement concurrentiel où les économies d'échelle sont fantastiques. Au début de ma carrière d'économiste, un producteur fabriquant de 500 000 à 1 million de véhicules passait pour tout à fait sérieux ; le seuil critique pour pouvoir optimiser les investissements est passé aujourd'hui à environ 8 millions de véhicules. Or jusqu'à l'affaire dont il est le protagoniste, le groupe Volkswagen est celui qui a le mieux maîtrisé cette technologie de la montée en puissance avec l'optimisation de chaque maillon et une production très importante en volume et en qualité.
Aussi le pire qui puisse arriver pour Renault serait l'éclatement de son alliance avec Nissan. L'établissement de plateformes communes, la réutilisation sur plusieurs modèles des moteurs et des composants de haute qualité à faible coût et qui permettent d'accroître la fiabilité des véhicules resteront vraiment une donnée fondamentale du secteur.
Si l'on se projette à l'horizon 2025, l'idée de la spécialisation dans le haut de gamme, l'idée d'une séparation entre généralistes et spécialistes ne marche plus. Même les spécialistes du haut de gamme « descendent » vers les secteurs moyens et l'entrée de gamme. Tous les producteurs organisent leurs gammes en quatre niveaux avec une différentiation en termes de marques, de prix et d'image. Là encore, c'est Volkswagen qui l'avait le mieux réalisé avec une marque très grand luxe avec Porsche et Bentley, une marque premium avec Audi, une marque généraliste avec Volkswagen et des marques agressives d'entrée de gamme avec Seat et Skoda. Vous remarquerez d'ailleurs que tout le monde essaie d'imiter cette structure.
Je ne reviens pas sur les échecs successifs des stratégies françaises de Renault et Peugeot. Il faut distinguer le territoire français et l'avenir des producteurs à base française. Sur le territoire français, il se trouve que nous avons deux implantations industrielles qui marchent bien mais qui ne sont pas françaises : Toyota et Smart, qui ont réussi à atteindre des niveaux de productivité éblouissants, notamment Toyota, grâce au caractère récent de l'investissement, à l'optimisation des chaînes de production, à la capacité d'exporter, alors que plus de la moitié des usines françaises fonctionnent très en deçà de leurs capacités nominales. Il y a même de plus en plus d'usines Potemkine en France, qui ont l'apparence extérieure d'usines qui fonctionnent mais dont une chaîne sur deux est à l'arrêt.
Les deux grands enjeux technologiques sont l'économie d'énergie et la voiture numérique.
Lorsque vous voulez accroître de 100 kilomètres l'autonomie d'un véhicule à moteur thermique, vous devrez augmenter la capacité du réservoir de 10 litres, soit quelques euros et quelques kilogrammes supplémentaires ; si le moteur est électrique, il vous faudra alourdir le véhicule de 250 kilogrammes et le surcoût sera de 6 000 euros. Malgré l'optimisation du moteur électrique, dont il est beaucoup question, le fossé entre ces deux améliorations reste considérable.
Le véritable enjeu me paraît ce qu'on appelait celui des véhicules connectés, nommés désormais véhicules autonomes, qui implique le développement de quatre types de technologies : la connectivité, l'intelligence artificielle, les capteurs et, surtout, les interfaces homme-machine – optimisés grâce aux algorithmes installés dans le moteur lui-même – pour, si ce n'est assurer son autonomie, du moins donner un minimum d'assistance à la conduite, un minimum de sécurité, de programmation et d'optimisation.
Il faut en outre tenir compte du fait que la géographie de la production et de la consommation automobile a radicalement changé – ainsi, il y a à peine dix ans, la Chine produisait 500 000 véhicules alors qu'elle en fabrique aujourd'hui 10 millions –, phénomène qui accroît le différentiel entre les parcs de production installés et les nécessités de la consommation.
Je reviens sur l'expérience norvégienne – une fabuleuse réussite en matière d'équipement automobile en véhicules électriques qui représentaient l'année dernière 18 % des immatriculations. La Tesla Model S est le modèle le plus vendu en Norvège avec un avantage fiscal de près de 40 000 euros, ce qui, j'en conviens, laisse rêveur. Les Norvégiens s'étaient fixés pour objectif de produire 50 000 véhicules électriques pour 2017 ; or ils l'ont atteint dès avril 2015 – un succès éblouissant. On compte en outre 50 000 bornes de recharge électrique publiques dont 200 gratuites. Enfin, les véhicules électriques représentent 85 % du trafic des couloirs de bus mis à leur disposition – ce qui a provoqué une vive polémique.
On peut par conséquent admettre que les Norvégiens ont, permettez-moi l'expression, « mis le paquet », si bien que le coût de l'opération a très rapidement été jugé prohibitif – 600 millions d'euros par an en 2014 –, coût qui a même complètement dérapé par rapport aux prévisions. Surtout, certains ont découvert qu'il s'agissait d'une formidable subvention apportée à la Californie puisque, pour Tesla, la Norvège est devenue un fabuleux marché. Et, mauvaise nouvelle, les émissions de CO2 n'ont été réduites que de 0,3 % entre 2012 et 2013.
Ce modèle est-il exportable ? En Norvège même, on estime que la distorsion de concurrence est devenue trop importante par rapport aux autres véhicules. On doit en outre prendre en considération le fait que ce pays a tout de même une caractéristique : les ressources hydrauliques y sont considérables qui permettent la production d'une électricité très bon marché. La question ne se pose donc pas du tout de la même manière dans des pays qui produisent une électricité à base de charbon, comme en Allemagne, à base de gaz, comme en Italie, ou bien à base d'énergie nucléaire, comme en France.